LE DÉPARTEMENT DE LA DRÔME DE 1800 A 1802



Document extrait du Bulletin de la Société d’archéologie et de statistique de la Drôme (1911 (T45) ;1912 (T46).





I – La loi du 28 pluviôse an VIII.

Le nouveau personnel administratif.

De toutes les lois promulguées pendant le Consulat, la plus importante est probablement celle du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) sur la division du territoire français et l’administration. Complétée par deux arrêtés du 17 ventôse (8 mars), cette loi a donné à la France administrative la physionomie que nous lui connaissons encore aujourd’hui. Elle a divisé les départements, créés en 1790 par l’Assemblée Constituante, en arrondissements communaux elle a placé dans ces circonscriptions les fonctionnaires que nous y voyons encore préfets, secrétaires généraux, sous-préfets elle a organisé les conseils qui n’ont pas cessé d’exister conseils de préfecture, conseils généraux de département, conseils d’arrondissement.

Le département de la Drôme fut divisé en quatre arrondissements : 1er Valence , 2e Die, 3e Nyons, 4e Montélimar, et le chef-lieu établi à Valence. Relativement au nombre des conseillers de préfecture et des conseillers généraux, les départements étaient rangés dans trois catégories le département de la Drôme appartenait à la troisième son conseil de préfecture devait être composé de trois membres et son conseil général de seize. Les conseils d’arrondissement étaient composés de onze membres.

Le premier Consul nommait les préfets, les conseillers de préfecture, les membres des conseils généraux de département, le secrétaire général de préfecture, les sous-préfets, les membres des conseils d’arrondissement, les maires et adjoints des villes de plus de 5000 habitants. Les membres des conseils généraux de départements et ceux des conseils d’arrondissements communaux étaient nommés pour trois ans ils pouvaient être continués.

Les préfets, avant d’entrer en fonctions, devaient prêter serment entre les mains du premier Consul ou en celles du commissaire délégué à cet effet. Les conseillers et secrétaires de préfecture devaient prêter le leur entre les mains des préfets.

Le traitement des préfets était ainsi fixé 8000 francs dans les villes dont la population n’excédait pas 15000 habitants; 12000 francs dans celles de 15 à 30000 habitants ;16000 francs dans celles de 30 à 45000 habitants ; 20000 francs dans celles de 45 à 100000 habitants ; 24000 francs dans celles de 100000 habitants et au-dessus 30 000 francs à Paris. Le traitement des conseillers de préfecture était dans chaque département le dixième de celui du préfet de 1200 francs dans les départements où le traitement des préfets n’était que de 8000 francs. Le traitement des secrétaires de préfecture était le tiers de celui des préfets néanmoins il ne pouvait être moindre de 3000 francs, ni plus fort que 6000 francs.

Le traitement des sous-préfets, dans les villes dont la population excédait 20000 habitants, était fixé à 4000 francs, et à 3000 dans les autres.

Les préfets des départements furent nommés par un arrêté du premier Consul en date du 11 ventôse (2 mars). Celui de la Drôme fut Jean-Baptiste Collin, administrateur des douanes (1).

Arrivé à Valence le 2 germinal (23 mars), Collin demanda qu’on hâtât la nomination de ses collaborateurs. Il insista sur la nécessité de nommer sans délai aux sous-préfectures. « Le retard que cette nomination éprouve est très nuisible à la chose publique, parce qu’il m’est impossible de rien obtenir de la plupart des municipalités. Il en est même qui m’avaient annoncé qu’elles cessaient toutes fonctions je leur ai ordonné de les continuer » (2).

Par un arrêté du 18 germinal an VIII (8 avril 1800), le premier Consul nomma les trois membres du Conseil de préfecture Curnier, Lombard-Lachaux, de Villeneuve, et les trois sous-préfets Athénor dans le deuxième arrondissement, Richaud dans le troisième, Gaud-Roussillac dans le quatrième (3).

Curnier (Antoine-Jean-Charles), né à Crest, le le 16 mars 1751 avocat avant 1790, avait été successivement, pendant la Révolution, administrateur du département, commissaire pour l’organisation du Comtat, accusateur public, commissaire du Directoire près l’administration centrale du département. Il resta peu au Conseil de Préfecture. Le 12 prairial (1er juin 1800), un arrêté du premier Consul l’appela aux fonctions de commissaire au tribunal criminel de Valence (4). Lombard-Lachaux, né à Beaufort le 4 juin 1744, pasteur à Nyons de 1775 à 1786, puis à Orléans, maire de cette ville, député du Loiret à la Convention nationale, était dans un état voisin de la misère lorsqu’il fut nommé membre du Conseil de préfecture de la Drôme. Plusieurs mois après l’arrêté de nomination, il écrivit au Ministre de l’Intérieur « Il m’est également impossible d’accepter et de refuser. Je ne puis, faute de moyens, me rendre à Valence. Il me serait bien plus impossible encore, non seulement d’y exister, mais surtout d’y économiser sur mon traitement de quoi faire face à des dettes d’honneur que la privation d’une place, des maladies et les infirmités continuelles de mon épouse m’ont forcé de contracter ». Il sollicitait un emploi ne nécessitant pas de déplacement (5).

André-Laurent de Villeneuve, né à Upie le 14 janvier 1745, successivement garde du corps du Roi, administrateur du district de Valence, maire d’Upie, ne conserva guère que pendant un an ses fonctions de conseiller de préfecture.

Le 24 prairial (13 juin), le préfet écrivait au Ministre pour proposer, en remplacement de Curnier appelé à d’autres fonctions et de Lombard-Lachaux dont il n’avait aucune nouvelle, Gueymard du Palais et Boveron, adjoint au maire de Valence (6).

Un arrêté du 13 thermidor (1er août) nomma conseiller de préfecture, en remplacement de Curnier, Chaponel, né à La Seyne, ancien agent commercial du gouvernement à Cayenne et dans la Caroline du Nord, ancien vice-consul à Diano, province de Gênes. Le 28 fructidor (15 septembre), Lombard-Lachaux non acceptant, fut remplacé par François Marbos celui-ci, né le 23 février 1739, curé de Bourg-lès-Valence, évêque constitutionnel de la Drôme, député a la Convention, membre du Conseil des Cinq-Cents, devait rester au Conseil de préfecture jusqu’à sa mort, survenue en 1825 (7). De Villeneuve fut remplacé le 19 floréal an IX (9 mai 1801), par Pierre-Alexandre Gueymard du Palais, né à Die le 28 juillet 1742, ancien capitaine au régiment de Soissonnais (8).

Jean-Louis Athénor, nommé sous-préfet du deuxième arrondissement, exerçait à Crest les fonctions de juge de paix. Il n’accepta pas celles que lui confiait le premier Consul « Autant cette nomination me flatte, autant je suis peiné que la position où je me trouve ne me permette pas de répondre à la confiance honorable que me témoigne le premier Consul. Une épouse malade depuis deux mois et dont l’état n’est rien moins que rassurant, une mère presque octogénaire, les soins que je leur dois rendent tout déplacement de ma part impossible et conséquemment mon séjour à Die. » (9). Un candidat se présenta aussitôt François FalquetTravail écrivit au Ministre de l’Intérieur, le 2 floréal (22 avril), pour demander la sous-préfecture refusée par Athénor (10). Il y fut nommé par un arrêté du premier Consul du 14 prairial an VIII (3 juin 1800).

Le nouveau sous-préfet de Die, né à Bourgoin le 23 mai 1753, appartenait à une famille grenobloise. Son grand-père avait été consul en 1730, puis procureur du Roi en l’hôtel de ville. Lui-même, après avoir occupé le poste d’inspecteur général des domaines corporels du Dauphiné, avait été subdélégué au département de Grenoble, en 1776 et en 1778, puis procureur du Roi à la maréchaussée générale du Dauphiné. En 1788, 1789 et 1790, il avait exercé les fonctions de procureur général syndic des Etats du Dauphiné et de la Commission intermédiaire. Retiré à Crest, notable de cette ville, il avait été incarcéré quelque temps en 1793. Il s’était occupé à des recherches minérales et à l’exploitation des mines dont il était concessionnaire. Il était correspondant de la commission des arts et de l’agence des mines. Il avait employé son influence à rapprocher les partis, « demandant le sacrifice des haines au nom de Bonaparte, prévoyant depuis la paix de Campo-Formio que les destinées de la France étaient attachées à celles de ce héros. Se trouvant à Paris au 18 brumaire, il chercha à faire parvenir au général consul Bonaparte l’hommage de son dévouement et le désir de pouvoir transmettre les renseignements qu’il jugerait utile sur la ci-devant province de Dauphiné, mais sans rien demander personnellement » (11). Marié, père de trois enfants, il déclarait que sa fortune personnelle, détruite par la Révolution, relevée en partie sur des objets ou découvertes d’industrie, pouvait être très approximativement évaluée à 150 ou 200000 francs.

Falquet-Travail promit fidélité à la Constitution le 30 prairial et prit possession de son poste le messidor (23 juin). Il devait rester a Die pendant toute la durée du Premier Empire. Pendant les Cent Jours, il fut remplacé par François-Xavier Guillermet, nommé par Roederer, commissaire extraordinaire de l’Empereur dans les 7e et 8e divisions militaires Il reprit ses fonctions le 16 juillet 1815 et les conserva jusqu’au 21 août 1822, date à laquelle il fut admis à la retraite. Son successeur, de Beaumont, demanda pour lui la croix de la Légion d’honneur. Je ne sais si elle lui fut accordée. Il mourut en 1827.

Jacques-Alexis-Benoît Richaud, nommé sous-préfet du troisième arrondissement (Nyons), était également originaire du pays qu’il était appelé à administrer. Né au Buis le 17 septembre 1750, procureur au bailliage de cette ville, il était ensuite devenu juge au tribunal du district, puis au tribunal civil du département de la Drôme. Installé dans ses fonctions de sous-préfet, le 7 floréal an VIII (27 avril 1800), il les conserva jusqu’au 30 fructidor an IX (17 septembre 1801). Il mourut en brumaire an XIII, étant membre du tribunal criminel de la Drôme.

Le sous-préfet du quatrième arrondissement, Gaud-Roussillac (Joseph-Antoine-Marie-Lambert) était né à Valréas, le 15 août 1760. Avocat, il avait exerce des fonctions judiciaires et administratives après la réunion du Comtat à la France il avait été commissaire du Directoire près le tribunal correctionnel de Nyons, puis substitut du commissaire près les tribunaux de la Drôme. Il prit possession de son poste le 2 floréal an VIII (22 avril 1800) II devait y rester jusqu’en 1815, malgré plus d’une tentative pour en sortir. Dès le 29 ventôse an X (20 mars 1802), le préfet demandait pour lui au Ministre de l’Intérieur l’une des préfectures vacantes des Hautes-Alpes ou des Basses-Alpes. En 1809, il le recommandait très chaudement au général Miollis. gouverneur de Rome, pour le faire nommer à une préfecture ou à quelque place équivalente dans les ci-devant états du Pape. Après l’abdication de Napoléon, une ordonnance royale du 16 juillet 1814 remplaça Gaud-Roussillac par le sieur de La Boissière. Rétabli à la sous-préfecture de Montélimar par décrets impériaux des 20 avril et 10 juin 1815, Gaud-Roussillac fut destitué par l’ordonnance royale du 7 juillet 1815 et définitivement remplacé par de La Boissière (12). Le personnel administratif fut complété par la nomination du secrétaire général de préfecture, faite par arrêté du 15 floréal (5 mai). Jean-Antoine Vallenet, né à Roissy (Seine-et-Oise), le 15 août 1760, avait servi dans l’armée, puis dans l’administration des aides pendant la Révolution, il avait été administrateur et procureur-syndic du district de Gonesse. Installé le 21 prairial (10 juin), dans ses fonctions de secrétaire général, il les conserva jusqu’en 1811.

Ainsi, dans le département de la Drôme, le préfet et le secrétaire général étaient seuls étrangers au pays les trois membres du conseil de préfecture et les trois sous-préfets furent des hommes nés en Dauphiné ou dans les provinces voisines, tous dans la maturité de l’âge et ayant déjà exercé des fonctions judiciaires ou administratives.

Un arrêté du premier Consul en date du 1er prairial (21 mai 1800), nomma les membres du Conseil général, au nombre de seize (13) Bachasson-Montalivet, propriétaire, de Valence; Robin, directeur de l’enregistrement et des domaines, à Valence Gailhard, directeur des contributions à Valence Lacroix-Saint-Vallier, propriétaire à Saint- Vallier Jourdan fils, négociant à Tain; Duvivier, ancien magistrat, propriétaire à Romans Freycinet, fabricant de Loriol Athénor, juge de paix à Crest Rigaud de Lisle, propriétaire-cultivateur à Crest Reboul, avoué à Die Magnan aîné, homme de loi, de La Motte-Chalancon Jacomin père, de Nyons, homme de loi, ex-commissaire du gouvernement près le tribunal correctionel de Nyons Farre neveu, homme de loi, du Buis Pellapra-Voullaire, homme de loi, de Montélimar Morin aîné, négociant, de Dieulefit; d’Allard, propriétaire, de Pierrelatte (14).

Par trois autres arrêtés du même jour, furent nommés les membres des conseils des deuxième, troisième et quatrième arrondissements.

Les membres du conseil du deuxième arrondissement (Die) furent : Valentin, de Die, avoué, ex-commissaire du gouvernement près l’administration du canton de Die ; Julien fils, notaire, de Saint-Nazaire-le-Désert ; Marcel neveu, notaire, de Pontaix ; Bellier, propriétaire, de Crest ; Daly, propriétaire, ex-administrateur du département, de Crest ; Bonnard. propriétaire, ex-commissaire du gouvernement près le canton de Châtillon ; Bancel, d’Allex, notaire, juge de paix, ancien président de l’administration du district de Crest ; Vigne aîné, officier de santé, de Bourdeaux ; Pourtier, propriétaire, de Saillans; Laurens, notaire, ex-commissaire du gouvernement près le canton de Lus-la-Croix-Haute ; Morin fils, notaire, de Poyols.

Le conseil du troisième arrondissement (Nyons) fut ainsi composé : Deydier, médecin, ex-administrateur du département, de Nyons ; Aubert, homme de loi, ancien administrateur du district de Nyons, du Buis ; Hector de Lachau. propriétaire, ancien administrateur du district, de Saint-Auban ; Beauchamp aîné, propriétaire, ancien avocat au Parlement d’Aix, de Vers; Consolin fils, propriétaire, membre de la Société d’agriculture, de Mollans ; Marcellin, notaire, homme de loi, de Rémuzat ; Givodan fils aîné, propriétaire, de Sahune; Cassan aîné, propriétaire, ancien membre de l’administration centrale du département ,de Montbrun ; Auzias, propriétaire, ancien maire, de Mirabel ; Barbier-Villecroze, juge de paix, du Buis; Bonnefoy, propriétaire, ex-commissaire près le canton de Sainte-Jalle, de Séderon.

