Chanson en patois de Beaufort




Chanson en patois de Beaufort





Cette chanson, très populaire dans le pays, est l’œuvre d’un traiteur de Beaufort, Adolphe Breynat, mort en 1876. Elle a déjà été publiée dans le Journal de Die (22 nov. 1885). Nous en devons la communication à M. Liotard, instituteur à Beaufort.

Extrait de la Revue de philologie française et provençale : recueil trimestriel… 1889-1896


BEOUFOIRD


Vous, matadors flattas per la fourtuno,
Vous, gros bourgeois do coumerce einrichis,
Vous, amouirous de la bloundo ou la bruno,
Vous anouyas, venès vous ein éci.
Dins moun village
Li o per tout ia-ge
La distraciou, lou bounheur et l’espoir;
L’âmo é tranquilo,
N’o ji de bilo
Dins un eindre chosi coumo Beoufoird.
 
N’en épargna ni la châou ni lou plâtre
Quand l’en sita sus soun banc de roucha ;
Bâti d’un las coumo ein amphithéâtre,
Poussédo un foird construit per un pâcha.
La grand’charero
D’un balaï d’ero
N’é caressa casi tous lous matis;
Dessus la plaço
La routo passo ;
Lés é vivant coumo un petit Paris.
Avein un teimple, uno mésou d’écolo,
Bureau de posto et bureau de taba,
Très bourreliers et quatre pot-à-colo,
Un chapelier, uno soeur, un cura,
Noutaire et maire,
Vétérinaire,
Fèreblantier, menistre et percepteur,
 
(Traduction)

BEAUFORT

Vous, matadors flattés par la fortune, 
vous gros bourgeois, du commerce enrichis,
vous amoureux de la blonde ou de la brune, 
vous vous ennuyez, venez-vous en ici.
Dans, mon village, 
il y a pour tous tes âges
la distraction, le bonheur et l’espoir; 
l’âme y est tranquille, 
il n’y a point de bile 
dans un endroit choisi comme Beaufort.
On n’a épargné ni la chaux ni le plâtre
  quand on l’a assis sur son banc de rocher; 
bâti d’un coté en amphithéâtre, 
il possède un fort construit par un pacha.
La grande rue, 
d’un balai d’aire (1) 
est caressée presque tous les matins. 
Sur la place
la route passe; 
tout y est vivant comme un petit Paris.
Nous avons un temple, une maison d’école,
bureau de poste et bureau de tabac, 
trois bourreliers et quatre pots à colle (menuisiers), 
un chapelier, une sœur, un curé, 
notaire et maire, 
vétérinaire, 
ferblantier, ministre (2) et percepteur,


 

(1) D’un balai comme ceux qui servent à balayer les aires.
(2) Pasteur protestant.



De chico-pruno (3)
Que fan fourtuno,
Très manéchâous, dous bouchiers, dous traiteurs.
 
Avein incas de marchands de cannèllo,
D’huile, de lard, de sâou et de sabou,
Dous faïenciers que veindoun de vaissèllo,
Seins nous vantas avein un pâou de tout :
Sârdas, pastilias, ;
De jolias filias, ; .
E per aco l’eindret. lou meux mounta ;
Un vioulouriaïre,
Un peinchinaïre,
Tambour de villo, aoubre de liberta.
 
Per l’amouirous, li orè de bourro à battre ;
Obé lou teimps li répouandou de tout.
Lous prumiers jours reçoprè caouqué eimplâtre
Au bout d’un mes n’orè fa qu’un poutou;
La filio pialio .
Quand per la talio
Davant sés més l’ausoun sara seins gants.
Per lou mariage,
Si sias dins l’iage,
Pouvès toujous countas sus caouqués ans.
De l’amouirous passein sus lou minjaïre,
Lou fin gourmand que haïs lous burre foird,
Poussédario l’estouma d’un rassaïre,
Que pouo se fas recoumplis vès Beoufoird ;
Avein de lèourés
Sous notrès téourés,
Et de perdrix toujous de pleins carniers,
Tuein las bégassas
Obé de massas,
Tous natrés chis van aux. tartiflés niers.
 
D’aco d’aqui sautein sus lou touriste ;
L’homme savant que charcho lou prougrès.



(Traduction)

des croque-prunes (3)
qui font fortune, 
trois maréchaux, deux bouchers, deux traiteurs. (L’auteur comptait pour un).
Nous avons encore des marchands .de cannelle,
d’huile, de lard, de sel et de savon,
deux faïenciers qui vendent de la vaisselle, 
sans nous vanter nous avons un peu de- tout : 
sardes, pastilles, 
de jolies filles,
c’est pour cela l’endroit le mieux monté; 
un violoneux,
un peigneur'(de chanvre),
tambour de ville, arbre de liberté.
Pour l’amoureux, il y aura dit fil à retordre;
mais avec le temps, je lui réponds de tout.
Les premiers jours il recevra quelque emplâtre (soufflet);
au bout d’un mois il n’aura fait qu’un baiser; 
la fille piaille 
lorsqu’on la (prend) par la taille, 
niais avant six mois il pourra la serrer sans gants. 
  Pour le mariage, 
si vous êtes en âge, 
vous pouvez toujours compter sur quelques ans. 
De l’amoureux passons au mangeur, 
le fin gourmand qui déteste le beurre fort 
posséderait l’estomac d’un scieur de long,
qu’il peut se faire rassasier à Beaufort;
  Nous avons des lièvres 
sous nos tuiles, 
et des perdrix toujours de pleins carniers, 
  nous tuons les bécasses 
avec des massues, 
tous nos chiens vont aux truffes noires.
Après cela, passons du touriste ; 
l’homme savant qui cherche le progrès,

(3) Tailleurs d’habits.

 


Ou bein d’acô que orio l’estouma triste, :
Pouo seins fàçou s’ein ahas vès Ambè,
Li o la pisséro, –
Li o la glacéro,
.Mous manque rein; avein au mem cinq fouans
Que rayoun d’aïgo,
Quand Diou lous aïdo,
Coumo lou det peindein très mes de l’an.
Aï obliâ las pàlas, las barouitas .
Que fan cès Kint (4),que veindoun vès Beoufoird,
Do Fountaignous las magnificas trouitas,
Et lous bavots que Gervanno nous poird;
Natras très feras ;
De jardineras 
Avein Guillet que n’ein faï caouquo fés;
Natre grenacho,
Une patacho
Que dins ses jous s’ein vaï doua fès vès Crés (5).


(Traduction)
Ou bien de celui qui aurait l’estomac triste, 
il peut sans façon s’en aller sur Ambel; 
il y a la Pisseure 
il y a la glacière,
il ne nous manque rien ; nous avons
au moins cinq fontaines
qui donnent de l’eau, 
quand Dieu leur aide, 
comme le doigt pendant trois mois de l’année.
J’ai oublié les pelles (en bois), les brouettes
qu’on fait à Quint (4) et qu’on vend à Beaufort, 
des Fontaigneux les magnifiques truites;
et les barbeaux, que nous fournit la Gervanne ; 
nos trois foires ; 
des jardinières (voitures), 
nous avons Guillet  (le charron) qui en fait quelquefois; 
notre (vin de) grenache,
une patache 
qui dans sept jours s’en va deux fois à Crest (5)



 

(4) Saint-Julien-en-Quint.
(5) Crest