UN SIECLE DE FÊTES A AOUSTE
Le ciné Hilaire
La salle des fêtes communale n’eut jamais la salle de projection prévue lors de sa construction. Mais le village eut son cinéma… Il s’appelait « Ciné-Hilaire ». Les séances avaient lieu les samedis soir et les dimanches à 15 heures, il en coûtait deux francs pour les adultes, un franc pour les enfants. C’est Raymond Hilaire qui en était l’initiateur et le technicien. « Tous les ans, d’octobre à mars, j’ai fait mon cinéma » nous avait-il confié.
Il avait commencé en décembre 1939, il avait à peine 15 ans et venait d’entrer à l’usine Flachard. Il avait acheté un appareil Pathé baby 9 mm 5 et louait pour la circonstance, trente francs par mois, un local à Berthe Bergier. Ce local de la grande rue, qui fut ensuite cordonnerie et magasin de chaussures, avait une cabine fermée (deux tables entourées de cartons) avec un hublot. Le jeune Aoustois y avait installé six bancs pour une cinquantaine de personnes. Les films étaient loués à Lyon. Raymond Hilaire ajoutait plusieurs petites bobines de trois ou quatre minutes et les changeait tous les quarts d’heure. C’était du muet, des « Charlot » des drames, qu’il sonorisait avec un phonographe. Il les complétait avec des dessins animés prêtés par le Père Blémet. Sa sœur Ginette lui donnait un coup de main.
Raymond vendait des bonbons (c’était le temps des restrictions !) ; sa mère, Reine, faisait des pochettes surprise, il allait chercher les lots en vélo à Valence. « Je payais une taxe au bureau des contributions indirectes à Aouste, dont le chiffre variait avec les recettes. »
Pour ce « fondu de cinéma » comme il se définissait l’aventure cinématographique allait se poursuivre à Crest avec le Rex, le Vox puis l’Eden.
Le cinéma paroissial
C’est sous le ministère du curé Aimé Lafont, en 1949 que la salle paroissiale (salle du patronage catholique d’Aouste ouverte au public en 1914) allait être dotée d’un projecteur afin de proposer une attraction supplémentaire à la population aoustoise et celles des villages environnants (Allex et Mirabel-et-Blacons). Le petit écran n’avait pas encore colonisé nos demeures, comme on peut l’observer aujourd’hui, et la projection des films en 16 mm venait donc fort à propos étoffer les représentations théâtrales et autres animations qu’abritait cette salle comprenant environ 130 places.
En 1956, le curé Aimé Lafont équipa la salle d’un grand écran perlé de trois mètres sur six, légèrement cintré pour le cinémascope. Ces éléments, écran et projecteur, achetés d’occasion à Lyon, pour un montant de 496 110 francs, provenaient d’un cinéma de quartier réaménagé.
Fabriqué en France, vraisemblablement sous licence américaine, l’appareil de projection est de marque Horston.
Ce projecteur, qui est de dimensions imposantes et d’un poids respectable peut faire penser, de prime abord, à un appareil de chauffage car il est surmonté d’un tuyau d’évacuation comprenant un volet avec clé pour régler le tirage. Il faut dire que la source de lumière nécessaire à la projection était constituée par un arc électrique établi entre deux charbons gainés de cuivre. Ce dispositif produisait également une forte chaleur en même temps que de la fumée.
Notre cinéma regroupait en moyenne une cinquante de spectateurs par séance, le samedi à 21 heures et le dimanche à 17 heures.
Charles Souvion, Jean Bozille et André Lecorre (opérateurs), Jean Goyet (guichetier), Lucette Granjon et Monique Bozille (ouvreuses) se sont chargés durant dix sept ans de l’ensemble des tâches liées aux projections cinématographiques.
L’écran s’éteindra définitivement en 1966.
Les carnavals d’antan
On fêtait Mardi-Gras autrefois par des cavalcades dont certaines éditions sont restées mémorables. En 1997, François Tardieu et René Monestier nous avaient confié leurs souvenirs sur l’édition de 1930. Le premier nous avait parlé des chars ; sur l’un d’eux se trouvaient trois ânes, que M Chenu utilisait pour remonter ses wagonnets de la carrière au four à chaux, ils avaient trois superbes nœuds-papillon et un écriteau qui indiquait : « nous allons à Paris former un ministère » ! Le charcutier Albert Julien avait placé une très longue saucisse sur un autre.