Les membres du conseil du quatrième arrondissement (Montélimar) furent : Alançon aîné, homme de loi, de Montélimar ; Meilhon fils, maire de Marsanne ;Chabas, propriétaire, de Saint-Marcel ; Combe fils. homme de loi, de Dieulefit ; Grosset, ancien notaire. maire de Taulignan ; Veyrenc, notaire, de Grignan ;Delubac, propriétaire, ex-administrateur du district de Montélimar, de Saint-Paul-Trois-Châteaux ; Téoule, négociant, de Pierrelatte; Meynot aîné, propriétaire, de Donzère ; Brun-Larochette fils, notaire, de Châteauneuf-de-Mazenc : Cheynet, avocat, ex-constituant, de Montélimar.

Un arrêté du 14 prairial (3 juin) nomma les membres du conseil du premier arrondissement (Valence) : Chorier aîné, de Valence, ancien magistrat ; Blachette fils, de Valence, receveur général du département ; Regnard, de Valence, ex-commissaire du gouvernement près l’administration municipale de Valence ; Legentil, de Romans, homme de loi, ex-président de l’administration municipale ; Antelme, de Romans, médecin, ancien administrateur du département ; Fleury fils, de Saint-Vallier. juge de paix, ancien député à la première législature ; Belin, propriétaire, de Tain ; Ezingeard, propriétaire, ancien membre des Etats du Dauphiné et de l’Assemblée constituante, de Saint-Jean-en-Royans ; Viriville (Jean-Baptiste) propriétaire, ex-commissaire du Directoire près le canton de Chabeuil ; Blancard, de Loriol, juge de paix, ex-constituant ; Melleret (Antoine), propriétaire, ex-commissaire du gouvernement près le canton d’Etoile.

Anciens députés aux assemblées de la Révolution, anciens administrateurs du département et des districts, juges de paix, notaires, médecins, propriétaires, négociants, les membres du Conseil général et des Conseils d’arrondissement, choisis parmi les hommes les plus distingués du pays, devaient être pour l’administration d’utiles auxiliaires.

IISituation du département. – Le brigandage.

Nommé préfet de la Drôme par arrêté du i ventôse an VIII (2 mars 1800), J.-B. Collin prêta serment de fidélité à la Constitution le 24, quitta Paris le 26, et arriva à Valence le 2 germinal (23 mars). Il prit aussitôt possession de ses fonctions et adressa une proclamation aux habitants du département.

« Citoyens,

J’arrive au milieu de vous avec le plus vif désir d’obtenir votre estime et votre confiance je les mériterai, en suivant les intentions d’un Gouvernement, dont tous les vœux, toutes les pensées, toutes les conceptions tendent au bonheur de la France, qui n’aspire à d’autre gloire, à d’autre jouissance, qu’à celle de fermer toutes les plaies, de protéger l’agriculture, de ranimer le commerce, d’encourager les fabriques et de faire fleurir les sciences et les arts.

La paix est le premier bien qu’il eût voulu vous donner. Le premier Consul fort de l’amour des Français, acquis par tant de hauts faits que la postérité aura peine à croire, fort des ressources de son vaste génie, et de la confiance des armées toujours invincibles lorsqu’il les commande; mais plus sensible à la gloire d’être le pacificateur que le vainqueur de l’Europe, a présente l’olivier à nos ennemis. Vous savez, Citoyens, avec quelle arrogance l’Angleterre a repoussé des ouvertures franches et loyales, dictées par la justice et l’humanité.

Cette nation ambitieuse qui voudrait seule commander au Monde, dût-elle par une guerre éternelle et sanglante, en faire disparaître une partie des habitants cette implacable ennemie de la France, sous tous les gouvernements, veut encore la guerre ses agents circulent partout, achètent les suffrages et couvrent de son or corrupteur le précipice où elle veut entraîner toutes les nations du continent. Soldats, qui avez obtenu des congés honorables, ou qui admis dans des compagnies de vétérans, êtes encore en état de faire une dernière campagne, vous qui avez déjà détruit plusieurs armées ennemies, et en avez repoussé les débris jusqu’aux portes de Vienne, à la voix de votre général, votre mâle courage s’indigne du repos où vous vivez, tandis que vos frères d’armes se préparent aux combats vous brûlez d’être les compagnons de leur gloire.

Réquisitionnaires et conscrits, je ne vous ferai pas l’injure de croire que vous hésiterez à vous rendre où le devoir et l’honneur vous appellent. Vous connaissez la proclamation et l’arrêté des Consuls du 17 ventôse (15), vous en exécuterez les dispositions avec le zèle et l’ardeur qui caractérisent toujours la jeunesse française.

Parmi les citoyens à qui la loi n’ordonne pas de marcher à la défense de la Patrie, il en est, sans doute, qui voudront suivre le Héros qui les appelle, partager ses périls ainsi que ses triomphes. Déjà un grand nombre de volontaires sortis du département de la Seine s’avancent vers les plaines de Dijon, et celui de la Drôme ne sera pas le dernier à donner cet exemple de dévouement.

Les Bataillons qui s’ébranlent de toutes parts, mettront bientôt un terme aux horreurs de la guerre, et celui qui a tant de fois commandé la victoire, saura conquérir la paix; mais tous les Français doivent réunir leurs efforts pour que la campagne prochaine, si elle devient nécessaire, soit la dernière.

Généreux habitants de la Drôme vous ne souffrirez pas que vos fils, vos neveux, vos amis, qui vont combattre pour vous, éprouvent des besoins et vous savez que le Gouvernement ne peut y pourvoir qu’autant que vous payerez exactement les Contributions de l’an 8 vous ferez plus, vous doublerez les moyens de vaincre nos ennemis, en avançant es payements.

Les Consuls ont arrêté que le département qui, à la fin de germinal, aurait payé la plus forte partie des impositions, donnerait son nom à la principale place de Paris. Qu’il me serait doux d’apprendre qu’une inscription annonce aux étrangers comme aux nationaux, que le département de la Drôme est celui qui a bien mérité de la Patrie

Ne perdons jamais de vue, Citoyens, que nos troubles intérieurs, en donnant à nos ennemis l’espérance d’en profiter, ont jusqu’à ce moment éloigné la paix. Je vous en conjure donc au nom d’un gouvernement qui voudrait n’avoir plus que des bienfaits à répandre, je vous en conjure donc au nom de l’engagement que je prends d’employer toutes mes facultés, tous mes instants à seconder ses vues libérales que l’union et la concorde soient à jamais rétablies dans ce département Vous connaissez les funestes effets de ces divisions qui ont désolé les Cités et les Campagnes, porté la discorde dans le sein des familles, désuni les amis; dans leur fureur insensée, elles allaient briser les liens de l’ordre social, lorsqu’un génie tutélaire en arrêta les progrès. Qu’elles soient à jamais éteintes que toutes les dénominations qui pourraient en rappeler le souvenir disparaissent de notre langue que toutes les passions, toutes les opinions se confondent dans la seule qui soit digne des Français, l’AMOUR DE LA PATRIE Ne formons plus qu’une famille, dont le bonheur et la tranquillité seront l’objet continuel de ma sollicitude et si le succès couronne mes espérances, les voeux les plus chers à mon coeur seront tous remplis.

J.-B. COLLIN, préfet.

Par le préfet,

GASTOLD, secrétaire général, provisoire (16).

Cette proclamation, paraphrase assez terne de celle des Consuls, fut envoyée au Ministre de l’Intérieur qui, avec raison, la jugea faible. Le préfet aurait pu s’adresser dans les mêmes termes aux habitants de n’importe quel département. Aucune allusion à la situation particulière de celui de la Drôme. Or, la partie méridionale de ce département était profondément troublée. Il était nécessaire de prendre promptement des mesures énergiques pour y rétablir l’ordre.

Depuis plusieurs années, incendies, vols, assassinats, arrestations de courriers sur la route de Lyon à Marseille, se succédaient avec une effrayante rapidité. Déjà, le 8 prairial an IV (27 mai 1796), le Ministre de la Police écrivait au commissaire près le département de la Drôme :

Je suis informé qu’il se commet dans votre département des vols et brigandages considérables; il résulte des rapports qui me sont faits que des hommes armés se transportent dans les maisons de campagne, qu’ils saisissent les personnes qu’ils y trouvent, leur lient les mains et les exposent a un grand teu, en les menaçant de les brûler, s’ils ne leur don- nent leur argent que les routes sont pleines de voleurs qui pillent et volent les voyageurs, au point que ces derniers sont obligés de se réunir pour faire leur route.

De tels désordres ont peine à se concevoir, et je ne puis comprendre comment les autoritésconstituées peuvent voir aussi indifféremment de semblables attentats. (17) Le 16 vendémiaire an V (7 octobre 1796), le Commissaire du Directoire exécutif déclarait que « depuis longtemps les oreilles sont fatiguées des brigandages qui se commettent sur les grandes routes du département n. L’administration centrale décida de placer provisoirement, jusqu’à ce que les grandes routes soient purgées de brigands, une brigade de gendarmerie dans chacune des localités de Donzère, la Coucourde, la Paillasse et Tain; d’établir un détachement de 12 hommes d’infanterie au pont de la Drôme et un autre semblable au bac de l’Isère (18).

Les opérations, dirigées en l’an VI par le général Merck, n’eurent qu’un médiocre succès; poursuivis dans la Drôme. les brigands fuyaient dans les départements voisins, dans celui de Vaucluse, ou, au-dela du Rhône, dans le Gard ou l’Ardèche.

Les arrestations de voitures publiques se renouvelèrent fréquemment pendant tout le cours de l’an VII. Le 25 vendémiaire an VIII (15 octobre 1799), le Ministre de la Police générale, Fouché, rappelait au commissaire central de la Drôme les moyens de réprimer le brigandage. Stricte exécution des lois de police générale, zèle et accord parfait des autorités civiles et militaires, activité de la gendarmerie, organisation des colonnes mobiles, poursuite non interrompue des émigrés, des prêtres rebelles et des déserteurs.

J’ai plus d’une fois fixé votre attention sur les communes de la Drôme qui avoisinent le département de Vaucluse; je vous réitère la recommandation de les surveiller. Faites un appel au patriotisme de leurs habitants; ordonnez des battues fréquentes aux colonnes mobiles de Montélimar, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Nyons, etc. prenez la justice et les lois pour règle constante de vos démarches, et vous ne tarderez pas à recueillir la plus douce récompense qu’un fonctionnaire public puisse désirer, celle d’avoir servi utilement sa patrie, d’avoir arraché ses concitoyens aux horreurs que leur préparaient des pervers (19).

Pendant les premiers mois de l’an VIII, les crimes se multiplièrent. Le 19 vendémiaire (11 octobre 1799), à 6 heures du soir, onze brigands, armés de fusils et de sabres, envahissent le domaine du citoyen Charpenel, agent municipal de la commune de Montbrison. Sa femme, qui se trouvait seule à la maison, est frappée à coups de sabre. A ses cris, des gens accourent et les brigands prennent la fuite.

Le 26 vendémiaire (18 octobre), vers 8 ou 9 heures du soir, la malle de montée est arrêté par 25 ou 30 brigands, à un quart de lieue de Lapalud, dans la forêt des Blaches. Elle était occupée par trois voyageurs et escortée par quatre hussards. L’un de ceux-ci, galopant vers Pierrelatte pour y chercher du secours, a son cheval tué sous lui. Le courrier est tué à bout portant d’un coup de pistolet dans la tête. Les bagages sont pillés : 50 louis d’effets ou d’argent sont volés. Un des voyageurs habillé en bourgeois fut reconnu pour être militaire à sa moustache et forcé de crier Vive le Roi (20)

Le 3 brumaire (25 octobre), vers 5 heures du soir, quarante brigands envahissent le village de Baume-de-Transit, en tirant des coups de fusil. Ils se portent vers la maison de la veuve Chastan, mère du percepteur, aux cris de « Vive Louis XVIII ! Les chasseurs du Roi en avant ! A bas les assassins de Bouchet ! Détruisons les brigands, les fondeurs de cloches, mangeurs de papier ! » Le percepteur a emporté l’argent de la recette. Furieux, es brigands bousculent sa mère, une vieille femme de 70 ans, la frappent d’un coup de sabre à la main gauche, renversent les meubles, brisent la vaisselle, lui prennent 4 ou 5 francs de monnaie qu’elle avait dans sa poche. Après de vaines tentatives pour pénétrer dans la maison du fils, les brigands quittent le village. Des habitants de la commune de Montségur se mettent à leur poursuite. On se rencontre. « Qui vive » crient les brigands. « Républicains français », répondent les gens de Montségur. Aussitôt éclate une décharge de coups de fusil un garde national, nommé Jean Joussain, est tué (21). Les brigands disparaissent à la faveur du brouillard et de l’obscurité.

Le 15 brumaire (6 novembre), la messagerie nationale des départements méridionaux ou turgotine, qui transporte cinq voyageurs, est arrêtée vers 6 heures du soir au nord du territoire de Châteauneuf-du-Rhône, près de l’auberge dite le Pélican, par une trentaine de brigands, armés de fusils et de sabres, qui se précipitent en criant: « Arrête, arrête, coquin ! Aux armes ! Nous voulons l’argent de la République ! » Malles, caisses, paquets sont jetés à terre et pillés. Les brigands se retirent, au commandement de l’un d’eux « Grenadiers, chasseurs de Louis XVIII, en avant, marche ! » Conducteur et voyageurs ramassent ce que les voleurs ont laissé à terre, puis ils rebroussent chemin jusqu’à Donzère. La garde nationale, la gendarmerie, un détachement de cavalerie partent à la recherche des brigands, sans pouvoir les découvrir.

Le 29 brumaire (20 novembre), vers 5 heures du soir, une bande de brigands se porte au domaine d’un nommé Gontard, de la commune de Solérieu ; ils le tuent et blessent grièvement sa femme. Le berger, encore enfant, va chercher du secours. Le granger du domaine voisin accourt : il est atteint par une balle et tué. Les administrateurs du canton de Saint-Paul, en rendant compte de ces crimes à ceux du département, ajoutent

Ces excès ne se commettent jamais que sur des personnes entachées de républicanisme.

Il y a quelques jours, un malheureux fut assassiné dans sa maison à Bouchet, avant-hier un gendarme de la brigade de Montdragon le fut sur la route de Montdragon à Lapalud bientôt il n’y aura plus d’asile assuré et il faudra se vouer à la fureur des brigands.

Nous vous avons souvent demandé de la troupe et des armes. Vous nous en avez accordé, mais en si petite quantité qu’on peut regarder le tout comme nul : 20 hommes et 15 fusils à Saint-Paul; 16 hommes et 5 fusils à Baume….

Nous ne vous le dissimulons pas si nous n’obtenons pas de plus amples secours, nous sommes prêts à donner nos démissions car il est bien douloureux de sacrifier aux affaires publiques un temps absolument nécessaire à procurer la subsistance de nos familles et d’être continuellement en butte aux traits des assassins qui nous environnent, précisément parce qu’aux dernières élections le républicanisme a déterminé les choix aux fonctions publiques.

