DEMOLITION DES REMPARTS D’AOUSTE EN DAUPHINE
(23, 24, 25 janvier 1626).
La petite ville d’Aouste, coquettement assise sur les bords de la Drôme, est l’ancienne Augusta Vocontiorum dont nous parlent Pline, l’anonyme de Ravenne et la Table théodosienne (1). Elle était une des dix-neuf villes principales des vaillants Gaulois qui habitaient notre vallée. Erigée en colonie romaine par l’empereur Auguste, elle prit le nom de ce prince et l’a toujours conservé. Pillée plus tard par les Francs et ensuite par les Lombards conduits par le terrible Zaban (2), elle ne reprit quelque importance que sous la domination de la puissante famille seigneuriale des Arnaud de Crest, aux Xe et XIe siècles, qui en firent une place de guerre, commandant l’entrée de la vallée de la Drôme. Un de ces derniers, dont la piété était quelque peu inspirée par les remords de ses criantes usurpations, détacha de son apanage Aouste, Saint-Médard, Saint -Benoît, et le 15 août 1146 en fit don à Hugues II, évêque de Die.
Dans l’affreuse guerre des épiscopaux qui, pendant trois siècles, couvrit de sang et de ruines le Diois et le Valentinois, Aouste appartint tantôt aux comtes de Poitiers, tantôt aux évêques de Die, et finit par demeurer au pouvoir de ces derniers, qui l’ont conservée jusqu’à la Révolution.
Au XVIe siècle, la petite cité, encore mal remise des commotions douloureuses qui l’avaient agitée, accueillit avec enthousiasme les doctrines évangéliques apportées parmi nous par des instituteurs ou précepteurs de la jeunesse, venus des Alpes et de la Provence, puis par Jourdan Guiton, Gaspard André, Faure de Vercheny, Barbeyer de Crest, et plus tard par Guillaume Farel, Saulnier et bien d’autres. On sait avec quelle fureur l’Eglise romaine qui, suivant une parole célèbre, n’oublie rien et n’apprend rien, combattit la Réformation; on se rappelle les ordres religieux qu’elle fonda pour détruire l’hérésie et les guerres civiles qu’elle déchaîna sur notre malheureuse patrie.
Voici en quels termes un témoin oculaire, Michel de Castelnau, nous dépeint dans ses Mémoires (3) les tristes résultats de nos discordes religieuses : « L’agriculture délaissée, les villes et villages saccagés et brûlés, s’en allaient en déserts et les pauvres laboureurs, chassés de leurs maisons, spoliés de leurs meubles et bétail, s’enfuyaient comme bêtes sauvages, abandonnant tout ce qu’ils avaient, pour ne demeurer en la miséricorde de ceux qui étaient sans merci !… Les marchands et les artisans quittaient leurs boutiques et leurs métiers, pour prendre la cuirasse… La guerre civile était une source inépuisable de toutes méchancetés, larcins, meurtres, adultères, incestes, parricides auxquels il n’y avait ni bride ni punition aucune ! »
Dès l’année 1557 les troubles commencèrent dans notre Dauphiné, et ce ne furent ni les terribles exécutions du farouche Gaspard de Tavannes, ni le massacre de Vassy de 1561, ni le soulèvement général de 1567, ni la Saint-Barthélémy de 1572 qui purent y mettre un terme. A ce moment, la plupart des places de notre province appartenaient à la Réforme. Aouste, semblable à une sentinelle avancée, veillait sur la vallée de la Drôme, dont elle protégeait l’entrée. Jusqu’alors elle n’avait pas trop souffert de nos dissensions. Mais, hélas! son tour allait venir d’exciter les convoitises des deux partis religieux qui se disputaient la France.
C’était en 1574. Le brave Mirabel (4), à la tète de ses fidèles Diois, venait de s’emparer de Pontaix et de Saillans. Montbrun (5), de son côté, avait pris une vingtaine de places dans les Baronnies et le Valentinois ; il se dirige sur Aouste et bientôt la bannière du vaillant général des Huguenots flotte glorieusement au sommet de la tour magne, montrant à tous son lion rouge sur la soie d’or.