Figurant le Carmentran, Lucien Gounon était resté deux jours dans une cage, imperturbable. Ce fut l’émotion lorsqu’on « brûla » le faux Carmentran après l’avoir jugé place de la Poste : il était tellement ressemblant ! On a ensuite dansé dans la remise de M Arthaud le boulanger. René Monestier (il avait alors 7 ans) se souvenait quant à lui d’Elie Béranger, costumé en petit vieux traînant sa mémé sur un charreton et d’un masque à perruque que Marguerite Rocheville avait fait venir de Suisse.
En 1946 chaque usine avait fait un char, de même que les ouvriers construisant le pont. Henri Guier avait construit un char-guinguette, on avait fait des fleurs chez Reine Hilaire et François Tardieu avait attelé une remorque de voiture à un cheval, y installant ses deux garçons au milieu des choux, ses deux filles au milieu des roses… Dans cette cavalcade, se souvenait ce dernier, il y avait beaucoup de gibus, de melons, de chapeaux claque, des souliers cirés. « Le Père Jacquet s’occupait des jeunes. On faisait des ballons dirigeables en papier fin, on tenait la perche, il chauffait l’air avec du pétrole. On allait jouer du mirliton ». Dans tous les cabanons on fêtait mardi-gras par un casse-croûte, avec en particulier l’omelette aux échalotes, une tradition perpétuée longtemps par Henri Planchon.
Le programme de la première fête annuelle du lundi de Pâques comportait une cavalcade allégorique, « comprenant de nombreux chars, précédés, encadrés et suivis d’écuyers, de pages, clowns etc. » Des « ébats chorégraphiques » allaient suivre puis un défilé aux flambeaux et un « brillant feu d’artifice » suivi du bal champêtre, d’un « quadrille funambulesque » et enfin, à minuit, par une « descente aux enfers avec orchestre et grand charivari ».
Le carnaval fut recréé dans le village en 1974 à l’initiative du Père Daux alors curé de la paroisse. Il a été repris ensuite par le Sou des écoles, rejoint par Bol d’Arts puis par la MJC. En 2004 les Justins, la compagnie de théâtre de rue aoustoise, y participait.
En ce qui concerne les cavalcades, Pierre Baudouin indique que « les cavalcades existaient en 1840 », il précise aussi « qu’en 1946, lors de l ‘inauguration du nouveau pont sur la Drôme, les Aoustois ont pu assister à la dernière cavalcade ».
La salle des fêtes et les spectacles
Terminée avant la guerre, la salle des fêtes n’avait jamais été inaugurée. En septembre 1942, un spectacle a été organisé pour réunir la jeunesse aoustoise à l’instigation de Carmen Tabardel, de Reine Hilaire et de Pierre Barthélémy. En raison du succès rencontré, trois représentations furent assurées par les jeunes; le spectacle était donné au profit des prisonniers de guerre de la localité, l’entrée était de cinq francs. Carmen Tabardel (qui faisait chanter les jeunes) était au piano, un orchestre, des chants (André et Maguy Vache), des sketches, des mimes, étaient au programme de même que la pièce de Labiche « Les deux timides » avec en particulier Raymond Hilaire et Robert Tabardel et une farandole provençale costumée dont les participants ont chanté un extrait de l’Arlésienne. Participèrent également à cette soirée notamment Ginette Hilaire, Tranquille Barnier, Jacques Marlhins.
Ce jour là, nous expliqua Raymond Hilaire, « on avait inauguré le rideau qui se tirait mal d’un côté ». La salle des fêtes disposait de petites loges de un mètre sur deux. La scène était plus large qu’aujourd’hui, elle fut réduite pour créer la salle du troisième âge. Une cabine de projection était prévue au milieu du balcon mais il n’y eut jamais d’appareil ni de film projeté.
Un concert de gala de bienfaisance fut donné à la salle des fêtes le samedi 9 octobre 1948, « sous la haute direction de M Mayeux, membre du jury du conservatoire de Paris ». L’Alliance saillansonne s’y produisit, on y entendit des œuvres pour violon et piano, des chœurs d’hommes, de femmes et mixtes, on y applaudit aussi « La main leste » de Labiche.