Le 30 brumaire (21 novembre), deux citoyens de la commune de Bollène sont assassinés, à 4 heures de l’après-midi, à une très petite distance de leur commune. Le 1er frimaire (22 novembre), à l’aube du jour, un marchand de cochons est tué sur les confins de Suze et de Saint-Restitut. L’administration municipale du canton de Saint-Paul fait part de ces nouvelles à celle du département le 3 frimaire (24 novembre), et poursuit ainsi.

Voilà, Citoyens administrateurs, bien des crimes qui se succèdent avec rapidité et qui annoncent que bientôt cette malheureuse contrée portera le nom de Vendée Méridionale. Mais, hélas au moment où nous allions fermer notre lettre, quel bruit vient encore frapper nos oreilles Ne nous annonce-t-on pas que la commune de Suze est en ce moment livrée à la fureur meurtrière des brigands ? Voici ce que nous rapportent deux de ses habitants qui en ont fui pour se soustraire à la mort, et qui viennent nous demander asile. La municipalité proclamait avec pompe et au bruit des boîtes le décret et la loi des 18 et 19 brumaire. A l’issue de la proclamation, une peuplade armée et masquée entre dans la commune les royalistes du lieu la renforcent. Ils abattent l’arbre de la liberté et se portent successivement chez les républicains qu’ils fusillent et égorgent. D’autres rapports nous disent que cette horde assassine se porta ensuite à Tulette où elle exerça les mêmes excès. L’histoire vendéenne fournit-elle des traits plus cruels et plus barbares ? Cette horde grossit tous les jours et nous savons que le projet est de cimenter du sang des républicains qu’ils auront égorgés le trône qu’ils prétendent élever à la royauté. Et cependant aucunes mesures ne sont prises par le gouvernement pour mettre un terme à ces maux. Si nous devons retomber sous le régime monarchique, la chose peut s’opérer en économisant le sang français. S’il faut se livrer aux fureurs de l’anarchie, bientôt la superbe France ne sera plus qu’un vaste cimetière.

Le 9 frimaire (30 novembre), le trésor national, 8.000 francs environ, provenant de la recette du préposé du Buis, porte sur un mulet, escorté par deux gendarmes et cinq volontaires de la 2e demi-brigade piémontaise cantonnée à Nyons, est attaqué entre i heures et midi par une troupe de brigands, sur le territoire de Montbrison. Les gendarmes sont blessés et mis en fuite les soldats d’escorte sont désarmés, trois militaires déserteurs sont délivrés. Les brigands s’emparent des caisses contenant le trésor, les éventrent et se partagent l’argent. Les gardes nationales de Taulignan, du Pègue, de Rousset et de Montbrison se lancent à leur poursuite, mais sans parvenir à les atteindre. Le même jour, un cultivateur est assassiné près d’un hameau de la commune de Colonzelle, sur la frontière du département de Vaucluse.

Le 11 frimaire (2 décembre), deux vols sont commis par des brigands armés de fusils d’ans la commune de Mirabel, au quartier des Blaches.

Le 22 frimaire (13 décembre), à la nuit tombante, un habitant de la commune de Grignan est arrêté sur le territoire de Chantemerle par deux brigands armés et dépouillé d’une somme de 1.600 francs. Le 26 frimaire (17 décembre), à Salles, deux ou trois individus attendent cinq ou six bons républicains qui soupent dans une auberge. A leur sortie, ils sont accueillis à coups de fusils deux sont atteints, l’un mortellement, l’autre très grièvement.

Le 29 frimaire (20 décembre), sur le territoire de Mirabel, cinq brigands pénètrent dans une grange, blessent une femme et son enfant âgé de 12 ans, pillent l’argent, le linge et les vêtements. Le détachement de Piémontais, stationné dans la commune, fait une patrouille, sous la direction du juge de paix, sans pouvoir découvrir trace des bandits.

Le surlendemain, 1ernivôse, l’administration municipale du canton de Mirabel, indignée de l’apathie et de l’indifférence des habitants qui refusent de porter secours à leurs concitoyens attaqués, prend un arrêté pour la mise en activité de la garde nationale et rédige une proclamation.

Dans le courant des mois de messidor et thermidor dernier, les propriétés publiques et particulières furent violées dans cette commune et des êtres criminels portèrent une main liberticide sur le signe chéri de notre régénération politique. Des mesures actives furent employées pour découvrir les coupables de ces forfaits, mais leurs crimes furent couverts d’un voile impénétrable et l’action de la justice resta sans effet.

De nouveaux attentats et non moins affreux que les précédents viennent de se commettre. L’asile d’un cultivateur a été souillé par des scélérats qui, après s’être introduits dans cette paisible chaumière, et non contents d’assouvir leur avide cupidité en s’emparant de tous les effets de cette famille laborieuse, y ont fait couler le sang innocent ils ont assassiné la mère et son jeune fils.

Rappelez-vous donc, Citoyens, cette journée mémorable (le 29 juillet 1789), lorsque du moment où l’on vous eùt annoncé l’arrivée prochaine d’une troupe de brigands imaginaires, vous vous armâtes tous à l’instant pour les combattre. Eh quoi Aujourd’hui tandis que des hordes réelles de brigands répandus dans votre territoire y portent l’incendie, la dévastation et la mort, vous restez insensibles spectateurs des crimes qui se commettent sous vos yeux et sur les personnes qui vous sont les plus chères Sortez de cette coupable léthargie, qui ne tend qu’à augmenter la source des malheurs que vous auriez dû prévenir et que vous devriez faire cesser.

Le département de Vaucluse servait d’asile à de nombreux brigands. Le 30 frimaire (21 décembre), l’administration municipale du canton de Nyons écrivait à l’administration centrale du département

Tout annonce, citoyens administrateurs, que le département du Vaucluse est le centre d’une nouvelle Vendée. L’assassinat et le brigandage sont entièrement organisés dans ce département. Le 28 du présent, les citoyens Morenas, Cassan frères et Bonnin de la commune de Montbrun furent assassinés à une heures après-midi en sortant sur les remparts de Carpentras. Morenas reçut 18 coups de feu et il expira ; Cassan cadet en reçut quatre, Bonnin fut aussi blessé mais les blessures de ces derniers ne sont pas mortelles. Cassan aîné parvint à s’échapper et ne fut atteint d’aucun coup des brigands.

A Valréas, une bande de cent hommes, est organisée, ils promènent dans la ville et le long des remparts en armes. Nous craignons que si le gouvernement ne prend pas des mesures promptes et énergiques, les républicains ne soient de nouveau frappés du poignard des infâmes royalistes. Ces craintes n’étaient que trop fondées. Le 5 ventôse (24 février 1800), à Valréas, un brigand est arrêté pour avoir insulté trois citoyens. Ses camarades s’assemblent, au nombre d’une trentaine, s’arment de fusils, et, vers trois heures, attaquent le corps de garde en réclamant leur compagnon arrêté. Des officiers interviennent ils sont criblés de coups de fusils. Le chef de brigade commandant des troupes stationnées à Valréas, un chef de bataillon, un capitaine, un sergent, tombent morts sous les balles des brigands Ceux-ci insultent les cadavres de leurs victimes, aux cris de Vive le Roi et dansent des farandoles le sabre à la main (22). Pour lutter contre le brigandage, l’administration centrale du département ne sut prendre que des mesures insuffisantes. Par un arrêté du 4 ventôse (23 février\ rappelant d’autres arrêtés précédents, elle prescrivait que les gardes nationales sédentaires des cantons de Pierrelatte, Donzère, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Grignan, Taulignan, Nyons, Vinsobres, Mirabel, Mollans, Le Buis, Sainte-jalle. Montbrun et Montauban seraient mises en état de service permanent pour veiller à la sûreté publique et individuelle de la partie méridionale du département. Mais les gardes nationales étaient impuissantes à détruire le brigandage.

Le commissaire du gouvernement près le canton de Grignan, Martin, effrayé de l’audace toujours croissante des brigands, écrivait directement au Ministre de la Police générale, le 12 nivôse (2 janvier 1800), et lui exposait, avec une remarquable netteté, les mesures qu’il jugeait propres à faire cesser le brigandage. Il faudrait avoir un détachement de deux cents hommes, robustes et vigoureux, bien commandés, avec un supplément de paye pour les dédommager des courses extraordinaires, de manière qu’ils ne fussent à charge aux particuliers que pour le logement, qui fussent sans cesse en patrouille, autorisés à faire des visites domiciliaires et à entrer d’un département dans un autre, c’est-à-dire de celui de la Drôme dans Vaucluse, car c’est dans ce dernier que se forment tous les complots, et d’où sortent la plus grande partie de ces voleurs. Ce nombre d’hommes, qu’on diviserait au besoin, parcourraient alternativement les cantons de Pierrelatte, Donzère, Saint-Paul, Taulignan, Grignan, Valréas, Suze et Bollène. C’est dans ces cantons où se réfugient les brigands mais comme ils n’ont point de domicile fixe, et se trouvent tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, il conviendrait que l’administration municipale désignât les maisons de campagne ou autres, où ces scélérats se réfugient ordinairement elles sont toutes connues, ainsi que les brigands, car je sais positivement que chaque commune connaît les siens. La gendarmerie de ces contrées étant toujours avec la troupe, lui indiquerait les asiles connus, car il ne faut pas compter sur la garde nationale du pays, attendu qu’on sait positivement que ces brigands notent tous ceux qui prennent la moindre part à leur poursuite, ou à leur arrestation, et il y a le plus grand danger à se montrer

Etablir à Montélimar, ou à l’endroit le plus convenable, une commission militaire, pour juger tous les prévenus promettre et faire payer de suite une récompense à la troupe, pour toutes les arrestations valables.

Je crois, citoyen Ministre, que cette mesure nous dégagerait bientôt d’un fléau qui met la consternation dans cette contrée.

Nous verrons que c’est, en effet, par de tels moyens que le brigandage fut réprimé dans la partie méridionale du département de la Drôme.

IIILes premiers actes de l’Administration nouvelle

Tandis que le nouveau préfet de la Drôme parcourait en poste la longue route de Paris à Valence, le ministre de la Police générale lui adressait la lettre suivante :

Paris, le 29 ventôse an 8 de la République,

une et indivisible (20 mars 1800).

Le Ministre de la Police génerale de la République, au Préfet du département de la Drôme.

Préfet, quelques bandes de brigands désolent le département confié à votre administration et les départements qui l’avoisinent. Les propriétés, la vie même des citoyens, y sont journellement attaquées.

Les auteurs de ces excès sont moins puissants de leur nombre que de leur audace, et de leurs propres forces que de la faiblesse des citoyens jusqu’ici spectateurs inactifs et résignés du désordre.

Le gouvernement a conféré au général commandant la division dont votre département fait partie (23), des pouvoirs extraordinaires, pour y réprimer le brigandage, dans un délai court et donné.

Vous êtes appelé à seconder de tout votre zèle celui de ce général, et à favoriser le succès de ses vues et de ses mesures par tous les efforts qui dépendent de vous. Les moyens de rétablir l’ordre partout où il est troublé, ou de le maintenir la où il existe encore, ne manquent pas mais il faut les choisir avec habileté, et les employer avec énergie.

Vos administrés pourraient-ils rester indifférents à des crimes qui menacent leurs propriétés et leurs têtes? Le courage et le dévouement qu’ils ont, plus d’une fois, manifestés pour la cause commune, ne les auraient-ils plus pour leurs intérêts privés, pour la sécurité de leurs foyers et le repos de leurs familles?

Cette supposition est impossible à faire, Citoyen, et lorsque des delits de la nature de ceux dont il s’agit, affligent le gouvernement, ce ne peut être que par l’effet de l’indifférence des autorités à éclairer les citoyens sur leurs dangers et sur leurs intérêts. L’existence ou du moins l’impunité du brigandage devrait être impossible partout où il y a des familles réunies et des propriétés privées.

Attachez-vous à raviver l’énergie des gardes nationales sédentaires, de ces gardes nationales qui purent tant pour la conquête de la liberté, et qui peuvent tout encore pour le maintien de la paix intérieure.

Faites que dans chaque commune rurale les citoyens sentent le besoin et la facilité de veiller à leur propre sûreté.

Faites que dans chaque ville les généraux puissent compter au besoin sur une partie de la population armée, pour porter des secours au dehors.

Mais il ne suffira pas de mettre dans votre conduite assez de zèle et d’activité pour seconder utilement les plans du Général chargé, dans votre département, de la répression du brigandage vous observerez encore avec une attention assidue les caractères sous lesquels il se manifeste, les esperances politiques auxquelles il se rattache, en un mot ses diverses causes réelles et primitives.

N’oubliez pas qu’il y aurait dans l’intérieur de la République moins de délits contre la tranquillité commune, si la République n’avait pas au dehors des ennemis intéressés à tout imaginer et à tout entreprendre pour sa ruine. De vaines alarmes sur son sort ont cause quelques-uns de ses malheurs et de ses dangers mais une imprudente sécurité sur les intentions des divers ennemis qui l’ont attaquée tant de fois pourrait la compromettre encore. En m’accusant réception de cette lettre, vous m’instruirez de ce que vous aurez fait pour en remplir l’objet. Salut et fraternité,

FOUCHE (24).

Le préfet répondit au ministre le 7 germinal (28 mars). Sa lettre reproduit en partie un rapport du capitaine Fougère, commandant la gendarmerie de la Drôme, au général de brigade Bizanet, commandant les troupes du département.

Citoyen Ministre,

Je suis arrivé à Valence le 2 de ce mois et les excès qui se sont commis à l’extrémité du département de la Drôme étaient l’objet de ma sollicitude lorsque j’ai reçu votre lettre du 29 ventôse.

Je me suis concerte avec le général de brigade Bizanet, commandant à Valence sous les ordres du général Ferino, et déjà un chef des brigands qui a assassiné le commandant de Valréas et cinq de ses complices ont été arrêtés. Ils avaient été d’abord déposés dans les prisons de Taulignan mais comme elles présentaient peu de sûreté, des ordres ont été donnés pour leur translation dans la citadelle de Montélimar et ensuite à Valence où ils sont arrivés hier soir.

Un détachement de 20 gendarmes et 25 pontonniers qui les conduisait a été attaqué entre Taulignan et Montélimar; mais les brigands au nombre de 50 à 60 ont été repoussés et forcés de se retirer dans les montagnes où ils n’ont pu être suivis.

La municipalité de Taulignan, informée de cet événement par un exprès, envoya sur-le-champ la garde nationale au secours de l’escorte; elle s’y porta avec beaucoup de zèle, mais à son retour, elle fut poursuivie par un détachement de rebelles. Un volontaire, un des meilleurs citoyens de Taulignan, s’étant écarté de ses camarades fut blessé d’un coup de feu et atteint par quatre de ces scélérats, qui l’achevèrent en lui brisant la tête avec la crosse de leurs fusils. Le général de division Ferino est arrive hier ici et nous avons sur-le-champ conféré sur les moyens de réprimer un brigandage qui ferait bientôt des progrès alarmants. Nous sommes convenus pour première mesure d’organiser la garde nationale et de défendre l’usage des petits bateaux et nacelles qui servent à passer le Rhône, afin d’empêcher que les brigands qui infestent l’Ardèche ne tentent de passer ce fleuve il ne pourra être traversé que sur les bacs publics près desquels on placera des postes qui se feront représenter les passeports. Le général Ferino se rendra ensuite dans les départements de Vaucluse et de l’Ardèche, où se trouve le foyer de la rébellion mais tous ses soins, toute sa bonne volonté échoueront si on ne lui donne pas de l’infanterie, et jusqu’à ce moment, il n’a rien que de la cavalerie, qui est absolument inutile dans des forêts coupées par des précipices et des rochers escarpés.