La Cour résolut alors d’agir avec vigueur contre ce « sujet révolté ». Une armée de 7 000 fantassins et de 1 200 chevaux entra en Dauphiné, au mois de mai, sous le commandement de François de Bourbon, duc de Montpensier, dauphin d’Auvergne, et signala sa marche par des monceaux de ruines et mille cruautés. « Allex, furieusement .battue du canon, fut prise par assaut et pillée, et tout mis au fil de l’épée. Le lendemain le camp alla à Oste, laquelle fut battue du canon, la bresche faicte et rendue suffisante sur le minuit. Quoy voyant ceux du dedans qu’ils n’estoient pas assez forts pour la défendre et qu’ils ne pouvoient avoir secours, la même nuit quittèrent la ville secrètement par un quartier le plus favorable et se retirèrent à Livron que leurs coreligionnaires faisaient fortifier. Le jour venu, on se prépara pour donner l’assaut, et venant à délibérer à yceluy, ne se trouva personne pour y rester. La ville n’en fut pas moins pillée (6). »
Le dauphin d’Auvergne mit des soldats en garnison dans toutes les villes qu’il avait emportées d’assaut. Aouste eut à loger dix enseignes d’Italiens qui prirent part aux différentes expéditions qui furent faites dans tous les sens. Ce fut l’année suivante que « le brave » Montbrun, après avoir infligé un grand désastre au baron de Gordes à Molières, fut battu à son tour au pont de Blacons et fait prisonnier dans la mêlée. Sur l’ordre de Henri III, le parlement de Grenoble le condamna à avoir la tète tranchée. L’exécution suivit de près l’inique sentence, que l’on avait prononcée au mépris de toutes les lois de la guerre.
Un des plus intrépides lieutenants du glorieux vaincu, Lesdiguières (7), prit le commandement des troupes réformées. Au commencement de l’année 1587 le noble duc, vainqueur dans les Baronnies, s’achemina avec son armée vers le Diois, pour en chasser Maugiron. Il s’empara d’Aouste et résolut d’en faire une place imprenable. Une double enceinte de remparts entoura la ville de tours, de courtines et de bastions. Quatre portes s’ouvrirent du côté de Crest, de Beaufort, de Saillans et de Piégros : ce furent celles de la Tourelle, de St-Christophe, de Surville et de Sie. Du milieu de cet ensemble de fortifications se détacha le donjon, couronnant ces vastes bâtiments flanqués d’une tour colossale (8). La ville put résister ainsi aux attaques de ses adversaires jusqu’à l’Edit de Nantes, qui mit momentanément un terme aux affreuses convulsions qui agitaient la France. Toutefois, le jour n’était pas loin où le fanatique parlement de Grenoble allait comprendre les remparts, dont la cité était si justement fière, au nombre de ceux qui devaient être démolis.
Au lendemain de l’assassinat du Béarnais, le clergé romain, fidèle à ses rancunes et à sa politique, fît prêter serment au nouveau roi, le jour même de son sacre, de ne tolérer qu’une seule religion. Aux états-généraux de 1615, les députés catholiques réussirent à faire rejeter, à la pluralité des voix, l’article invitant le souverain à maintenir les édits de pacification accordés aux réformés. L’assemblée politique de Loudun, prenant en main la cause de nos Eglises, nomma Jean de Montbrun, fils de l’infortuné capitaine exécuté à Grenoble, général des troupes protestantes. L’assemblée de la Rochelle confirma la preuve de haute confiance qui lui avait été accordée, de telle sorte qu’au moment où l’armée royale entrait en Dauphiné, Montbrun était déjà en campagne depuis plusieurs mois et s’était emparé dé Reillanette, de Puygiron, de La Baume-Cornillanne, et s’apprêtait à marcher sur Grenoble. Le cardinal de Richelieu envoya contre lui Lesdiguières, qui était tenu de donner des preuves de sa fidélité à la Cour, depuis qu’il avait reçu l’épée de connétable. Aussitôt, Montbrun déposa les armes devant celui qui avait si souvent combattu aux côtés de son père, et refusa même de s’allier avec le duc de Rohan pour soulever le Midi.
Pour réduire les réformés à l’impuissance, le parlement de Grenoble, sur l’ordre du roi, ordonna la démolition de plusieurs places fortes du Dauphiné.
Les habitants d’Aouste, qui s’étaient complètement tenus à l’écart des derniers troubles, déléguèrent aussitôt leurs deux consuls à Lesdiguières, pour le prier instamment de les « autoriser à garder toujours leurs remparts et de les exempter des logements de guerre ». Le noble duc leur accorda immédiatement leur demande, et cela avec d’autant plus de plaisir qu’il se souvenait très bien qu’il avait fait construire lui-même ces fortifications, dont ils étaient fiers à juste titre. Le 20 mars 1623, il leur fit remettre « l’exemption requise et dûment scellée de ses armes » (9).
