CONTRAT ENTRE UN PROFESSEUR DE DROIT ET UN MAGISTRAT A CREST EN 1616




Communication de M.Brun-Durand.

Sans être d’une grande importance, je me hâte de le reconnaître, l’acte que voici et qui est emprunté aux minutes de Siméon Valantin, notaire à Crest, dans la première moitié du XVIIe siècle, mérite, ce me semble, d’être signalé, parce qu’on y trouve la constatation d’un fait constituant un curieux trait des mœurs judiciaires du temps. C’est en effet le traité que fit avec un professeur de droit d’Annonay le lieutenant particulier en la sénéchaussée de Crest; magistrat dont la charge était à peu près celle d’un vice-président de tribunal civil d’aujourd’hui, et suivant lequel ce professeur devait lui enseigner la science du droit; moyennant salaire (1). Ce qui n’a pas empêché notre magistrat de se dire docteur en droit dans cet acte!

Comme correctif à ce qu’un semblable fait a d’étrange pour nous, on peut dire que nous étions alors sous lé régime de la vénalité des charges ; mais il faut ajouter, dans ce cas, que, sous le régime de la vénalité dés charges, tout acquéreur de charges judiciaires ne pouvait en prendre possession qu’après avoir été examiné et trouvé « suffisant et idoine ». Reste à savoir ce que valaient ces examens, comme aussi le grade de docteur en droit à cette époque, et le traité que nous allons transcrire, le donné d’autant plus, à, entendre, qu’ayant été passé publiquement, il prouve que le lieutenant particulier au siège dé Crest n’était pas une exception de son temps (2).

L’an mil six cents seize et le premier jor de juillet après midy, par devant moy notaire royal soubsigné et tesmoings soubsnommés, estably en sa personne Monsr Me Jean Royer, docteur et professeur aux loix, de. Nonay en Viverés (3), lequel de bon gré, a promis pas ces presantes, à Monsr Me Anthoyne Bruyère (4), docteur en droit, conseiller du roy, lieutenant particulier au siège royal et principal de Crest (5), presant et acceptant de luy lyre et enseigner, en droit, tout ce qu’il luy sera possible, pendant le temps d’une année, commençant au premier jor d’ost (6) ou aultre terme, qui sera par eulx convenu, et à semblable jor finissant, pour le prix de quatre cents livres de l’Esdict (7), payable à fin d’année, par luy sr lieutenant particulier audict sr Royer; oultre lequel ledict sr lieutenant luy bailhera une chambre dans sa maison et le nourrira à sa table, et ledict sr Royer luy enseignera, comme, dessus, lesdictes loix. Comme aisin lesdictes parties, en ce que la chascune touche et conservé, l’ont passé, promis et juré l’observer, à peyne de tous despans, dommages et intérests, soubs, obligation de tous leurs, biens aux cours de Crest, St-Marcelin, souverain parlement et aultres dalphinalles accoustumées, renonçant à tous droicts ad ce contraires. Faict et stipulé à Crest, dans la maison: dudict sr lieutenant, prisants Monsr Me Louis Charency (8), aussi docteur et advocat audict siège et Anthoyne Marbaud, clerc dudict lieu, soubsignés avec lesdictcs parties. BRUYÈRE, ROYER, CHARENCY, MARBAUD. Et moy notaire requis soubsigné,

VALANTIN




(1) Il est bon de faire remarquer au sujet du salaire que non seulement il s’agit de 400livres, ce qui était une forte somme en 1616, mais que le professeur était nourri et logé, ce qui augmente sensiblement la rétribution. (Note de M. Georges Picot, membre du Comité.)

(2) Le fond même du traité paraît moins surprenant si on calculé que le lieutenant particulier fut en possession de la charge pendant au moins trente deux années après, la signature de l’acte: Antoine Bruyère était encore en fonctions en 1648, daté de son testament. Vraisemblablement, il venait d’être pourvu de la charge lorsqu’on chercha à lui enseigner le droit. Reste la qualité de docteur en droit qu’il est impossible, d’expliquer, ni d’excuser. (Note de M. Georges Picot; membre du Comité.)

(3) Annonay (Ardèche)

(4) Cet Antoine Bruyère, qui testa le 14 mars 1648 et fut remplacé dans sa charge de lieutenant particulier: par son fils Pons, était le fils d’autre Pons Bruyère, qui obtint en 1614 des lettres de noblesse.

(5) Crest (Drôme).

(6) Août.

(7) Environ 1000 francs de nos jours.(13630 euros en 2018).

(8) Cet avocat était le mari de Polyxène Bruyère tante ou cousine d’Antoine