La partie méridionale de mon département ne pourra être garantie de la contagion qu’en établissant à Taulignan et à Dieulefit des postes d’infanterie, qui, de concert, fouilleraient les forêts de Salle, de Charemberg, de Taulignan et la montagne de la Lance, et principalement le domaine du Peyre, où ces brigands se réfugient aussitôt qu’ils sont poursuivis. Ce point est d’autant plus essentiel à garder qu’il couperait la communication entre Montélimar et l’ancien district de Nyons.

Les renseignements que j’ai reçus annoncent que les brigands qui ont leur repaire à cette extrémité de mon département, sans demeure fixe, sont au nombre d’environ 100 hommes, que le gros de la bande est composé de déserteurs et qu’ils ont pour chefs des émigrés et des prêtres, mais leur nombre est beaucoup plus considérable dans les départements de l’Ardèche et de Vaucluse où il s’accroît tous les jours.

Je vous prie, Citoyen Ministre, de faire connaître au Ministre de la Guerre combien il est urgent d’envoyer de l’infanterie au général Ferino et de le mettre en état de détruire des noyaux autour desquels tous les malveillants chercheraient à se rassembler.

Les brigands poursuivaient la série de leurs sinistres exploits. Le 12 germinal (2 avril), à 3 heures de l’après-midi, 40 brigands armés pénètrent, tambour battant, dans la commune de Chamaret. Ils se portent à la maison du citoyen Maurin, agent municipal, et l’assassinent à coups de fusil et à coups de sabre. Ils pillent et incendient les maisons de Victor et de Placide Béranger, puis celle de Jean Azard, aubergiste. Chez le citoyen Delubac, ils s’emparent d’une somme de 11800 francs appartenant au citoyen Gourjon, de Valréas. Sur la place publique, ils abattent l’arbre de la liberté (25).

Le 19 germinal (9 avril), vers 8 heures du soir, une bande de 45 à 5o brigands envahit le village de La Roche-Saint-Secret. Ils s’emparent d’un gros marteau chez un maréchal, enfoncent les portes des maisons de Paul-Laurent Chabrol, agent municipal de la commune, d’André Guilhe Le Combe, propriétaire, et d’Henri Teysseire, cultivateur. Ils pillent le linge, les vêtements et l’argent qu’ils peuvent trouver brisent les gros meubles, tables et chaises qu’ils ne peuvent pas emporter et mettent le feu au grenier à foin du domaine du citoyen Teysseire. « Deux individus voulant sans doute se sauver du danger où tous se voient exposés, sont criblés à coups de fusil et l’un d’eux est ensuite massacré et haché à coups de sabre » (26).

Le 18 floréal (8 mai), sept brigands entrent dans la commune d’Eyzahut, pénètrent dans la maison de Joseph Jean, fabricant, lui prennent 1200 francs, tout son linge et le tuent de deux coups de fusil. Le même jour, à 8 heures du soir, ils arrêtent le maire de la commune nommé Crouzon. Un des bandits, nommé Louis Bourbousson, se jette sur lui pour le poignarder. Un autre brigand, croyant tuer le maire, tire un coup de fusil qui atteint son camarade celui-ci tombe mort. Le maire se réfugie chez Antoine Jourdain, au terroir de Pont-de-Barret.

Le lendemain, à midi, les six bandits qui restent arrêtent la malle de montée, à Derbières, entre Montélimar et Loriol, et la dévalisent. Les chasseurs en garnison à Montélimar, de nombreux habitants de la campagne se mettent à leur poursuite; ils ne peuvent les atteindre (27).

Le 29 floréal (19 mai), une vingtaine de brigands tentent d’arrêter la malle, sans y réussir. Ils se postent ensuite au terroir de Pont-de-Barret, dans un chemin, près du domaine d’Antoine Jourdain, qui avait donné asile, dix jours auparavant, au maire d’Eyzahut quand il apparaît, il reçoit trois coups de fusil qui l’étendent raide mort.

Le maire de La Baume-de-Transit signalait la triste situation de ce village.

Le territoire de cette commune est complanté de mûriers qui forment la plus grande partie de son revenu. Les habitants effrayés ne vont qu’avec répugnance ramasser les feuilles nécessaires à la nourriture des vers-à-soie, dont ils se verraient contraints d’abandonner l’éducation, si on ne leur envoie une force protectrice et capable d’écarter les brigands ou de leur en imposer (28).

Le 2 prairial (22 mai), la malle était arrêtée entre Donzère et Pierrelatte, à une demi-lieue de deux postes militaires et pillée.

Le sous-préfet de Montélimar, Gaud-Roussillac, qui comprenait parfaitement la gravité de la situation, déclarait qu’il fallait user de ruse avec les brigands. « L’apparition des brigands sur plusieurs points, leurs nouveaux crimes et des figures inconnues qu’on dit avoir vues parmi eux sont de nouveaux motifs pour leur faire une guerre d’espionnage qui peut seule réussir et à laquelle je vais me livrer, déjà je fais chercher le coquin dont je veux me servir. » Le lendemain il écrivait encore « Il faut des espions et de l’argent. Nous chercherons les premiers veuillez bien vous charger de nous procurer le reste. Faute de ressources pour leur faire la guerre d’espionnage, nous aurons la douleur d’apprendre chaque jour quelque horreur nouvelle ». Il ne croyait pas que la garde nationale pût rendre de grands services. « Les lois sur la garde nationale ne sont point positives elles n’infligent aucune peine aux citoyens qui refusent de faire le service je ne puis donc qu’éclairer de nouveau les communes sur les dangers de la terreur ou de l’apathie auxquelles elles sont livrées. » Et il concluait « Sans espions, sans argent et sans armes, on ne peut faire aux brigands qu’une guerre infructueuse. » (29).

Malgré l’avis de Gaud-Roussillac, le préfet crut devoir faire appel, une fois encore, à l’énergie des gardes nationales. Il prit, en conséquence, un arrêté le 7 prairial (27 mai).

Informé que les brigands qui ravagent depuis longtemps les départements de l’Ardèche, Vaucluse, etc., font des incursions continuelles dans la partie méridionale de la Drôme. y commettent des vols, des assassinats, infestent les routes, ont déjà plusieurs fois arrêté et pillé les courriers et les voitures publiques et se sont même récemment avancés, à peu de distance de Loriol.

Considérant que le départ, pour les armées d’Italie et de réserve, des troupes destinées à contenir et poursuivre ces scélérats ne peut qu’augmenter leur audace et faciliter les liaisons criminelles qu’ils entretiennent avec quelques habitants de ce département.

Considérant qu’en attendant l’arrivée de nouvelles troupes, tous les citoyens amis de l’ordre et des lois doivent se réunir pour arrêter les progrès du mal, se prêter un secours mutuel, protéger les voyageurs et assurer les communications; Le Préfet du département de la Drôme arrête ce qui suit :

ARTICLE PREMIER

Dans les trois jours de la réception du présent arrêté, les maires et adjoints mettront en exécution la loi de police sur la sûreté des communes, ils formeront les états prescrits par cette loi notamment celui des gens sans aveu et de ceux qui peuvent être soupçonnés de donner retraite ou avoir des intelligences avec les brigands.

ARTICLE 2

Ils feront sur-le-champ publier et renouveler l’ordre à tout citoyen tenant domestique, ouvrier, manœuvre, étrangers à la commune, d’en faire la déclaration à la municipalité; à tout particulier ou locataire qui recevra et gardera chez lui plus d’une nuit un individu, de faire la même déclaration, ce qui est indépendant du registre journal auquel les aubergistes sont assujettis

ARTICLE 3

Les maires et adjoints organiseront dans les dix jours de la réception du présent arrêté la garde nationale de leur commune, et à défaut par les citoyens qui la composent, d’user r dans le même délai du droit que la loi leur accorde de nommer leurs chefs, lesdits maires et adjoints nommeront euxmêmes le commandant, les officiers et sous-officiers et formeront sur-le-champ tes compagnies, de manière que tous les habitants de la commune de l’âge de 18 à 60 ans y soient compris et que la première compagnie se tienne prête à marcher au premier appel et successivement les autres si le besoin l’exige.

ARTICLE 4

A l’instant où un citoyen sera informé que les brigands sont sur le territoire de l’une des communes du ci-devant canton, ou verra sur les rives du Rhône des bateaux qui pourraient faire craindre quelques passages de la part des brigands, il est tenu d’en donner sans délai connaissance au maire ou à l’adjoint, qui enverra cet avis par un exprès au maire du ci-devant canton. Le maire qui le premier aura reçu l’avis, assemblera la garde nationale, et, s’il est certain de l’exactitude du rapport qui lui a été fait, fera sonner le tocsin et battre la générale; cet avis d’alarme sera répété par les communes du canton, dont les habitants prendront sur-le-champ les armes et marcheront à la poursuite des brigands, après avoir préalablement établi des postes aux passages les plus fréquentés.

ARTICLE 5

Pour mettre dans les rassemblements des gardes nationales et leurs opérations l’ordre et l’ensemble qui peuvent seuls en assurer le succès, les maires et adjoints du chef-lieu du ci-devant canton sont spécialement chargés de diriger les mouvements de cette force armée, et dans ce cas seulement les gardes nationales de toutes les communes du canton sont tenues de leur obéir.

ARTICLE 6

Aussitôt que les gardes nationales seront organisées, les maires des ci-devant chefs-lieux, s’ils le jugent nécessaire à la tranquillité publique et à celle des grandes routes, sont autorisés à tirer de chaque commune, trois, quatre ou cinq hommes, suivant leur population, pour en former un détachement mobile qui fera le service sur les grands chemins et assurera les communications jusqu’à l’arrivée des troupes de, ligne. Lesdits maires formeront un état des gardes nationales dont ces détachements mobiles seront composés, le certifieront et adresseront au Préfet, afin que sur l’ordonnance du commissaire des guerres, les citoyens qui y auront été employés reçoivent le traitement accordé aux troupes en activité.

…………………………………………………………………………………………………….

Les sous-préfets de Montélimar et de Nyons ne dissimulèrent pas au préfet que ces mesures ne produiraient aucun résultat. Gaud-Roussillac lui écrivait le 10 prairial (30 mai) :

Je vous avoue que je n’attends rien de bon de cette mesure, parce que la partie méridionale de cet arrondissement, où les brigands sont le plus en force, est celle où ils ont le plus d’amis. Ils en ont dans toutes les classes de citoyens. Ils en ont partout. Ils en auront dans les colonnes mobiles et je suis très embarrassé par la crainte de donner une portion d’autorité militaire à des hommes qui peuvent en abuser. Le sous-préfet de Nyons, Richaud, écrivait à son tour au préfet, le 28 prairial (12 juin) :

Chaque jour nous sommes plus fortement menacés de la part des brigands, malgré les mesures prises par votre arrêté du 7, qui ne me paraissent pas suffisantes, parce que la plus grande partie des maires de notre contrée n’ont aucun moyen pour en opérer l’exécution, et surtout par le défaut d’armes et de munitions. Je me permets en conséquence de vous proposer de vouloir vous-même organiser une garde mobile soldée dans le département, qui sera ambulante. Le 2 messidor (21 juin), il rendait compte que, en exécution de l’arrêté du 7 prairial, la garde nationale était organisée dans les grandes communes. « Je les ai invitées à composer des détachements mobiles et à les tenir prêts pour se réunir au premier signal Mais je ne saurais trop vous répéter que les grandes communes même se plaignent de n’avoir ni armes, ni munitions, et que sans cela il est assez difficile de faire la guerre aux brigands. » Il est de fait que les actes de brigandage ne cessaient pas. Le 9 prairial (27 mai), la malle était arrêtée entre Pierrelatte et Donzère. Le 11, un habitant de la commune de Salles est assassiné. Le 14 (3 juin). l’adjoint au maire de cette commune, nommé Michel, et son gendre sont surpris par les brigands pendant qu’ils fauchent un pré le premier est tué, le second a la cuisse cassée par deux coups de feu. 11 succombe quelques semaines après sa femme meurt d’un accouchement prématuré, suite de sa frayeur (29 bis). Le 20 prairial (9 juin), entre 6 et 7 heures du soir, tandis que les hommes vaquent aux travaux des champs, trente-brigands entrent dans la commune de Mirabel, en criant « Soyez tranquilles, braves gens de Mirabel ! Nous sommes les chasseurs du Roy! Nous venons pour détruire les républicains que votre commune renferme! » Ils se divisent en deux bandes Les uns se portent à la maison du citoyen Laget, notaire, qui s’enfuit en sautant par la fenêtre sa femme est tuée sa maison est pillée meubles, glaces, vaisselle, pendules sont brisés. Le citoyen Richard, officier de santé, est tué de deux coups de fusil sa femme est blessée et sa maison pillée. Chez Denis-Julien Moreau, marchand, les brigands volent 2500 francs de numéraire et des marchandises pour 8000 francs environ. La femme de Garnier, adjoint, est frappée d’un coup de bayonnette à la cuisse on lui vole de l’argent, du linge, des effets précieux (30).

L’insécurité devient telle dans les villages que beaucoup de gens abandonnent leurs foyers. Le 23 prairial, le sous-préfet de Montélimar écrit qu’il y a dans cette ville environ 40 réfugiés de diverses communes de l’arrondissement. Le mois suivant, l’assassinat du maire de La Touche, égorgé entre les bras de sa femme, malgré les cris et les supplications de ses enfants, produit une très vive sensation dans les communes voisines. Le maire de Puygiron, celui de Salles, l’adjoint de La Touche donnent leur démission et se réfugient à Montélimar,

Dans la nuit du 8 au 9 messidor (27 au 28 juin), un nouveau crime est commis a Mirabel. Vers 11 heures et demie du soir, des gens armés pénètrent dans la maison du citoyen François Bérenger, propriétaire et percepteur des contributions de cette commune, criant, jurant, menaçant et demandant l’argent de sa caisse appartenant à la République. Le percepteur ouvre un tiroir contenant une partie de sa recette les brigands s’en emparent et menacent de mort le percepteur s’il ne leur en donne pas davantage. Ils le frappent de plusieurs coups de plat de sabre. Le domestique du percepteur, nommé Joseph Coquilliard, natif de Besançon, veut prendre la fuite il reçoit un coup de fusil qui l’étend raide mort.

