Les moulins à vent de la Drôme



Les moulins à vent dans la Drôme



Alors que le Dauphiné passe pour une terre dépourvue de moulins à vent, une recherche sur le terrain et en archives en a livré (à la date de mars 2006) vingt-cinq répartis sur tout le territoire de l’ancienne province. Vraisemblablement érigés en trois grandes vagues successives (les toute premières constructions remontent peut-être au début du XIIIe siècle), ils ont toujours été moins prisés que les moulins à eau et n’ont été conçus que pour tenir un rôle supplétif. Nécessitant un savoir-faire peu répandu au sein des artisans locaux, ils étaient plus nombreux aux abords de la Provence mais existaient jusqu’au cœur des grands massifs montagneux. La plupart de ces moulins ont subi de plein fouet les outrages du temps. Six d’entre eux étaient encore en état de marche au début du XIXe siècle. Aujourd’hui, une douzaine seulement sont encore debout— mais pour combien de temps ? Heureusement, des projets se font jour pour sauver ce patrimoine extraordinaire, dans tous les sens du terme.




Bien que les premières mentions de moulins à vent en Europe ne remontent pas avant 1180, la Drôme en possédait, et depuis fort longtemps. En 1210, une donation au profit du chapitre cathédral de Saint-Paul-Trois-Châteaux, évoque une carrière de meules située sur une colline de Pied-Joux, aux portes de la ville, ainsi qu’un moulin appartenant à l’évêché (Ulysse Chevalier Regeste dauphinois Valence 1913-1926 vol. 2 page 45 acte 6105). Le texte ne précise pas la nature de l’énergie qui le faisait tourner mais, compte tenu du fait que le centre de Pied-Joux est une butte toute sèche, au sommet de laquelle se dressent encore les ruines rondes d’un et peut-être deux moulins, on peut se demander si le bâtiment épiscopal de 1210 n’utilisait pas déjà la force du mistral.







Après de possibles débuts médiévaux, une seconde vague de construction semble avoir eu lieu aux XVIIe et XVIIIe siècles, peut-être pour faire face aux besoins croissants d’une population en expansion. Ainsi la communauté de Rochegude, à côté de Saint Paul Trois Châteaux, en construit un en 1607 ; de même d’après les matrices cadastrales, un moulin est érigé à Pierrelatte en 1839.

Le recensement dans la Drôme en 2005, toutes époques confondues, totalise quinze édifices, ruinés ou conservés Il s’agit des moulins de :

  • Rochegude, lieu-dit Le Puy ;bâtiment conservé.
  • Pierrelatte, qui en compta deux dont l’un aux pieds de la roche ; bâtiment conservé
  • Saint-Paul-Trois-Châteaux, deux moulins dans le parc de Pied Joux ; un bâtiment conservé, l’autre ruiné.
  • Donzère, deux moulins, l’un sur le coteau et l’autre au sud du bourg, dans la plaine ; carte de Cassini, feuille n° 90 («Viviers»). L’un des deux bâtiments au moins est encore conservé.
  • Châteauneuf-du-Rhône ; bâtiment conservé, colline au sud et à proximité immédiate du village.
  • Vaunaveys-La Rochette, lieu-dit Festeille ;carte de Cassini, feuille n° 120 («Die»). Les ruines de ce bâtiment n’ont pu être retrouvées dans le bois qui occupe aujourd’hui son emplacement.
  • Bourg-de-Péage, lieu-dit Maladière ;carte de Cassini, feuille n° 120 («Die»). Bâtiment conservé.
  • Vassieux, deux moulins au lieu-dit La Mure, et deux autres dans le village ; carte de Cassini, feuille n° 120 («Die»). Les ruines des bâtiments de La Mure sont encore visibles. Les deux moulins implantés dans le village sont mentionnés sur le cadastre napoléonien. Ils ont été détruits en 1844 et en 1878 .
  • Jansac ; bâtiment conservé.



Moulin à vent de Pierrelatte

Quinze édifices, ce n’est pas beaucoup. À titre de comparaison, le département de l’Aisne en alignait 371 en 1809 . Les meuniers dauphinois préféraient les moulins hydrauliques. Toujours en 1809, les trois départements de l’ancien Dauphiné pouvaient compter sur 2643 moulins hydrauliques: 1605 en Isère, 670 en Drôme et 368 dans les Hautes-Alpes. Connu pour faire une farine de moindre qualité car moulue irrégulièrement, le moulin à vent ne venait qu’en complément de ses cousins à eau; il devait les suppléer en cas de sécheresse ou de grand gel, afin que la population ait toujours moyen de se ravitailler. Ce qui a fait dire à un préfet de Corse : «Il y a plusieurs communes qui manquent entièrement d’eau en été, et où les moulins à vent seraient non seulement utiles mais nécessaires même, pour exempter cette partie d’habitants des courses non moins longues que fréquentes et dispendieuses, auxquelles ils sont forcés pour faire moudre leurs blés»

Ces quinze moulins à vent se concentraient plutôt au sud du département dans la basse vallée du Rhône, c’est-à-dire en pays de mistral et dans le prolongement direct de la Provence. La moitié d’entre eux était implantée aux abords immédiats de villes et de gros bourgs, comme à Donzère, Pierrelatte, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Bourg-de-Péage. On trouvait aussi des localisations rurales et plus inattendues, comme les quatre moulins plantés à Vassieux, en bout de plateau du Vercors.

