Un relais de voie romaine à Beaurières



Un relais de voie romaine à Beaurières





Cette station de la voie ferrée de Livron aux Alpes mérite l’attention des touristes et des archéologues. Elle est placée à l’ouest et à peu de distance d’un village pittoresque, bâti d’abord le long du Maravel, affluent de la Drôme, et ensuite le long de la route nationale de Valence à Sisteron, sur les bords de la Chaurane, tributaire du Maravel. Une montagne, au nord, le sépare de Lesches, Fourcinet et la Bâtie-Crémezin ; une autre, des Prés et de la Bâtie-des-Fonts; d’autres de Valdrôme et de Charens, au midi. Toutes sont plus ou moins boisées, sauf à leur sommet, et les vallées de la Drôme, de Maravel et de Chaurane, les séparent les unes des autres.

Beaurières, placé à la jonction du val de Chaurane avec celui de Maravel, présente indépendamment de sa situation, des merveilles de hardiesse en fait de construction de sa voie ferrée, suspendue aux flancs de rochers élevés qu’elle traverse et d’où descendent des cours d’eau nombreux, et terminée par le tunnel du col de Cabre de 3,760 mètres de long.

Le nom du village de Beaurières, en latin de Beureriis, ne révèle à M. de Coston que le souvenir de domaine, preuve que les habitations devaient être rares dans la région à une époque lointaine.

On sait pourtant que les Romains avaient établi une route des Alpes à Valence avec des relais (mutiones) à Montoison, Saillans, Vologatoe et Cambono, des stations ou auberges (mansiones) à Aouste, Luc et Mons Seleucus, sans parler de la cité de Die.

Où se trouvait le relais de Bologatoe ou Vologatoe ? Danville penche pour Lesches, sur un plateau élevé, « dont le nom, dit-il, n’est pas absolument altéré », Sanson opine pour Rochebriane, et M. de Vérone, pour Beaurières.

M. Long, qui connaissait mieux le pays, propose les Bouligons, réunion de 2 ou 3 maisons sur la route nationale, à 8 kilom. 733 mètres de Luc. De Bologatoe à Bouligons, la filiation philologique, on en conviendra, est bien moindre que de Bologatoe à Lesches ; mais la distance donnée par l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, de 9 milles de Luc (12 kilomètres) est trop faible et celle de Beaurières un peu trop forte.

D’où il est permis de conclure que le relais devait se trouver entre les deux.

II est inutile d’insister en faveur de Lesches, bien que des médailles romaines y aient été recueillies et que son étape existe depuis longtemps. Un détour si considérable ne serait pas justifié.

M. Long s’est pourtant montré favorable à cette opinion, par la raison qu’on ne trouve à Beaurières aucun vestige d’antiquités. Mais ce savant antiquaire mentionne des médailles d’Auguste et d’Alexandre Sévère, découvertes en 1841 près du Col de Cabre, des anneaux, des lacrymatoires, des pots de terre contenant des os calcinés, un petit vase en verre, quatre fibules en bronze, etc.

De Beaurières au col de Cabre, la distance à vol d’oiseau n’est pas grande, et l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem dit précisément au relais de Bologatoe, inde ascenditur Gavra mons (de là on gravit le mont de Cabre). — Peut-on régulièrement traduire Gavra mons, sinon par col de Cabre ? Capra en latin, cabre en roman et chèvre en français. Le C a remplacé le G et le B le V des copistes, et tout s’explique.

Enfin, un habitant fort intelligent de Beaurières, en fouillant le sol voisin de la chapelle de Notre-Dame d’Auton, ruinée pendant les guerres du XVIe siècle, vient d’y découvrir des pots de terre contenant des os calcinés ainsi que des sépultures. La voie romaine passait-elle près de là, en suivant, moins le tunnel, la direction du chemin de fer actuel? Il y a là une question à éclaircir, et il serait bien à désirer que tous ces vestiges du passé fussent recueillis avec soin et conservés dans la belle mairie neuve de Beaurières.

Les archéologues, en les étudiant, pourraient se convaincre de la situation vraie de Bologatoe.

Quant aux Bouligons, voisins des Tours en ruines, rappelant le chef-lieu du mandement de Thorane, Tourane, Turenne, et à Rochebriane, paroisse disparue en 1442 dans le lac de Luc et remplacée par St-Cassian, ils font partie de Beaurières; mais ils sont trop éloignés du col de Cabre.

L’opinion qui fait suivre la Drôme jusqu’à la Bâtie-des-Fonts ne paraît pas soutenable, à cause de la distance de ce lieu à Luc, dépassant 24 kilomètres.

Article paru dans le Bulletin de la Société d’archéologie et de statistique de la Drôme – 1894