Le 28 messidor (17 juillet à 8 heures du soir, quinze brigands entrent à Grignan, tirant des coups de fusil en l’air et sur les maisons, et criant « Que les honnêtes gens se retirent! » Ils vont à la maison commune. déchirent les écharpes municipales, feuillettent et lacèrent les registres Ils se portent ensuite à la boutique d’un marchand nommé Passier, et la mettent au pillage. La femme de Passier, pour échapper à la fureur des brigands, saute par la fenêtre et se foule les deux poignets. Elle meurt quelques jours plus tard des suites de sa frayeur et de ses blessures (31). Passier n’échappe à la mort que grâce au dévouement de sa fille « épuisé par une longue maladie et hors d’état de fuir, il allait tomber sous le fer des assassins lorsque sa fille aînée, par un effort de courage presque surnaturel, le charge sur ses épaules, monte sur le faîte de sa maison et se sauvant de toit en toit avec ce précieux fardeau parvient à le mettre en sûreté ». Le préfet signala au Ministre de l’Intérieur ce trait de piété filiale, digne d’être rendu public pour l’honneur de l’humanité (32).

Mais de tels exemples de courage sont rares. Le sous-préfet de Montélimar déclare que la garde nationale ne fait son service que sur la grande route, et encore avec dégoût et découragement, que plusieurs maires et adjoints sont « attaqués par la peur des brigands et la maladie des démissions ». Il ne sait comment « arrêter les progrès de cette épidémie d’assassinats qui se propage d’une manière effrayante ». Le préfet écrit au Ministre de l’Intérieur le 28 messidor (17 juillet) :

Je vous ai déjà, par différentes lettres, rendu compte de la situation critique où se trouve la partie méridionale de mon département qui est exposée aux incursions des brigands. J’ai insisté auprès de vous, ainsi qu’auprès du Ministre de; la Guerre, sur la nécessité d’y envoyer des troupes. Mes vives représentations n’ont été suivies d’aucuns résultats et les brigands encouragés par l’impunité et la faiblesse des mesures qu’on leur oppose se renforcent et j’ai tous les jours la douleur d’apprendre qu’ils ont commis quelques assassinats.

Je n’ai négligé aucun des moyens à ma disposition pour1 arrêter le désordre, mais ils sont très insuffisants. J’ai ordonné la formation de détachements mobiles de gardes nationales, qui font jour et nuit des patrouilles pour assurer le passage sur la grande route, pendant la foire de Beaucaire; ces gardes nationales demandent des armes et je n’en ai point à ma disposition ils demandent l’étape et la solde que la loi accorde aux colonnes mobiles, et je ne peux encore les satisfaire puisque le service des subsistances militaires est désorganisé.

Il existe à Valence un dépôt, où les militaires qui sortent des hôpitaux se rendent pour achever de se rétablir. Je me suis concerté avec le général de brigade commandant dans la Drôme, pour en tirer un parti utile à mesure qu’ils sont en état de reprendre le service. Des postes ont été établis sur la route de distance en distance; mais les brigands cantonnés sur ce point se jettent sur d’autres que le défaut de forces ne permet pas de conserver.

Les fonctionnaires publics nouvellement nommés sont l’objet de la rage de ces scélérats. L’adjoint de la commune de Salles a été tué le 22 prairial dernier. Le maire de La Touche vient d’être massacré dans les bras de sa femme et de ses enfants.

Plusieurs fonctionnaires des petites communes de la partie méridionale effrayés ont déjà donné leur démission, et sans de prompts secours toutes les communes des campagnes seront bientôt sans maires et sans adjoints. Je vous prie instamment d’inviter le Ministre de la Guerre à m’envoyer 3 ou 400 hommes d’infanterie pour fouiller les bois et les montagnes où les brigands ont leur repaire et 100 hommes de cavalerie pour conserver les grandes routes. Gaud-Roussillac, l’énergique et actif sous-préfet de l’arrondissement de Montélimar, manifeste ses inquiétudes. « J’ai l’honneur de vous le répéter, écrit-il au préfet le 29 messidor, si l’on ne nous envoie des secours prompts et efficaces, les brigands seront les maîtres sur tous les points les cultivateurs ne pourront plus vaquer à leurs travaux, les communes cesseront d’être administrées et recèleront une foule de déserteurs dont les rassemblements présumables pourraient amener les plus grands malheurs déjà on les voit passer par bandes plus ou moins nombreuses ». Cinq jours plus tard, le 4 thermidor (23 juillet), il écrit encore :

La situation de cet arrondissement devient chaque jour plus critique. En ce moment je ne puis avoir de données exactes sur le nombre des brigands, sur leurs projets et sur les points qu’ils occupent. Mon espion a manqué d’être fusillé par ses ci-devant camarades et je demeure livré à l’incertitude qui résulte des diverses versions qu’on fait circuler. Ce qu’il y a pourtant de positif, c’est que les bandes sont accrues soit par quelques détachements de l’Ardèche, soit par quelques déserteurs qui les ont renforcées. J’ai lieu de craindre que les conscrits ne s’y jettent quand on emploiera les moyens coercitifs pour les faire joindre. Il existe encore un danger dont je ne vous ai pas entretenu et que j’ai néanmoins toujours écarté par des exhortations et par l’espérance d’un meilleur avenir.

Il ne faut pas se. dissimuler que le brigandage qui porte assez indistinctement sur les caisses publiques, les voitures nationales et les propriétés des hommes de toutes les opinions, ne prenne un caractère de réaction lorsqu’au vol les brigands ajoutent le meurtre ils ne tuent que des citoyens signalés par leurs opinions républicaines et ils prétendent n’inscrire sur leurs listes fatales que des jacobins. Vous devez penser, citoyen Préfet, que la classe d’hommes en butte à la proscription et à ses funestes effets est dans un état de fermentation qui mérite l’attention des autorités. Des citoyens qui abandonnent leurs foyers et parmi lesquels il en est qui n’évitent la mort qu’en trouvant la misère, d’autres qui n’osent pas s’écarter de cent pas de leur domicile, forment une masse considérable et capable de se livrer au désespoir et à une vengeance qui serait peut-être aveugle dans ses effets. On vous a sans doute invité ainsi que moi à armer des colonnes mobiles dans les localités infestées par le brigandage. Je n’ai jamais été de cet avis parce que j’ai craint des excès dont on a vu des exemples. Je persiste dans cette opinion. Mais je vous déclare que faute de secours et si les assassinats continuent, je vois les éléments d’une contre-réaction qui serait un surcroît de guerre civile. Je peux bien répondre de la commune que j’habite; la tranquillité n’y sera pas troublée ou on m’y tuera ce que je ne crains nullement. Mais je tremble pour quelques cantons de cet arrondissement et je, n’ai jamais si bien senti les épines de cette sous-préfecture où je ne suis retenu, je vous le déclare, que par le désir de justifier la confiance que vous me témoignez; encore ai-je peur que mes bonnes intentions ne suffisent pas pour faire le bien.

C’est alors que le général de division Ferino, commandant la 7e division militaire. revêtu, par arrêté des Consuls, de pouvoirs extraordinaires dans les départements de l’Ardèche, de la Drôme, de Vaucluse et des Basses-Alpes, accorda une amnistie aux citoyens de ces quatre départements, le 15 thermidor (3 août).

Citoyens,

La guerre d’opinion a cessé, et le règne des factions doit faire place à celui de la concorde.

Le Gouvernement éclairé sur vos malheurs par les rapports lumineux de vos premiers magistrats, vient sécher vos larmes. Puissant par ses moyens, il aurait pu employer la force; mais sage et paternel dans leur emploi il se présente avec deux armes celle de la clémence, pour les hommes égarés qui se soumettront sincèrement aux lois de la République, et celle d’une prompte justice contre les scélérats pour qui le crime est un métier….

Sont amnistiés, à dater du jour de la publication Tous les hommes qui ont fait partie des rassemblements armés qui ont eu lieu dans les quatre départements, quelle qu’ait été leur dénomination, et quelle qu’en soit leur époque. Tous les hommes dont les criminelles erreurs et les délits paraîtront avoir pour cause l’affligeant produit des secousses successives de la Révolution.

Tous les réquisitionnaires, conscrits et déserteurs, qui de suite se rendront à l’armée.

Ne sont point amnistiés

Les voleurs et assassins de grands chemins, et les scélérats chargés de crimes, dont l’ordre social réclame la punition exemplaire.

Les brigands déjà arrêtés dont les délits les classent parmi ces derniers.

Les préfets étaient invités à nommer une commission de trois membres chargée de délivrer des arrêtés individuels d’amnistie aux hommes paraissant devoir l’obtenir. En accordant une amnistie, le Gouvernement développe une preuve de sa force et de sa bonté; mais à côté de cette mesure consolatrice, il doit, Citoyens, pour être juste, déployer une sévérité qui frappe promptement les hommes endurcis dans le crime. Les magistrats du peuple doivent être respectés. Il faut que celui qui a la faculté de porter des armes soit reconnu pour un homme qui ne s’en sert que contre les ennemis de la République. Les anciens passeports doivent être annulés. Les habitants des communes, villages et hameaux doivent dans leur territoire respectif être responsables des attentats qui pourraient s’y commettre. A cet effet, et au nom du Gouvernement, les dispositions suivantes seront exécutées.

La commission militaire est toujours en exercice à mon quartier général.

Tout brigand pris les armes à la main, sera fusillé sur-le-champ.

Tout homme amnistié qui sera convaincu de s’être mis derechef sous l’étendard de la révolte, sera condamné à mort. Tout réquisitionnaire, conscrit ou déserteur amnistié, qui dix jours après la publication de l’amnistie, ne sera point parti pour l’armée, sera traduit à la Commission.

Tout homme convaincu d’avoir insulté les magistrats en fonctions et revêtus de leurs marques distinctives, ou d’avoir troublé les fêtes établies par les lois de la République sera traduit à la Commission, et jugé comme rebelle au Gouvernement.

A dater du premier fructidor prochain, tout port d’armes est annulé. Les préfets sont les seuls magistrats en droit d’en accorder.

Nul n’a le droit de porter un fusil de munition, s’il n’est militaire en exercice ou membre de la Garde nationale de service.

La Garde nationale sera, par suite des lois rendues à ce sujet, organisée dans les quatre départements. Cette force armée est essentiellement chargée de faire respecter les personnes et les propriétés dans les communes respectives. De sa composition dépend le retour et le maintien de l’ordre, il faut donc que les citoyens qu’on armera aient prouvé aimer cet ordre. Le Gouvernement compte sur les bons choix que feront les magistrats.

C’est aux magistrats à électriser le peuple et à bien utiliser la Garde nationale. La destruction d’une poignée de vrais brigands qui resteront sur la scène est à la disposition de ee peuple. Les habitants des communes se doivent une garantie mutuelle. Alors que les scélérats approchent, qu’on sonne le tocsin, que l’alarme se propage, qu’on se lève en masse, que chacun prenne l’arme qui lui tombe sous la main, qu’on coure sus, et ces monstres seront tués ou dispersés….. (33)

Ces mesures de clémence et de rigueur produisirent peu de résultats. Dans le courant du mois de fructidor, le sous-préfet de Montélimar signale l’apparition de brigands à Chantemerle, le pillage et l’incendie de la maison du maire de Comps, le pillage de la maison du percepteur de Saint-Gervais, des vols commis à Manas et a La Roche-Saint Secret. Par contre, quatre brigands arrêtés à Aleyrac, condamnés à mort par la commission militaire, sont fusillés le 17 brumaire an IX. Le 14 brumaire (5 novembre), la diligence de Marseille à Lyon est arrêtée à une lieue de Montélimar, près de l’auberge appelée le Pélican. Les voyageurs sont dépouillés les ballots et les paquets éventrés et pillés. Un postillon est tué d’un coup de fusil. Un jeune enfant et sa mère manifestent leur frayeur par des cris les brigands menacent de les égorger s’ils ne gardent le silence. Deux semaines plus tard, la diligence de Lyon à Marseille est encore arrêtée par 15 brigands armés, qui la mettent au pillage. Le 2 frimaire (23 novembre), un militaire de la garnison de Montélimar se rendant au Colombier de Rochefort, sur l’ordre de ses chefs, est arrêté par des brigands et blessé d’un coup de feu.

Le 11 frimaire, un citoyen nommé Flachaire est attaqué dans son domaine au territoire de Sauzet. Le lendemain, un autre citoyen est tué et dépouillé entre Montboucher et Espeluche.

Le 13 frimaire (9 décembre), un capitaine de la 10e demi-brigade, allant à Montélimar, en voiture, avec sa femme enceinte et un militaire malade, accompagné par trois soldats, est attaqué, près de Saint-Paul, par dix brigands. Jeté à bas de la voiture, il est fusillé malgré les supplications de sa femme.

« Les crimes se succèdent avec une effrayante rapidité », écrit Gaud-Roussillac. De retour d’une tournée, il rend compte au préfet, le 6 frimaire, que les communes de Rochegude, Suze la-Rousse, St Paul, Tulette, Taulignan, sont tranquilles. Il n’en est pas de même de Bouchet. Cette commune, la plus indocile de votre département, est le point de ralliement des brigands; c’est là qu’ils méditent leurs grandes opérations c’est de là qu’ils partent pour les exécuter. Elle renferme un grand nombre de receleurs on y compte de 20 à 30 brigands depuis l’âge de quinze ans jusqu’à soixante; les recherches de la force armée y sont presque toujours infructueuses, parce que la commune n’étant composée que de maisons isolées et occupant un espace de terrain considérable, il est difficile de la cerner à moins d’y envoyer beaucoup de troupes. Il existe dans les maisons des cachettes qu’on ne peut découvrir et enfin les habitants par crainte ou par complicité favorisent de tout leur pouvoir l’évasion des brigands.

En somme, l’ordre n’était pas rétabli dans la partie méridionale du département de la Drôme, lorsque le premier Consul, par arrêté du 11 frimaire an IX (2 décembre 1800), appela J.-B. Collin à la préfecture de Seine-et-Marne et nomma comme préfet de la Drôme le citoyen Descorches, ex-ambassadeur à Constantinople.

IVEtat économique du Département en l’an VIII

J.-B. Collin jugeait lourdes les fonctions de préfet de la Drôme. Le séjour de Valence ne lui plaisait guère il supportait avec peine le grand vent qui souffle dans la vallée du Rhône. Vingt-quatre jours après son arrivée, le 26 germinal an VIII (16 avril 1800), il écrivait au citoyen Desportes, secrétaire général du ministère de l’Intérieur, pour demander son changement.

Je m’occupe exclusivement et sans relâche à réparer les effets du désordre qui régnait dans les différentes parties de l’administration et je ne serai satisfait que lorsque j’aurai tout réorganisé. La vivacité de l’air et les vents continuels que nous éprouvons dans ces montagnes font sur ma poitrine une impression fâcheuse et qui finirait infailliblement par altérer ma santé si j’y résidais longtemps.

Je me recommande à votre amitié et à vos bons offices auprès du Ministre lorsqu’il vaquera une préfecture d’une classe immédiatement supérieure à celle que j’occupe, ou du moins plus rapprochée de Paris.