Ici se place un événement qui eut une influence des plus considérables sur les destinées de la ville. L’évêque de Die, Pierre-André de Gelas de Léberon, était mort en 1622, recommandant aux suffrages de son clergé et de ses amis particuliers son neveu Charles-Jacques de Gelas de Léberon. Ce dernier était fils de Lysander et d’Ambroisie de Voisin d’Ambres. D’abord abbé de Bonne-Colombe, puis sacré évêque à Toulouse en 1624, il se mit aussitôt en campagne pour recueillir la succession épiscopale de son oncle. L’évêché de Die était, en effet, l’un des cent cinquante-huit plus riches de France. Le titulaire percevait les dîmes et les redevances de vingt-sept terres domaniales, de cent quatre-vingt-deux en hommage immédiat et de quarante-trois en arrière-fief. Ses revenus étaient de plus de cent mille livres par an, somme énorme pour l’époque. Il ne faut donc pas s’étonner s’il se rencontrait souvent des compétiteurs nombreux pour un poste si lucratif. En apprenant la vacance de cet évêché, Marie Vignon, devenue la compagne légitime de Lesdiguières, depuis 1617 seulement, résolut de le faire accorder à l’un de ses frères. On connaît toute l’influence que cette aventurière solennelle exerçait sur l’amoureux vieillard. Cependant, malgré ses instances, le connétable recommanda peu chaudement le protégé de sa femme à Richelieu et au chapitre de Die. Il savait depuis longtemps que ni François, ni Jean, ni Charles, ni Pierre Vignon n’étaient capables par leur intelligence et leur mérite d’occuper avec honneur ce poste élevé.
Charles-Jacques de Gelas de Léberon fut nommé; mais avant qu’il fît son entrée solennelle à Valence, au milieu de son clergé, la vindicative créature voulut faire sentir au prélat le poids de toute sa colère. Comme le parlement de Grenoble devait très prochainement se réunir, elle s’entendit avec les premiers présidents, les chevaliers d’honneur et quelques conseillers pour faire comprendre la ville d’Aouste au nombre des places qui devaient être démantelées et rançonnées à merci. Elle sut gagner à sa cause le comte de Sault, lieutenant-général du roi en Dauphiné, et le 9 janvier 1626 parut l’arrêt ordonnant la démolition des remparts de la petite cité, ainsi que ceux de Barbières, de Beauvoir, de La Baume-Cornillanne et de Puygiron. Le gouverneur de Crest, d’Antojean (10), déclara, plus tard, que la décision fut prise en présence de Lesdiguières. Cela nous semble peu vraisemblable, car s’il avait assisté à la séance, nul doute qu’il ne fût intervenu pour protéger une petite ville qui lui avait donné tant de preuves d’attachement, d’autant plus que la même mesure ne fut pas exécutée à l’égard des autres villages condamnés à perdre leurs fortifications. Le gouverneur savait, d’ailleurs, que le connétable était sur le point de mourir et qu’il ne pourrait jamais ni lui reprocher son mensonge, ni le châtier.
Le 23 janvier 1626, par un froid des plus vifs, à neuf heures du soir, pendant que la nuit couvrait de ses ombres les campagnes miroitantes çà et là d’une vague lueur de neige, trois compagnies de carabins et de chevau-légers, formant un effectif de huit cents hommes, ayant à leur tête les capitaines de Clouy, de Montpensier et du Coudret, se dirigeaient silencieusement vers Aouste. La petite ville était plongée dans le repos; seules quelques sentinelles continuaient, sur les remparts, leur promenade régulière et monotone. Arrivés à une cinquantaine de mètres, le qui vive des factionnaires arrête les cavaliers. Les fourriers des maréchaux des logis s’avancent, se font reconnaître, et au nom du roi ordonnent aux portiers de laisser les compagnies pénétrer dans la place. Ces derniers courent prévenir les consuls. Ceux-ci arrivent bientôt, suivis de quelques conseillers. Ils opposent les plus vives protestations aux prétentions des fourriers qui se retirent, un instant, pour informer les capitaines de ce qui se passe. En peu de temps, la petite cité est en rumeur. La milice bourgeoise s’arme à la hâte et se précipite sur les remparts. Sur ces entrefaites, de Montpensier, du Coudrey et de Clouy parviennent au pied des murs : les consuls leur expliquent qu’ils ont « une exemption du connétable, que la cité ne doit pas loger des gens de guerre et que ses fortifications ne peuvent être rasées, sans un ordre du roi ». Les capitaines répliquent en montrant une lettre du comte de Sault, leur ordonnant de loger à Aouste, eux et leurs hommes. Mais les habitants accourus de tous côtés, sachant les affreuses scènes dont leur petite ville va être le théâtre, s’ils laissent toute cette soldatesque pénétrer au milieu d’eux, soutiennent énergiquement leurs mandataires et refusent d’ouvrir les portes…