L’édification d’une nouveau bâtiment n’allait pas sans quelques difficultés. Les candidats au moulin éolien devaient d’abord trouver un artisan versé dans cet art plutôt rare. En 1604, les habitants de Rochegude en trouvent un tout à côté de leur village, en la personne de maître Etienne Arthaud, menuisier à Sainte-Cécile-les-Vignes. Puis il leur fallait négocier âprement les termes du «prix-fait». . . et parfois être très patient.

Tous sont constitués d’un fut de pierre assez bas, à la manière de ces moulins-tours communs en Languedoc et en Provence. Ils ne possèdent généralement qu’une porte, sauf celui de Bourg-de-Péage, où deux et même trois portes dans le cas péageois, permettaient d’accéder au moulin quelle que soit la direction du vent. De jolis oculi comme à Pierrelatte, ou deux, trois lucarnes comme à Châteauneuf ou à Donzère, offraient au meunier la possibilité de surveiller la bonne marche des ailes. Ces ailes hélas, ont systématiquement disparu, de même que les toits de planches ou d’essendoles (tuiles en bois) qui coiffaient les fûts. Il ne reste plus pour en rappeler le souvenir, que ces chemins dormants sur lesquels ils glissaient pour suivre la course du vent. Celui de Bourg-de-Péage notamment, porte encore gravées dans la molasse les cicatrices faites voici deux siècles et plus par les poutres en mouvement. Pour entraîner l’ensemble du chapiteau et présenter ainsi les ailes au vent, le meunier pouvait utiliser une longue queue de bois accrochée sous le toit et pendant jusqu’à terre; mais, à en juger par l’étroitesse des sites d’implantation et aussi par la mention d’une grosse chaîne au moulin de Rochegude, il semblerait que le système des leviers intérieurs ait eu la préférence des meuniers dauphinois.


Moulin à vent de Donzère



Dans les baux à prix-faits, il est parfois signalé un détail. Contrairement à presque tous les moulins de France, l’édifice reste fixe. Il « ne sera qu’a un vent » disent les actes. Du coup, il n’est pas nécessaire de prévoir deux portes pour se garer des ailes au cas où elles tourneraient juste devant la façade. Le mécanisme gagne aussi en simplicité, en économisant la queue, la grosse croix de poutres de bois et tout l’appareillage destiné à faire pivoter le toit. Par contre en cas de tempête, le meunier n’aura aucun moyen de mettre ses ailes de profil.

Tous ces moulins à vent connurent peu ou prou le même sort, une existence bien éphémère – ce qui explique sans doute qu’ils aient été impitoyablement rayés de la mémoire collective. Inauguré en 1605, le moulin de Rochegude est incendié par des soudards pendant la Fronde ou la guerre de Trente Ans, rebâti en 1651, puis abandonné au XVIIIe siècle, à cause de ses « insuffisances». De même, ceux de Vaunaveys-la-Rochette, de Vassieux. Quant aux deux moulins de Pierrelatte, le plus ancien fut détruit en 1845 et le plus récent, celui construit en 1839, fut désaffecté avant 1880 .

En 2005, il ne subsiste plus que quelques de moulins à vent encore debout. Dans la Drôme. Ceux de Vassieux et de Saint-Paul-Trois-Châteaux ne valent guère mieux, et ne formeront bientôt plus que des monceaux de pierres si rien n’est fait pour les sauver. A Rochegude, un curé peut-être désireux de racheter les péchés du meunier, a transformé la tour séculaire en piédestal pour une statue de la Vierge. On lui pardonnera, c’était en 1866. Restent les belles tours de Pierrelatte, de Châteauneuf-du-Rhône, de Bourg-de-Péage, de Donzère, de Jansac aussi. Même si elles ont subi les outrages du temps, toutes présentent des vestiges plus que suffisants pour une restauration voire une résurrection. Des projets émergent, parfois privés, souvent publics, destinés à leur redonner un toit, des ailes et partant une nouvelle vie. Que ces initiatives soient encouragées, aidées, imitées.




Moulin à vent de Jansac





Sources : Belmont Alain. Un patrimoine insoupçonné : les moulins à vent en Dauphiné. In: Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, n°1-4/2005.