On m’a assuré que celle de Besançon était vacante et je verrais avec plaisir que le Ministre voulût jeter les yeux sur moi. J’ai quelques droits à la bienveillance du Gouvernement, puisque je lui ai donné une preuve non équivoque de mon zèle, en quittant une place sous tous les rapports plus agréable et plus avantageuse pour prendre une préfecture (34).

Quatre mois plus tard, le 19 thermidor (7 août), il écrivait au Ministre de l’Intérieur, pour lui rappeler qu’il avait accepté un poste qui le transportait à 150 lieues de sa famille et de ses propriétés et pour en solliciter un autre :

Mes anciens services, les fonctions d’administrateur général des douanes que j’ai remplies pendant tout le cours de la Révolution, une longue expérience pourraient me donner quelques droits à une préfecture plus importante, et, si je la désirais, mon seul but serait d’être plus utile j’ai prouvé de la manière la moins équivoque que l’intérêt n’avait aucune influence sur moi (35).

Il renouvelait sa demande de changement le 4 brumaire an IX (26 octobre). Aussi accueillit-il avec joie sa nomination à Melun. Le 26 frimaire (17 décembre), il annonçait au Ministre de l’Intérieur qu’il partirait le 4 ou le 5 nivôse. Je me rendrai ensuite à Paris pour vous entretenir de la situation actuelle de la Drôme et recevoir vos ordres et vos instructions pour celui de Seine-et-Marne.

Les regrets honorables que me témoignent tous les habitants de ce département prouvent qu’un administrateur obtiendra toujours l’estime et l’affection des administrés s’il suit invariablement les principes du gouvernement. Permettez, citoyen Ministre, que je vous présente les témoignages de ma reconnaissance pour le changement que vous avez bien voulu m’obtenir du premier Consul (36).

La lutte contre le brigandage n’avait pas absorbé toute l’activité du préfet Collin pendant les neuf mois qu’il passa dans la Drôme. Le Conseil général et les conseils d’arrondissement avaient tenu leurs premières sessions. Le préfet s’était occupé de rassembler, avec le concours des sous-préfets et des maires, de nombreux renseignements sur la situation du département. Un arrêté des Consuls du 19 floréal (9 mai, avait convoqué les conseils d’arrondissement pour le 15 prairial (4 juin) ils devaient exprimer leur opinion sur l’état et les besoins de l’arrondissement; donner leur avis sur les demandes en décharge formées par les villes, bourgs et villages recevoir le compte des centimes additionnels Après avoir terminé ce premier travail, ils s’ajourneraient à cinq jours après la session du Conseil général de département, pour faire la répartition des contributions directes entre les villes, bourgs et villages. Les conseils généraux s’assembleraient le 1er messidor (20 juin). Les actes de ces assemblées ne seraient pas imprimés les préfets devaient en faire passer une copie au Ministre de l’Intérieur. Je n’ai pu découvrir que le procès-verbal des séances du conseil d’arrondissement de Die (37). L’assemblée, réunie le 16 messidor (5 juillet), choisit pour président Joseph-François Pourtier, et pour secrétaire Louis-Henri Vallentin. Le 18, elle entendit les rapports de ses commissions. En voici les parties les plus intéressantes :

Routes.

Les chemins publics sont dans un état pitoyable et personne ne peut contester combien il est urgent de les rendre praticables, comme le seul moyen de donner quelque activité à la contrée la plus négligée de la République. Les chemins vicinaux sont par la loi à la charge des communes, mais il est reconnu qu’ils entraînent beaucoup de travaux nécessaires qui ne peuvent être faits par les communes seules; il est donc de l’intérêt de l’arrondissement, de celui du département et de la République, de les aider, de les encourager par quelques secours.

Il existe surtout une route de grande communication unique pour l’arrondissement qu’elle traverse dans toute sa longueur, du couchant au levant.

Cette route intéresse la République entière sous les rapports les plus essentiels pour les transports militaires-et le passage des troupes, indépendamment de la communication infiniment intéressante pour le commerce du Rhône et de la grande route de Provence au département des Hautes Alpes.

Bois et forêts.

L’arrondissement de Die étant en général montagneux, la plus grande partie de son sol semble destinée par la nature à rester en bois et l’on peut ajouter que leurs produits seraient pour plusieurs contrées le revenu le plus clair et en même temps un objet d’utilité publique infiniment précieux, en fournissant des aliments au commerce et à la marine nationale.

Cependant loin qu’on ait conservé cette source de richesses, tout semble annoncer le dessein formé de la détruire. Ce qui porte encore le nom de forêt est dans un état de dégradation alarmant; à l’égard du reste, on voit à la place des arbres majestueux qui faisaient jadis l’ornement des montagnes, quelques misérables bruyères ou des ravins ou le rocher à nu. On pose en fait que, dans les neuf dixièmes du territoire de l’arrondissement, on est dépourvu de pièces de charpente, et qu’au besoin on est forcé à les faire venir de loin à grands frais il reste à peine dans la plupart des communes du bois à brûler.

Indépendamment de la perte des arbres, il faut considérer comme un grand préjudice celle des pâturages, qui croissaient dans les forêts lorsqu’elles existaient et qui ont extrêmement diminué ou totalement péri, depuis que les défrichements et les ravins ont sillonné et pelé les montagnes. Cette perte est d’autant plus sensible que le produit des moutons est un des revenus les plus importants’ de l’arrondissement et la seule branche d’industrie connue dans les pays de montagne.

Mais le pire des maux qui soit résulté des défrichements, ce sont les ravages causés dans les vallons par l’irruption des ravins, qui se sont formés en nombre infini, lorsqu’il n’a plus existé de bois pour soutenir la terre et rabattre l’impétuosité des grandes pluies.

Il est urgent au dernier degré que l’administration fasse tous ses efforts pour conserver les débris des forêts et tâcher d’en reproduire de nouvelles, s’il est possible, dans les lieux qui leur sont propres. Les lois existantes étant inefficaces pour arrêter le désordre, le Conseil est d’avis de réclamer l’intercession du gouvernement et de lui demander un code forestier dont l’exécution soit assurée car c’est surtout dans une loi de cette nature qu’il convient de s’attacher attentivement aux moyens d’exécution. Quoique le gouvernement soit muni d’amples instructions sur cette matière, le Conseil se permettra de lui exposer ses vues particulières il pense qu’outre l’aménagement qui sera déterminé par la loi il convient:

1°) de prohiber les défrichements dans tous les lieux penchants et dangereux lors même qu’ils seront dépourvus de bois;

2°) d’interdire l’usage des chèvres indéfiniment à moins qu’elles ne soient conduites par l’attache.

Réclamations

En partant de l’état des bois et des défrichements, on a démontré que les montagnes sont au .dernier degré de dégradation et déjà l’on a donné une idée des maux qui en sont résultés pour les vallons. Le Conseil ne peut en ce moment présenter le tableau exact et détaille des pertes dont les diverses communes de son arrondissement ont a se plaindre, il suffit d’observer qu’en général les communes situées dans les montagnes ou dans leur voisinage, c’est-à-dire les trois quarts au moins des communes de l’arrondissement de Die ont éprouve des détériorations considérables dans leur sol depuis l’époque de la révision des feux en Dauphine, qui date d’environ un siècle, détériorations qui, dans nombre de communes, vont jusqu’à la perte d’un tiers ou même de la moitie de leur terrain cultivable.

Cependant le nombre des feux, c’est-à-dire le produit territorial fixé a cette epoque reculée, ayant été jusqu’à ce jour la base invariable de la répartition des impositions entre les communes, il s’ensuit que celles qui depuis la révision des feux ont perdu la moitie de leur sol supportent aujourd’hui la moitie trop de charges, puisqu’elles payent pour un sol qui n’existe plus

Morale et éducation publique.

Le Conseil a la satisfaction de n’avoir vu dans son arrondissement aucune des scènes déplorables qui ont souillé d’autres contrées; mais il ne peut se flatter qu’il se soit entièrement garanti du relâchement général. La cause, les effets et les remèdes d’un mal de cette nature sont étrangers à un plan d’administration locale. Le Conseil n’a pas le projet de mettre en discussion les vérités sublimes de la morale c’est au gouvernement à les concilier avec les opérations de la politique et l’on doit tout attendre de sa sagesse et de son génie.

Le Conseil se bornera donc à présenter ses vues sur les institutions qui contribuent secondairement à la formation des mœurs Or, parmi ces moyens secondaires, il placera en première ligne l’instruction publique.

Dans le cas même où elle serait limitée à l’enseignement des sciences et des belles-lettres, elle aurait une influence directe sur les mœurs. On sait que les lettres forment l’esprit, adoucissent les mœurs et sauvent les peuples de la barbarie. C’est surtout lorsqu’un peuple en est venu au point de ne connaître que sa raison pour guide, qu’il est nécessaire que cette raison soit éclairée pour ne pas l’égarer. D’après ces réflexions, le Conseil est d’avis qu’il serait infiniment utile à l’arrondissement de posséder dans son chef-lieu une école publique où l’on professât les sciences les plus utiles.

Die, en sa qualité de chef-lieu d’un arrondissement considérable, par sa position centrale et son éloignement des grandes villes, est destinée à être le dépôt de l’éducation publique. Elle possède d’ailleurs les édifices convenables à ces sortes d’établissements, elle jouit d’un air sain, d’un climat tempéré et conserve dans ses mœurs plus de pureté que les grandes villes en sorte qu’elle serait propre à tous égards à recevoir dans son sein la jeunesse de l’arrondissement.

Le Conseil espère que le gouvernement encouragera par ses secours un projet aussi patriotique et, dans ce cas, l’arrondissement fera tous ses efforts pour en opérer l’exécution.

Des renseignements de ce genre, le Ministre de l’Intérieur ne cessait d’en demander aux préfets, en vue de connaître avec exactitude les ressources de la France et ses moyens de prospérité.

Le préfet Collin lui envoya, le 20 brumaire an IX (11 novembre 1800) un travail sur le département de la Drôme, qui fut jugé « très bien fait, très instructif, l’ouvrage d’un bon administrateur, d’un homme habitué à observer » et digne d’être imprimé (38). Ce mémoire est divisé en vingt chapitres, dont voici l’énumération population (235357 habitants; 246687 en 1780); hospices; grains; ordre judiciaire, civil, criminel (les vols, les assassinats, etc., sont beaucoup plus nombreux qu’avant 1780); prêtres; contributions (2.698.369 fr.52 de contributions directes et indirectes, soit 11fr. 46 1/2 par individu) nature du sol, produits du sol et commerce des denrées en nature ; bestiaux et laitage ; bois ; essence des bois dans le département de la Drôme; état actuel des bois de la Drôme; fabriques ; rivières ; ponts et chaussées ; minéraux du département de la Drôme ; botanique ; zoologie ; instruction publique.

Le Ministre de l’Intérieur, Chaptal, remercia le préfet par une lettre du 18 frimaire (9 décembre 1800) et lui transmit diverses observations intéressantes. Pour la population, plusieurs relevés présentaient de grandes différences.

Le bureau du cadastre évalue la population à 241261, un comité de l’Assemblée Constituante à 246687, ce qui, en supposant que votre département a 320 lieues carrées, ainsi qu’on l’établit en 1790, donnerait 735 1/5 ou à peu près par lieue, et M. Necker ne l’estime qu’à 649 pour la généralité de Grenoble.

Je trouve une grande différence dans l’évaluation de l’étendue de votre territoire mais elle existe non seulement entre vous et l’Assemblée Constituante, mais entre vous et le bureau du cadastre qui estime ]e département de la Drôme à 759150 hectares, tandis que vous ne le portez qu’à 653000 et entre l’Assemblée Constituante qui l’évalue à 328 lieues et le citoyen Pouchet qui le réduit à 311, et la nouvelle édition de Lacroix ne le porte qu’à 329 et les habitants à 233000. Suivant votre évaluation le département de la Drôme paye en total 2698369 fr. 52, ce qui fait 11fr. 46 par tête. Suivant M. Necker, la généralité de Grenoble payait 17 liv. 15 sols. Le contribuable payait réellement plus que cette somme, puisqu’il y avait des privilégies, et que les propriétés étaient grevées de la dîme et des droits féodaux et de la corvée; le sel se payait 32 l. etc. On paye donc aujourd’hui beaucoup moins qu’en 1786. D’où vient donc que la contribution paraît plus onéreuse ?

Cela vient-il d’un vice dans la répartition ? Vous me dites bien que la contribution foncière est trop forte; mais dans quelle proportion est-elle avec les vingtièmes qu’elle remplace ? la proportion dans laquelle elle se trouve avec les contributions indirectes est-elle la même qu’autrefois?

Je pourrais multiplier, ici, beaucoup les questions, citoyen Préfet; mais je me borne à vous engager à approfondir soigneusement la comparaison entre les contributions anciennes et les contributions actuelles.

Il faut aussi les envisager sous d’autres rapports; rechercher la proportion dans laquelle elles se trouvent avec le prix de la journée de travail.

On pourrait peut-être juger du véritable état d’un pays, si on avait une connaissance très exacte de ce que chaque individu paye de contribution, de ce qu’il dépense par jour, de ce que vaut la journée de travail; on aurait du moins une partie des éléments dont se compose sa richesse. Je vous engage à recueillir sur ces trois points tous les renseignements qu’il vous sera possible de vous procurer et de comparer le passé au présent avec assez de soin, pour que nous jugions le bien qui est fait et celui qui est à faire. Il me paraît certain que la suppression de la dîme et celle des droits féodaux ont tourné à l’avantage de l’agriculture, qu’elle a gagné aussi, en re que les propriétés ecclésiastiques ont été transférées à des citoyens intéressés a les améliorer, que la loi du maximum et les assignats, si funestes sous tant de rapports, ont du moins engagé à élever beaucoup de bétail, que le premier, payant peu ou rien, a amélioré sa terre, et qu’en conséquence il est aujourd’hui dans une plus grande aisance et par conséquent meilleur cultivateur qu’aussi les campagnes se sont peuplées tandis que les villes se dépeuplaient et que si la proportion des villes aux campagnes était pour la Drôme comme 3 est à 20, elle doit être changée.

J’aurais voulu qu’à vos idées sur la nature du sol, vous eussiez joint quelque chose sur les observations météorologiques, sur les maladies régnantes, etc. Vous vous procurerez ces renseignements en consultant les hommes instruits par l’expérience et par l’habitude d’observer, et surtout les médecins, dont les soins pourront contribuer à donne) a ta suite de votre travail la perfection à laquelle il doit atteindre, et vous jugerez peut-être utile de former autour de vous une société d’agriculture, que vous composerez plutôt d’hommes sachants et vivants bien que d’hommes bien disants et qui croient qu’une théorie quelconque supplée à la connaissance des faits, vous tirerez un parti utile de la réunion de ces hommes estimables qui vous aideront de leurs connaissances locales (39).

Vous trouverez dans le Journal de physique d’octobre et novembre 1789, un mémoire sur les causes du dépérissement des bois du Dauphiné; l’auteur l’attribue principalement aux vices de l’administration, mais il parait par ses observations que le mal est très ancien et qu’on n’a jamais trop sérieusement songé aux remèdes. Quel service vous rendriez si vous pouviez encourager les plantations et porter par vos exhortations les propriétaires à réparer nos pertes et les leurs (40).