Après trois sommations, les trois chefs retournent aussitôt vers les carabins et les chevau-légers. On voit vaguement dans l’ombre les lignes des compagnies se déployer, et soudain une flamme immense, suivie d’un fracas épouvantable, jaillit, éclairant la nuit sur plusieurs centaines de mètres, tandis qu’une volée de balles crépite sur les remparts. Les décharges se succèdent de seconde en seconde: les assiégés répondent de leur mieux ; Aouste s’illumine d’une ceinture de feu et de fumée ! (11)
Mais que peuvent cinquante miliciens, mal armés et encore plus mal exercés, contre huit cents vétérans dignes successeurs de ces écorcheurs et de ces routiers qui ensanglantèrent si longtemps la patrie française ! Les habitants se défendent avec un courage désespéré…, mais au bout de quelques heures, la grande porte, déchiquetée par les balles, tombe sous les coups de hache, les compagnies se précipitent à l’intérieur, en poussant des hourras formidables ; mille cris de mort retentissent :
— « Tue, tue »… hurlent ces massacreurs. Les rues regorgent de monde, les maisons sont envahies et mises au pillage. Des scènes de désolation éclatent partout ; des voix pleines d’angoisse et de terreur appellent éperdu ment au secours…, et bientôt quelques-uns de ces bandits apparaissent traînant par les pieds de malheureux vieillards demi-nus qu’ils précipitent dans les eaux glacées du canal des moulins;
— d’autres poursuivent des femmes et de pauvres jeunes filles, de chambre en chambre, pour leur faire subir les derniers outrages ;
— ceux-ci chassent les habitants de leurs demeures, puis leur mettant une corde au cou les forcent à marcher devant eux, à coups de hâtons ;
— ceux-là en dépouillent d’autres de leurs vêtements, leur rasent la barbe, les poussent dehors, puis rentrent pour briser les meubles, voler les objets précieux, descendre à la cave, et après s’être gorgés de vin, défoncer les tonneaux. De temps à autre une maison incendiée par ces brigands s’allume dans la nuit, comme une immense torchère, éclairant de sa fauve lueur ces scènes de meurtre et de désolation (12).
Les habitants de Crest vinrent compléter l’œuvre de ces brutes : « Au nombre de deux cent cinquante à trois cents, ils se rendirent à Aouste, lorsqu’il fit jour, pour dérober les vêtements, les meubles, le linge, l’or et l’argent qui avaient échappé à la destruction. Ils s’emparèrent même des chartes de libertés que la ville avait reçues de ses différents seigneurs pour prix de sa fidélité. Les portes de Crest restèrent ouvertes pendant trois jours et trois nuits, pour permettre à ces pillards de mettre en sûreté leur butin. »
Les consuls d’Aouste n’avaient pas attendu si longtemps, pour informer Lesdiguières du guet-apens dont ils étaient victimes, et le supplier de faire cesser le désordre. Dans la supplique qu’ils lui présentèrent, on lisait ces mots : « D’autant que ce lieu s’est de tout temps contenu dans l’obéissance du roi et sans qu’il ait participé, en aucune façon, aux rebellions qui ont donné cause à l’arrêt du parlement…, les habitants vous supplient qu’il plaise à votre Grandeur d’empêcher le démantellement… »
Le connétable traça, aussitôt, au bas de la requête ces quelques lignes :
« Attendu les raisons énoncées en la présente, que nous savons être véritables et avoir de longue main une entière connaissance, et nous ressouvenant de l’ordonnance par nous faite, pour la conservation des murailles dudit lieu, du 20 mars 1623 ; nous, en la confirmant, avons exempté et exemptons les suppliants de l’arrêt de la cour de parlement mentionné en icelle requête, faisant inhibition et défenses à toute personne de quelle qualité et condition qu’elle soit de troubler, molester, ou inquiéter iceux suppliants, pour raison de leurs dites murailles.
» A Grenoble, le 26 janvier 1626.
» Lesdiguières. »
En outre, les consuls se rendirent à Crest et représentèrent au gouverneur « les licences, insolences, extorsions, voleries et débordements de ses hommes et le prièrent de les rappeler auprès de lui ». A quoi, d’Antojean, en soldat brutal et borné, répondit que « les remparts devaient être démolis, excepté aux endroits où les maisons des habitants s’appuyaient contre eux ».
Peu satisfaits de cette réponse, ils dépêchèrent deux autres conseillers au comte de Sault à Valence, et, en lui faisant remarquer que « les habitants de Crest, leurs ennemis de toute ancienneté, procédaient avec une telle animosité dans le démantellement de leurs remparts, qu’ils démolissaient les murs joignant les ponts édifiés sur la Drôme et la Sie, ainsi que les maisons touchant les fortifications ; — ils le suppliaient d’intervenir — sinon il leur faudrait abandonner leur ville ». Le lieutenant-général écrivit aussitôt au gouverneur :
« Le sieur d’Antojean fera exécuter notre ordre : ce faisant ne toucher aucunement aux endroits où lesdites murailles aboutiront aux maisons faisant partie d’icelles ou les appuiements, non plus qu’aux ponts et parabandes d’iceux et de le faire avec modestie …
» Valence, le 29 janvier 1626.
» Sault. »
Les gentilshommes qui habitaient Aouste à ce moment, Vacheres (13), Du Cheylard (14), Brottin (15), De Villeneuve, Du Bouchet, informèrent l’évêque de Die des scènes atroces qui s’étaient passées et demandèrent énergiquement la punition des coupables. Gelas de Léberon, profondément irrité, porta la question devant l’assemblée du clergé de France, réuni à Paris le 7 février 1626. Dans le procès-verbal de la séance, on lit ces mots : « Monseigneur l’évêque de Die a raconté que le 23 janvier il s’était présenté trois compagnies de cavalerie à la porte de la ville d’Aouste, ce que voyant les habitants étant avertis des ravages que faisaient ces troupes aux lieux circonvoisins, et particulièrement à Saillans, appartenant audit seigneur évêque, ils résolurent de fermer les portes, ayant eu exemption et sauvegarde du roi ; en même temps dépêchèrent vers Messieurs le connétable et le comte de Sault pour les supplier de vouloir bien les faire jouir de la volonté du roi qui était témoignée par l’exemption, ce que le dit seigneur étant à Grenoble accorda, mais le comte de Sault, qui était à Valence, n’en fit pas de même : car ayant trouvé moyen… de faire entrer ses gens de guerre, ils y firent tout le pillage et saccagèrent qui se peut, et non content de toutes ces violences, il fit une ordonnance par laquelle il commanda de faire raser les murailles de ladite ville d’Aouste… — Il a été déclaré que cette affaire regarde tout le clergé et partant a été ordonné à Mgr l’évêque de Chartres d’insérer dans la harangue cette plainte et la représenter vivement au roi… (16) »
Louis XIII écouta avec beaucoup d’attention le prélat et chargea son Conseil de faire une enquête. Le 13 mars 1626, parut un arrêt ordonnant « d’informer contre les habitants de Crest qui ont rasé les murailles d’Aouste et commis des violences ».
A la nouvelle que le roi était instruit de ce qui s’était passé et s’apprêtait, peut-être, à punir les coupables, les Crestois dirent bien haut qu’ils n’avaient commis ces « pilleries » et n’avaient démoli les fortifications, que parce que la population d’Aouste, en grande majorité protestante, était turbulente, brouillonne et toujours disposée à trahir la patrie.
Les victimes furent de nouveau obligées de se défendre contre ces attaques et de demander à Lesdiguières un témoignage de fidélité et de patriotisme. Le connétable répondit aussitôt :
« Nous déclarons les suppliants exempts du crime et du blâme à eux imposés, certifions qu’ils sont bons serviteurs du roi et qu’ils doivent être tenus pour tels, défendons à tous qu’il appartiendra de les injurier pour ce regard, à peine de désobéissance. » A Valence, le 26 mai 1626.
» Lesdiguières. »
L’enquête qui fut faite au nom du roi, révéla les faits lamentables que nous avons racontés plus haut : toutes les dépositions des témoins furent accablantes pour les coupables ; « les quatre domestiques du seigneur de Vachères, trois habitants de Piégros, parmi lesquels le consul, et encore deux étrangers avaient vu les compagnies entrer dans la ville à neuf heures du soir, piller les maisons, enfoncer et rompre les coffres, emporter les meubles, denrées, habits, or et argent, et espancher le vin à coups de carabines.
» Pierre Lagier de Mirabel, Colonge de Saint-Benoît, et les susdits de Piégros et les deux étrangers étaient présents, lorsqu’on frappait à coups de bâton les habitants, qu’on leur rasait la barbe, qu’on les mettait en chemise, qu’on les traînait au moyen d’une corde attachée au cou, ou qu’on les jetait dans le béai des moulins, après les avoir rançonnés et pendus par les pieds.
» Arnaud et Guyon de Piégros, Pierre Loubet de Charsac avaient essayé inutilement de protéger les femmes et les pauvres filles que ces bandits violaient, à tel point qu’il y en a plusieurs qui en moururent. » Astier, Mermet, Mélioret, Servel de Crest, Bérard de Livron avaient entendu dire aux gendarmes et aux cavaliers, que c’étaient ceux de la ville de Crest qui les avaient portés à faire ces ravages : ils avaient assisté au pillage des meubles, denrées et bétail des habitants, comme aussi au vol des papiers, titres et documents du seigneur évoque et des libertés de la ville. »
Tous les témoins déclarèrent que « pendant les trois jours que les compagnies restèrent à Aouste, les portes de la ville de Crest furent ouvertes pour recevoir ce que les gendarmes pilloient, que plusieurs maisons furent incendiées et que les deux cent cinquante à trois cents crestois qu’avaient envoyés d’Antojean, procédèrent avec la dernière animosité à la démolition des remparts ».
Charles-Jacques de Gelas de Léberon, à qui la lecture de cette enquête avait rappelé toutes les scènes de sauvagerie qui avaient désolé une cité soumise à sa juridiction, adressa directement au roi une requête, pour lui demander justice et lui désigner les misérables qu’il fallait frapper.