Le préfet adressa sa réponse au Ministre de l’Intérieur le 3 nivôse (24 décembre 1800). A la veille de son départ, ne pouvant répondre a toutes les demandes du ministre, II s’étendit surtout sur la question des contributions

Suivant M. Necker, la généralité de Grenoble, qui forme les départements de l’Isère, de la Drôme et des Hautes-Alpes, payait 17 l. 15 s. par tête. Le département de la Drôme, qui faisait partie de cette généralité, ne paye que 11 fr. 46 c. 1/2. Il est donc moins chargé qu’en 1786.

M. Necker n’a établi la répartition des 11800000 francs, imposés à cette époque pour la généralité de Grenoble, que sur 664600 individus, tandis que la population effective s’élevait à 779439, ce qui réduit la contribution de 1786 à 15 fr. 13 c. 6/7 par tête.

On commettrait une grande erreur, en prenant cette base pour connaître si l’impôt est dans une juste proportion avec les moyens des contribuables. Ce n’est point le nombre des habitants, mais la richesse territoriale qui doit présider à l’assiette des contributions, et un sol sec et aride ne peut être soumis à des calculs généraux.

Il existe peu de grandes propriétés dans la Drôme; elles y sont très divisées; la culture y est extrêmement ingrate et pénible. Sous ces deux rapports, les bras y sont multipliés dans une mesure qui n’est certainement pas celle de la richesse territoriale, et la même quantité de bras n’y donne pas, à beaucoup près, la même somme de produit que dans le département de l’Isère.

Dans la Drôme, une famille occupant une petite ferme, composée de 6 individus, cultive une quantité de terrain sur laquelle on sème 20 quintaux de grains le produit à 3 1/2 pour un ne présente que 70 quintaux, c’est-à-dire 50 net (semence prélevée) la famille en consomme 30 à raison de 5 par tête et il ne reste en valeur commerciale que 20 quintaux.

Dans le département de l’Isère, le même espace de terrain de qualité médiocre, avec la même quantité de semence, produit à raison de 7 pour un 140 quintaux, et en faisant les mêmes déductions le propriétaire ou le fermier peut livrer au commerce 90 quintaux, c’est-à-dire quatre fois et demi plus que celui de la Drôme.

Les contributions directes de ce département, qui consistaient en vingtième, taille et capitation, étaient en 1789 de 1365350 livres. Elles ont été remplacées par les contributions foncière, personnelle. mobilière, qui s’élèvent à la somme de 1460750 francs, à quoi il faut ajouter celle de 76514 fr. 20 pour l’impôt sur les portes et fenêtres Pour juger si un département est surchargé, il ne faut pas comparer ses impositions actuelles avec celles qu’il supportait avant la Révolution mais il faut établir la comparaison entre les charges et les ressources de chaque département.

Le Comité des contributions de l’Assemblée Constituante, pressé de faire son rapport et manquant de temps pour se procurer des renseignements sur la force contributive de chaque département, commit des erreurs très graves dans la répartition des impôts.

Les droits de champart, de cens, ceux de la féodalité, la dîme pesaient sur toute la France; mais les droits étaient plus ou moins onéreux, et il n’y avait point d’uniformité dans leur quotité. Dans certaines provinces, la dîme était le 15e, 12e, 10e, jusqu’au 5e de chaque production, tandis que le territoire de la Drôme n’était assujetti qu’au trentième. Les autres impôts étant moins anciens que la dîme et les droits féodaux, lorsque le gouvernement les créa, il eut sans doute égard dans la répartition à la quotité de ceux qui étaient déjà établis; en agissant autrement il eût forcé les propriétaires a abandonner leurs terres.

Il résulte de ce principe que le territoire de la Drôme ne payant qu’une faible dîme fut plus imposé par le fisc que les autres provinces, et continuant de l’être sur l’ancienne base, il a beaucoup moins gagné que les autres départements à la suppression des droits féodaux et de la dîme.

A la masse de la contribution foncière de1791, le Comité ajouta 45800794 francs imposables sur les biens alors privilégiés. Le département du Nord n’est entré dans la distribution de cette somme que pour celle de 15509 livres, tandis que celui de la Drôme y a été compris pour 254710 livres. Cependant le clergé y était pauvre, comme les autres habitants, tandis qu’il était très riche dans la ci-devant Flandre.

Le même département de la Drôme fut imposé à 108391 livres en remplacement de la corvée pour l’entretien des grandes routes; celui de l’Ain n’y fut compris que pour 611 livres et celui de la Charente pour 1094.

Il est incontestable que le travail de l’Assemblée Constituante sur les contributions a été fait avec trop de précipitation et sur des bases inexactes, que plusieurs départements sont évidemment surchargés, et qu’il est de la justice et de la bienfaisance du gouvernement de réparer par une nouvelle répartition, des erreurs aussi nuisibles au trésor public qu’à l’agriculture

L’intérêt de l’agriculture réclame une diminution sur la contribution foncière, et il serait à désirer, comme je l’ai observé dans mon premier mémoire, qu’elle pût être en partie remplacée par des contributions indirectes. Le préfet exposait ensuite ses vues sur le système des douanes, il s’étonnait que cette administration ne fût pas dans les attributions du ministère de l’Intérieur. Il signalait l’existence, dans la Drôme, d’une société d’agriculture, puis donnait de nouveaux renseignements sur l’état du département.

Le climat de la Drôme est pur, sain, mais très vif. Les chaleurs de l’été y seraient très fortes si elles n’étaient tempérées par un vent du nord qui s’élève souvent sur le Rhône. Les habitants de ce pays ne sont sujets à aucune maladie épidémique ou locale.

Le nombre des brebis, loin de diminuer dans la Drôme, a éprouvé de l’augmentation depuis 1789 Les règlements qui ne permettent qu’aux propriétaires d’une certaine quantité de terre d’avoir des troupeaux sont restés sans exécution, et la plupart des habitants des villages ont maintenant quelques moutons. Cette multitude de petits troupeaux est plus nuisible qu’utile, parce qu’ils font beaucoup de dégâts dans les campagnes et principalement dans les forêts nationales dont ils détruisent les rejetons.

Toutes les laines du pays sont employées parles fabricants de Crest, Peyrins et Chabeuil, qui en tirent encore de la ci-devant Provence et du Levant.

Le sol du département, sec, rocailleux, montueux et décharne, n’a point de pâturage gras, si l’on excepte les seules montagnes au Nord et Nord-Ouest de Die. Les chèvres sont en grand nombre dans ce département, parce que gravissant les rochers avec facilité, elles y trouvent leur nourriture; mais leur dent meurtrière attaque, anéantit toutes les pousses des bois et fait payer bien cher le faible avantage qu’elles procurent. On réclame aussi de toutes parts des règlements contre ces animaux destructeurs. Vous désirez savoir si j’ai conservé dans les hospices des femmes pieuses, dont les charitables soins contribuent tant à adoucir le sort du pauvre. Oui, sans doute, citoyen Ministre, je les ai conservées ces amies de l’humanité souffrante. J’ai ranimé, non leur zèle et leur courage qui ne se sont jamais démentis, mais leur confiance dans un gouvernement régénérateur. Que ceux qui doutent de leur. utilité entrent dans ces asiles du malheur et de la pauvreté! Ils y verront avec quelle douceur, quelle sensibilité, ces femmes vertueuses prodiguent les soins les plus tendres aux pauvres, aux malades, aux blessés et versent dans leurs cœurs comme dans leurs plaies un baume salutaire. Que l’on compare encore ces hospices sous les rapports de la morale et de l’économie avec ceux conduits par des hommes et la question sera bientôt jugée (41)

En résumé, si le préfet Collin montra peu d’énergie et d’habileté dans la poursuite des brigands qui désolaient la partie méridionale du département de la Drôme, il fit preuve de remarquables qualités d’observation et adressa au Ministre de l’Intérieur des renseignements très intéressants sur l’état économique de ce département.

vRépression du brigandage. Les éclaireurs et la commission militaire. Le préfet Marie Descorches. Le tribunal criminel spécial.

Aussitôt après le départ de J.-B. Collin, le secrétaire général, Vallenet, exerça par intérim les fonctions de préfet. Il adressa, le 9 nivôse an IX (30 décembre 1800), une circulaire aux trois sous-préfets et aux maires des principales communes du département.

Le citoyen Collin, préfet de ce département, vient de le quitter pour se rendre dans celui de Seine-et-Marne, où il est appelé en la même qualité; le citoyen Descorches désigné pour son successeur n’arrivera que vers la fin du mois, ainsi que l’avis en a été reçu, du moins c’est présumable. En attendant, citoyen, comme la loi du 17 ventôse dernier a désigné le secrétaire général de préfecture pour remplir les fonctions de préfet dans les cas urgents, je vous donne avis de ce départ et me flatte que notre correspondance, en même temps qu’elle va devenir plus directe, ne perdra rien de son ancienne activité.

Je sens qu’il est difficile, même momentanément, de remplacer dignement le citoyen Collin que nous regrettons sincèrement et que ce département regrette avec juste raison, mais secondé par vous, il me paraît possible de parcourir la carrière avec quelque succès. Je compte sur votre zèle et vous prie de croire à la sincérité de mes sentiments (42). C’est vers ce moment qu’on eut connaissance à Valence des mesures énergiques prises par les Consuls pour mettre fin au brigandage. Leur arrêté du 1er nivôse an IX (22 décembre 1800) prescrivait la formation d’un corps d’éclaireurs et d’une commission militaire.

ART.1er. Il sera formé un corps de trois compagnies d’éclaireurs, chacune composée de 60 hommes de la 11edemi-brigade de ligne, de 30gendarmes pris dans la 7e division militaire et de 30 hussards ou chasseurs à cheval pris dans les dépôts de Lyon.

ART. 2. Ce corps sera commandé par l’adjudant-commandant Boyer qui commande actuellement dans le Mont-Blanc.

ART. 3. Ce corps aura à sa suite une commission militaire extraordinaire nommée par le général Ferino.

ART. 4. Le général de division Leclerc, après l’avoir passé en revue et s’être assuré de sa bonne composition, le fera embarquer à Lyon jusqu’à Montélimar, d’où il se mettra sur-le-champ à la poursuite des brigands qui désolent le département de la Drôme.

ART. 5 L’adjudant-commandant Boyer tiendra toujours son quartier général dans des villages les brigands qui seront pris seront jugés dans les 24 heures par la commission militaire extraordinaire.

ART. 6. L’adjudant-commandant Boyer rendra compte de ses opérations au général de division Ferino. En transmettant, le 5 nivôse (26 décembre), cet arrêté au préfet, le Ministre de la Police générale lui annonçait l’envoi d’une somme de 6000 francs, dont la moitié serait mise à la disposition de l’adjudant Boyer pour frais d’espionnage, et le reste employé en gratifications pour les militaires ou autres, pour chaque brigand pris ou tué.

Cet arrêté fut très mal accueilli par le général Ferino qui écrivit d’Avignon, le 18 nivôse (8 janvier 1801), à Vallenet, préfet de la Drôme par intérim, pour lui déclarer qu’on avait trompé le gouvernement. Quelques faux amis de la chose publique lui ont fait entendre que les brigands de ces contrées étaient organisés, et, saisissant cette fausse attestation, les ministres ont cru qu’il n’y avait qu’à envoyer de la troupe pour faire le coup de fusil. Voilà l’erreur. Voici la vérité. L’organisation des brigands est un fantôme ils existent réellement, mais ils sont disséminés dans toutes les communes qui en fournissent ou plus ou moins. Si enfin la masse des habitants voulait sincèrement la destruction de ses assassins, elle serait opérée sur-le-champ. Mais comme ce moment n’est pas arrivé, il faut que la troupe ne fasse point de mouvements bruyants, qu’elle établisse des embuscades, qu’elle soit bien servie par les autorités qui doivent lui donner des renseignements, que le brigand pris en flagrant délit soit fusillé sur-le-champ et que ceux arrêtés par suite de la clameur publique soient conduits à Avignon avec les preuves qu’on pourra recueillir sur-le-champ. Il résulte donc de ces données vraies que ce pays ne manque point de tribunal militaire, mais de scélérats pour y recevoir la sentence que ce pays ne manque point de brigands, mais d’hommes assez énergiques pour les signaler et déposer contre eux et qu’enfin ce pays sera calme alors que les autorités locales et les bons citoyens s’élèveront en masse contre cette poignée de monstres. D’après cela, citoyen Préfet, la commission ne sera point à Montélimar; l’adjudant Boyer à qui j’ordonne impérieusement d’être en harmonie avec les autorités civiles fera observer la plus rigoureuse discipline à sa troupe; il se rendra à Taulignan ou à Dieulefit.

En terminant, le général annonçait que trois brigands de Richerenches, le père et les deux fils, auteurs ou complices de l’assassinat commis le 13 frimaire sur la personne d’un capitaine de la 10e demi-brigade, avaient été condamnes à mort. Dix-sept brigands avaient été condamnés dans le cours d’un mois.

Le général Ferino aurait peut-être voulu poursuivre seul la destruction des brigands peut-être existait-il une inimitié personnelle entre lui et l’adjudant-commandant Boyer. Toujours est-il qu’il chercha plutôt a entraver la mission de celui-ci qu’à la faciliter. Gaud-Roussillac écrivait le 23 nivôse (13 janvier).

L’adjudant-commandant Boyer partit le 21 de ce mois avec la majeure partie des troupes qui étaient sous son commandement. Arrivé dans les communes de Taulignan et de Grignan, il avait obtenu des notions précieuses sur la retraite des brigands, sur les lieux qui leur servaient d’asile; il était à l’instant de se livrer a des recherches que toutes les probabilités annonçaient devoir être fructueuses. Mais il a reçu du général Ferino des ordres tant pour revenir sur-le-champ à Montélimar se concerter avec le général Bizanet que pour consacrer à la sûreté des grandes routes deux sur trois de ses compagnies d’éclaireurs et la moitié de sa cavalerie. Je regrette que des circonstances, impérieuses sans doute, aient force le général Ferino à disposer des troupes qui composaient la colonne mobile commandée par le citoyen Boyer. Je suis aussi pénétré de la bonté des vues du général Ferino que fâché pour notre localité de voir différer sinon perdre l’occasion de porter un coup décisif au brigandage qui infeste ces contrées.

Quelques semaines plus tard, le 18 pluviôse (7 février), il écrivait encore

Le 20 nivôse dernier, le général Ferino a prévenu l’adjudant Boyer qu’une commission militaire extraordinaire serait nommée sous peu de jours et mise à la suite de la colonne destinée à agir dans la Drôme. Le général ni la commission n’ont point encore paru et j’en suis fâché, car je ne doute pas que les habitants des campagnes et des communes, encourages par la présence d’un tribunal vengeur, ne fissent connaître des coupables dont l’absolution, si elle était prononcée, serait un nouveau signal de meurtres et de vengeances. La mesure prise par le gouvernement était digne de sa bienfaisance trois compagnies d’éclaireurs, 60 hommes de cavalerie, une commission militaire à la suite du quartier général, quelques fonds pour l’espionnage, c’en était assez; mais le départ du dépôt de la 10e demi-brigade et le remplacement de ce corps par la colonne mobile ont ajourné le coup décisif que le citoyen Boyer allait porter aux brigands.