Dans ce document, où le prélat se montre un courtisan accompli, digne de voir figurer son nom avant celui de Bossuet, nous relevons ces quelques lignes, qui montrent de quelle faveur le clergé jouissait à cette époque :
« Madame la connétable exerce une sorte d’oppression sur tous les lieux dépendants de l’évêché de Die, en haine de ce que le frère de ladite dame n’a pas été pourvu de même évêché. Aussitôt après la mort du dernier évêque, mon oncle de Léberon, elle fit mettre une garnison de cinquante hommes à Valence. Les compagnies y restèrent sept semaines, jusqu’à ce que le roi arriva au dit lieu. Les soldais pillèrent les archives et les mettant sur des charrettes les emportèrent à Grenoble. Puis le comte de Sault, au mépris d’une exemption de Votre Majesté, a fait occuper la ville d’Aouste, par les compagnies du Coudrey, de Clouy et de Montpensier, qui ont brûlé, pillé et violé la ville, l’un des principaux territoires de l’évêché; puis le même comte de Sault a ordonné de raser les remparts. Ces indignités méritent un châtiment exemplaire. Or, d’autant qu’il est scandaleux, et d’une très pernicieuse conséquence, que vos bons sujets vivent gémissants et languissants sous le joug rigoureux de ces rudes tourments et que la dignité épiscopale et le caractère sacré de la prélature, un dès plus beaux et relevés pouvoirs de l’Eg]ise, soit ravalé et foulé aux pieds jusque-là que d’être flétri et vilipendé de ces injurieuses vexations, dans la monarchie la plus libre de la terre, dans le royaume du Fils aîné de l’Eglise et sous la domination glorieuse de Votre Majesté, qui méprisant les titres redoutables de Grand que son sceptre lui donne, d’Auguste que sa valeur héroïque lui acquiert, de Conquérant que la fortune lui présente, a témoigné ne désirer que celui de Juste, que son intégrité inviolable lui consacre, avec toutes les rares et divines qualités d’une majesté très aimable !
» A ces causes qu’il plaise à Votre Majesté de prendre sous sa sauvegarde tous les lieux du temporel de notre évêché avec très expresses défenses à ladite dame et comte de Sault et tous les autres de leur mesfaire ni permettre qu’il leur soit mesfait sous peine de rébellion et crime à Votre Majesté, — faire restituer et rendre tous les papiers, titres et documents qui ont été enlevés à Aouste, faire réparer les murailles et défendre à vos lieutenants-généraux comte de Sault et comte de Soissons (17) de loger garnison dans nos villes épiscopales »…
Louis XIII et Richelieu furent peu sensibles à ce style dithyrambique, si l’on en juge par le temps qu’ils mirent à répondre au prélat. La question était, d’ailleurs, fort complexe et bien des motifs les engageaient à observer une prudente réserve. Tout d’abord, les évêques de Die leur étaient fort peu sympathiques, car ces derniers représentaient le Moyen Âge, opposant les droits régaliens que leur avaient accordés les empereurs d’Allemagne, Frédéric Ier en 1157, Frédéric II en 1209, Rodolphe en 1295, à ceux du roi de France et de son ministre travaillant avec énergie à la grande œuvre de l’unité et de la nationalité de la patrie. L’un et l’autre ne pouvaient être disposés à tenir grand compte de ces privilèges, de cette juridiction particulière qui faisaient d’un diocèse une province étrangère et d’un sujet un prince de l’empire. Remarquons, encore, que peu leur importait qu’une cité, en grande majorité composée de huguenots, eût été saccagée et pillée et que cent cinquante pauvres femmes ou jeunes filles eussent été déshonorées. Ne s’apprétaient-ils pas à traiter les protestants de la Rochelle avec la dernière rigueur? Le parlement de Grenoble s’était toujours montré fort docile aux ordres de la Cour; il fallait le ménager. Le comte de Sault était un grand personnage, fort influent, qui avait des amis nombreux. Le gouverneur de Crest et les trois capitaines n’avaient fait qu’exécuter, un peu trop rigoureusement peut-être… les ordres qu’ils avaient reçus. Quant aux vrais coupables, aux instigateurs de cette affreuse iniquité, on avait trop besoin de leurs services pour se montrer sévère envers eux… Le roi et le cardinal se contentèrent, le 27 octobre 1626, de renvoyer l’affaire au parlement de Paris. Ce dernier parut, d’abord, vouloir s’acquitter sérieusement de la haute mission qui lui avait été confiée. Il demanda la communication de toutes les pièces du dossier, ce qui fut aussitôt exécuté : puis, après avoir reçu une nouvelle requête de l’évêque de Die, dénonçant encore une fois Marie Vignon, ainsi que certains présidents et conseillers du parlement de Grenoble, comme seuls coupables, il cita à sa barre « d’Antojean, les consuls de Crest, Jacques Giny, Richard et consorts ainsi que les trois capitaines ». D’Antojean répondit qu’ « il ne pouvait entreprendre un pareil voyage, qu’il était trop âgé, que l’arrêt du parlement avait été pris en présence de Lesdiguères, les trois Chambres assemblées, et que personnellement il n’avait fait qu’exécuter les ordres de ses chefs ». Cependant, il donna, une procuration à Pierre de Reclus (18), de Crest, pour se présenter à sa place à Paris. Quant aux autres accusés, ils prirent courageusement la fuite, en apprenant « qu’Antoine Patriarche et Antoine Gay, chevaliers du guet et courriers de la ville de Valence et de Die, étaient en route pour venir les arrêter ».
Charles-Jacques de Gelas de Léberon demanda, aussitôt, et obtint du parlement un « adjournement et supplément d’informations », le 25 décembre 1626. Il se proposait de laisser rentrer les coupables et de recommander à ses courriers d’être plus adroits à l’avenir. Cependant, les chevaliers du guet, désirant faire quelque capture, arrêtèrent un certain Gonin, boulanger de Crest, et le dirigèrent sur le Fort-1’Evêque, comme étant un des plus gravement compromis dans les pillages dont les habitants d’Aouste avaient été victimes.
Sur ces entrefaites « Madame la connétable et quelques autres de ses alliés contre l’évêque » firent loger une compagnie de soldats dans son palais de Valence. « Une infinité de dégâts » ayant été commis, le prélat ordonna à son courrier La Gâche de faire une enquête et de mettre en prison le capitaine La Vigne, responsable des désordres de ses hommes. « Mais le frère de l’intendant de la maison de feu M. le connétable étant survenu au même moment, avec un grand nombre de gens armés, fit évader le captif, s’empara du courrier de l’évêque et blessa mortellement un pauvre habitant de la ville qui se trouvait au milieu de la foule accourue au bruit de cette émotion populaire. » Charles-Jacques de Gelas de Léberon, fort intrigué, sortit aussitôt de ses appartements particuliers, et apprenant que son courrier était entre les mains de ses adversaires, rentra aussitôt pour formuler une nouvelle plainte au parlement de Paris contre ses ennemis acharnés. Il chargea ensuite son juge-mage de faire une enquête minutieuse sur les désordres qui s’étaient produits. Ce dernier interrogea douze témoins, qui furent tous unanimes à reconnaître la légitimité des protestations de l’évêque. Mais le maréchal de Créqui se rendit à Grenoble, fît donner une délégation spéciale par le parlement à de Lessus, un des conseillers les plus distingués, et à l’avocat général (Pierre de Reclus). Suivi de ces messieurs et escorté par une nombreuse troupe d’archers, il revint à Valence, réussit à obtenir par intimidation les « informations prises par le greffier du juge et du procureur fiscal » contre les coupables, et fit faire une contre-enquête. Les personnages qu’il avait amenés étant complètement à sa dévotion, ils conclurent à l’arrestation immédiate dû maître d’hôtel de l’évêque, de son page, de son procureur d’office, de son courrier, de ses deux gardes particuliers, de son cocher et de tous ses domestiques. Quelques-uns d’entre eux furent immédiatement incarcérés. Le prélat en appela encore au parlement de Paris et obtint un sursis de six semaines pour se mettre en mesure de confondre ses adversaires. Toutefois, ces derniers firent relâcher Gonin.
Cette seconde affaire se greffant sur la première, les jurisconsultes s’en donnèrent à cœur joie afin de chercher mille chicanes et mille détours, pour faire traîner les deux procès en longueur ; si bien que trois ans après le démantèlement des remparts de la malheureuse cité, on n’était pas plus avancé qu’au premier jour et que d’Antojean déclarait avec insolence « que l’on ne devait pas tenir compte des plaintes des habitants d’Aouste, tous hérétiques et perpétuels ennemis du repos public ».
Ce reproche immérité provoqua une explosion d’indignation et de colère. Les consuls convoquèrent une assemblée générale sur la place publique. Entourés des ruines de leurs maisons, que beaucoup d’entre eux n’avaient pu encore reconstruire, en présence du curé, de son sacristain, de Jacques de Villeneuve, de Daniel de Brottin, de Pierre du Bouchet et de Sauvain du Cheylard, ces braves qu’un fanatique gouverneur calomniait après les avoir brutalisés, protestèrent d’être « de bons serviteurs de Dieu et du roi, les uns faisant profession de la religion catholique et les autres de la R. P. R., permise en ce royaume parles édits de Sa Majesté, mais tous amis du repos public voulant vivre et mourir dans les mêmes sentiments ». Ils étaient cent vingt-cinq chefs de famille; « chacun à son tour prêta le serment solennel devant la foule, d’être fidèle à Dieu et au roi. »
Cependant Dieu semblait les avoir abandonnés… et le roi ne faisait rien pour eux ! Combien la foi et la piété de nos pères étaient admirables ! Pendant ce temps, le maréchal de Créqui, à la tète de 3 000 hommes, était à Die, traitant en ennemis les « paouvres religionnaires vivant, à leur discrétion pendant dix jours, et faisant transporter à la citadelle les armes qu’il leur avait arrachées » (19).
L’année suivante (1629), au mois de mai, Louis XIII, revenant de la campagne du Piémont, et se rendant au siège de Privas, s’arrêta quelques heures à Die. Il coucha au palais épiscopal. Nous ignorons ce qui fut résolu entre ce prince et Charles-Jacques de Gelas de Léberon, et l’avenir ne nous a pas révélé au prix de quelles concessions l’on convint de garder le silence sur ces tristes événements. En passant à Aouste, le roi jeta-t-il un regard distrait sur cette malheureuse petite ville que ses officiers avaient traitée avec tant de barbarie? Eut-il une pensée de regret pour ces braves gentilshommes qui avaient versé leur sang sur les champs de bataille et pour ces courageux paysans qui, la tête inclinée et les mains jointes, imploraient sa protection et sa justice?…
De nos jours, lorsque le voyageur venant de Crest arrive à l’entrée d’Aouste, quelques pans d’anciens murs et une tour découronnée, noircie par le temps, effritée à la base, attirent son attention. C’est tout ce qui reste de ces superbes fortifications autrefois construites par l’illustre connétable de Lesdiguières; mais ces débris suffisent pour attester l’impuissance des démolisseurs et rappeler une des pages les plus douloureuses de l’héroïque cité.
André Mailhet.
Notes
1 théodosienne – Pline : Hist. nat. De Géographie. — Anonymi Ravennatis : De Geographiâ. — Tabula imperatoris Theodosii. — Cf. Itinéraire cl’Antonin.
2 Zaban – Grégoire de Tours, livre IV, p. 44, dit que « Zaban per Deinsen discedens urbem usque Valentiam venit ibique castrum posuil ».
3 Mémoires – Edition Buchon, 1875, p. 182.
4 Mirabel – Claude de Mirabel, « magnanime et excellent homme de guerre », nous disent les Mémoires des frères Gay, avait épousé Claude Chabert, fille d’Aynard Chabert et de Charlotte de Blou. Sa fille unique se maria avec Hector de Forest, de Blacons.
5 Montbrun – Charles du Puy, seigneur de Montbrun, fils d’Aymar et de Catherine de la Valette de Parisot, général en chef des protestants pendant la seconde guerre de religion. Emule de Bayard, il était brave jusqu’à la témérité.
6 Pillée – Eustache Piedmont. Mémoires.
7 Lesdiguières – François de Bonne, seigneur des Diguières ou de Lesdiguières, fils unique de Jean de Bonne et de Françoise de Castellane, né à St-Bonnet en Champsaur le 1er avril 1543, général en chef des protestants dauphinois en 1576, duc et pair en 1611, maréchal de camp en 1621, connétable en 1622, mort à Valence le 26 septembre 1626.
8 tour – Videl. Vie du connétable de Lesdiguières, Grenoble, 1649, p. 181. — Actes et correspondance d,e Lesdiguières, T. III, pp. 34, 62, 187.
9 armes – Archives particulières de Mme de Lamorte-Félines, de Die.
10 Antojean – Antoine-Jean de Chaparon, connu plus particulièrement sous le nom d’Antojean.
11 fumée – Archives particulières de Mme de Lamorte-Félines, de Die.
12 désolation – Archives particulières de Mme de Lamorte-Félines, de Die.
13 Vachères – Louis de Grammont, seigneur de Vachères, Saint-Benoît, Bimont et La Chaudière.
14 Du Cheylard – Sauvain du Cheylard descendait de Pierre, seigneur de Piégros, Marche, Egluy, Chastel-Arnaud, Saint-Sauveur, Barry, Vercheny, — qui le 8 janvier 1562 donna pouvoir, avec plusieurs de ses amis, à Jean de Moreton de déclarer aux états-généraux du Dauphiné « que tous amis et lui entendaient vivre désormais, Dieu aidant, selon la pure doctrine réformée de l’Evangile ».
15 Brottin – Daniel d’Eurre de Brottin, seigneur du Petit-Paris, Guisans et Grand-Guisans. (Rivoire de la Bâtie, Grand Armorial de France.)
16 au roi – Tous ces détails sont pris dans les archives particulières de Mme de Lamorte-Félines, de Die.
17 Soissons – Louis de Bourbon, comte de Soissons, né en 1604, mort en 1641.
18 Reclus – Docteur en droit, procureur du roi. — Cf. Protocoles de Me Jolibois, notaire, 1626, fol. 54.
19 arrachées – Mémoires des frères Gay, p. 339.