Heureusement, le nouveau préfet de la Drôme était un homme énergique et habile, qui ne se laissait pas déconcerter par les difficultés.

Marie-Louis-Henri Descorches était normand. Né le 17 septembre 1749 à Sainte-Croix (Orne, arrondissement d’Argentan), il avait servi successivement dans l’armée et la diplomatie. Dans une note adressée quelques années plus tard au Ministre de l’Intérieur, il résumait ainsi sa carrière.

Entre dans la carrière militaire en 1766 comme sous-lieutenant dans le régiment de Bourbon-infanterie, en 1767 dans le régiment des gardes-françaises, d’où sorti en 1780 avec le grade de colonel à la suite, pour suivre la carrière diplomatique, où j’ai été employé constamment depuis lors comme ministre plénipotentiaire ou envoyé extraordinaire, successivement à Liège, a Varsovie, à Constantinople. Je fus nommé ambassadeur à la Porte Ottomane en l’an 6; mais au moment même où j’allais partir pour m’y rendre (j’avais reçu mes dernières instructions) le manifeste de la Porte contre la France de sa déclaration de guerre à l’occasion de l’expédition d’Egypte parut et je reçus contre-ordre. Je fus également nommé en l’an 8 en qualité de plénipotentiaire pour aller en Egypte y traiter de la paix. La frégate l’.Egyptienne avait été armée pour cette mission. J’y étais embarqué lorsqu’un aide de camp de M le général Kléber arriva porteur du traité d’El-Arideh qui rendait ma mission sans objet. Les ordres que je reçus en conséquence me rappelèrent à Paris, d’où je fus envoyé ici comme préfet le 11 frimaire an 9. Mon installation eut lieu le 14 pluviôse suivant. Chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis en 1783, maréchal des camps et armées en 1792 (43). Le jour même de son arrivée à Valence, le 14 pluviôse (3 février 1801), Descorches écrivait aux trois sous-préfets en termes très nets :

J’arrive à Valence, citoyen Sous-Préfet, et je n’ai rien de plus empressé que de vous en faire part et de commencer les rapports que je vais avoir avec vous.

Je ne m’étendrai pas sur les sentiments que j’y apporte. Je veux obtenir votre confiance que je désire, votre estime dont je me flatte déjà, tout autrement que par des phrases. Vous en recevrez peu de moi. L’expérience nous a rendus avides de faits et très rassasiés de paroles.

Les intentions du Gouvernement sont de faire disparaître tous les maux de la Révolution, de n’en laisser subsister que les bienfaits. Ce qu’il a déjà fait atteste assez ce qu’il se propose de faire nos devoirs y sont tracés l’inclination de tous ceux qui aiment le bien public ne peut que les leur rendre chers à remplir.

Activité, fermeté dans l’exercice de mes fonctions pour l’exécution des lois, justice la plus scrupuleusement impartiale envers tous, voilà sur quoi vous pouvez compter de ma part. Je compte de même dans l’exercice des vôtres sur le concours franc et zélé que l’opinion qui m’a été donnée de vos talents me fonde à en attendre.

Le même jour, il adressait aux maires une circulaire dans laquelle il exprimait des idées analogues. Le lendemain, il écrivait au préfet de Vaucluse et lui faisait part de son désir de travailler « à la destruction de l’horrible fléau qui continue de désoler nos départements ». Il ajoutait « Je ne vois partout que des scènes d’horreur, que consternation et des communes au moins frappées de terreur si plusieurs ne recèlent pas dans leur sein beaucoup de complices des malfaiteurs ». Au général Ferino, il témoignait son regret de voir que les mesures ordonnées par l’arrêté des Consuls du 1er nivôse n’avaient pas produit leur effet. Le 21 pluviôse (10 février), le préfet écrivait au Ministre de la Guerre

L’arrêté du premier Consul du nivôse ordonnant dans le département la formation d’un corps d’éclaireurs et l’établissement d’une commission militaire à sa suite avait porté l’espoir dans tous les cœurs, relevé les esprits consternés par les horreurs du brigandage. On voyait avec reconnaissance dans ces mesures vigoureuses la sollicitude du gouvernement pour les maux qui nous affligent, le seul remède qui pût les faire cesser. Je partageais vivement ces sentiments. Je suis arrivé plein de confiance dans les effets qu’auraient déjà produits et que devaient nécessairement produire les opérations de ce corps que j’avais appris, à mon passage à Lyon, être déjà en activité. Mais j’ai trouvé les idées consolantes que son annonce avait produites remplacées de nouveau par la tristesse. Des plaintes, des inquiétudes plus animées même encore qu’elles ne l’étaient auparavant, parce qu’effectivement plusieurs parties se trouvent plus en souffrance ou plus exposées, m’ont assailli et voici comment :

1°) Point de commission militaire, dont la présence seule eût été un grand bien, par l’effroi qu’elle eût inspiré aux malfaiteurs et surtout par l’assurance qu’elle communiquerait aux intimidés en très grand nombre qui se taisent, crainte de pis, malgré leur bonne volonté de contribuer à purger leur pays des coquins qui l’infestent.

2°) A peine les éclaireurs ont-ils été mis en mouvement vers les montagnes qui forment comme le camp retranché des brigands, et qu’il est évident, ce me semble, qu’il faut commencer par bien nettoyer avant tout, pour parvenir à leur destruction, que le départ que vous avez ordonné du dépôt de la 10e demi-brigade, chargée jusque-là de la protection de la grande route, a forcé le général Ferino de rappeler pour l’y remplacer la majeure partie du corps de ces éclaireurs en sorte que ce qui est resté disponible entre les mains de l’adjudant-commandant Boyer est devenu insuffisant pour la continuation de ses opérations. Depuis lors elles n’ont plus été que languissantes….

Cependant l’adjudant-commandant Boyer poursuivait les brigands, malgré les tracasseries du général Ferino qui semblait « vouloir plutôt entraver ses mouvements que leur donner l’essor » (44). Plusieurs brigands furent capturés. Enfin le 10 ventôse (1ermars), la commission militaire fut nommée par le général Ferino. « Les membres qui la composent sont de braves et loyaux militaires, mais il eût été à désirer qu’ils ajoutassent à leur moralité reconnue un peu plus de capacité, car la garantie de l’innocence comme la découverte du crime dérive bien souvent des connaissances et de la sagacité des juges » (45). Le 19 ventôse (10 mars), la commission condamna à mort Dominique MaiIIet, dit Souvarof, coupable d’avoir participé au vol et à l’assassinat du percepteur de Chamaret. Mais, deux jours plus tard, un ordre du général Bizanet rappelait le chef de bataillon Nagle, président de la commission. « Voilà désorganisée la commission militaire et la voilà annulée par le général Ferino sans doute, qui, s’il avait voulu que ce tribunal subsistât, aurait envoyé avec le rappel du citoyen Nagle un officier du même grade pour le remplacer, car la commission ne peut être présidée que par un chef de bataillon en activité de service » (46).

De son côté, Boyer annonçait au préfet qu’il allait nommer un capitaine pour remplacer Nagle et il ajoutait « ce nouvel obstacle me dégoûterait de ma mission, si mon amour pour le gouvernement et le désir de concourir avec vous à la tranquillité de ces contrées ne raidissaient mon courage contre les entraves qu’on accumule contre toute mes mesures ».

Les captures et les exécutions de brigands se multiplient. Le 24 ventôse (15 mars) le sous-préfet de Montélimar annonce l’exécution d’un nommé Sauvant, à Grillon. Le lendemain, Boyer fait savoir au préfet que Blaise Sourillat, de Bouchet, a été jugé et fusillé dans cette commune que deux insignes brigands Arnoux et Carteron, ont été arrêtés. Mais les survivants continuent leur méfaits. Le 27 ventôse (18 mars), un cadavre percé de sept balles est trouvé entre Grignan et Montségur. Le 3 germinal (24 mars), douze brigands armés pénètrent dans le bureau des fermiers de la barrière du pont de la Drôme à Livron et leur enlèvent 840 francs.

Le 4 germinal, Descorches partit de Valence pour faire une tournée dans la partie méridionale de son département. Il en rendit compte au Ministre de la Police générale le 15 germinal (5 avril 1801) :

Je suis rentré ici hier au soir de la tournée que je viens de faire dans les 3° et 4° arrondissements de ce département. J’en ai visité les principales communes et me suis arrêté à Montélimar, Châteauneuf-de-Mazenc, Dieulefit, Taulignan, Grignan, Nyons, Mirabel, Mollans, Le Buis, Vinsobres, Tulette, Suze-la-Rousse, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Pierrelatte et Donzère. Toutes celles à portée de mon passage se sont empressées vers moi j’en ai trouvé les gardes nationales sous les armes, les maires, adjoints et souvent les conseils municipaux à leur tête, m’attendant sur la route pour m’exprimer leur reconnaissance des mesures prises pour les délivrer des dévastations du brigandage. Partout les échos ont retenti de bénédictions pour le gouvernement; partout, j’ai recueilli, sous toutes les formes, les témoignages les plus touchants et les moins équivoques de la confiance et de l’affection dont ses actes pénètrent tous les cœurs. Partout, j’ai joui des acclamations les plus éclatantes, en faveur de la République, du Gouvernement et du premier Consul.

.J’ose vous garantir, d’après ce que j’ai vu et entendu que le gouvernement peut compter sur les habitants de la Drôme au nombre de ceux qui lui sont le plus cordialement et le plus fortement attachés. Je vous prie d’en rendre compte aux Consuls et vous demande d’en obtenir des témoignages de leur satisfaction, que je sois autorisé à publier. Je ne crains pas de dire que nous les méritons tous.

Je dois y comprendre l’adjudant commandant Boyer qui m’a accompagné dans cette tournée, que j’ai appris à connaître encore mieux en le voyant plus longtemps et de plus près et dont je ne puis vous dire trop de bien. J’ai été témoin presque à chaque pas de l’estime générale qu’il s’est conciliée, par la manière dont il remplit la mission qui lui a été confiée, et par l’esprit excellent dont il a pénétré le corps des sages autant que braves éclaireurs qu’il commande. Il n’est aucune administration locale qui ne m’en ait fait des éloges, aucune garde nationale qui ne se soit offerte à lui avec une sorte d’enthousiasme pour seconder ses opérations. Personne ne m’a paru douter qu’elles ne tirassent à leur fin. On ne connaît plus qu’une seule bande, effrayée, peu nombreuse, commandée par un ancien militaire déserteur, déjà condamné aux fers et qui s’en est échappé, nommé Viarsac, vigoureux, intrépide et adroit. Il est du pays, connaît bien les montagnes et s’est toujours jusques ici échappé à leur faveur. Voilà cependant en dernier lieu, deux ou trois fois qu’on ne l’a manqué que de très près. On croit savoir qu’il se regarde lui-même comme perdu et que s’il ne fuit pas au loin, ce qui peut lui présenter de plus grands dangers encore, vu la surveillance qui s’exerce maintenant partout, il ne peut manquer de succomber aux poursuites dirigées aujourd’hui contre lui de tous les points. Nous avons lieu aussi de nous flatter qu’il sera livré par ses propres gens qui sentent le sort qui les attend il y en a deux déjà qui ont fait sonder l’adjudant Boyer pour savoir s’ils pourraient compter sur leur grâce. Je l’ai autorisé à les en assurer s’ils rachetaient leurs délits en rendant à l’humanité le service de mettre un terme à ceux de Viarsac et de sa bande. En attendant, la commission militaire transportée à Grignan, d’où elle doit se rendre à Nyons, continue de produire la très salutaire impression de ses jugements, auxquels je n’ai encore entendu donner que des applaudissements. Elle vient d’en rendre deux à Grignan le dernier est le 9escélérat avéré dont elle a purgé la terre depuis sa formation. Elle s’est fait à cette occasion beaucoup d’honneur par son intégrité et son impassibilité au milieu des sollicitations et des séductions de toute espèce employées pour le sauver. C’était un très beau jeune homme, appartenant à des gens riches. La commission n’a vu que son devoir et l’intérêt de la société. En général, elle m’a semblé très fidèle aux principes communs à l’adjudant Boyer et à moi et convenus entre nous dès son début, de ne prononcer que sur des affaires frappantes d’évidence et déjà jugées par l’opinion publique, et d’ajourner toutes les autres pour être instruites par le tribunal spécial » (47).

Quelques jours plus tard, le préfet annonçait au Ministre de la Police générale la capture de Viarsac, arrêté par des cultivateurs de Bourg-les-Valence, au moment où il cherchait à traverser le Rhône. Il fut transféré à Montélimar.

La commission militaire continuait a rendre ses jugements contre les brigands. François Forestier, condamné à mort le 5 floréal (25 avril), fut exécuté le 6 à Valréas ; Viarsac, condamné le 7 et exécuté à Venterol le 8; Arnoux, fusillé à Montélimar le 10 floréal. Du 19 ventôse (10 mars) au 10 floréal (30 avril), la commission avait jugé vingt individus treize avaient été fusillés, deux renvoyés à plus ample informé, un acquitté et renvoyé au dépôt général de l’armée comme conscrit, quatre mis en liberté. 53 brigands étaient détenus dans les prisons de Montélimar, le 18 floréal.

Le 10 floréal, le préfet écrivait à Boyer.

Il semble que la commission militaire, qui mérite beaucoup d’éloges, ait dû, comme pour être récompensée de l’activité et de l’impartialité qu’elle a mises dans ses opérations, les terminer par le jugement le plus impatiemment attendu, le plus fortement prononcé à l’avance par la voix et l’indignation publiques, celui qui a condamné Viarsac. Le tribunal criminel spécial a été installé hier à trois heures. Aux termes de l’arrêté des Consuls du 4 ventôse, la commission militaire va ne plus exister, je m’empresse en conséquence de vous en donner l’avis.

Boyer répondit le 13 floréal que la commission avait cessé ses fonctions le 11. « Ma mission se trouve pour ainsi dire terminée. Les brigands qui infestaient le département de la Drôme sont fusillés, détenus ou hors du territoire. Cependant il en existe encore huit fameux, mais du département de Vaucluse et résidant le plus souvent dans les communes de Valréas, Richerenches, Visan et granges circonvoisines ».

Les tribunaux spéciaux, qui remplaçaient ainsi les commissions militaires extraordinaires, avaient été institués par une loi du 18 pluviôse an IX (7 février 1801). Le tribunal spécial était composé du président et de deux juges du tribunal criminel, de trois militaires ayant au moins le grade de capitaine et de deux citoyens ayant les qualités requises pour être juges ces derniers, ainsi que les trois militaires, étaient désignés par le premier Consul. Le commissaire du gouvernement près le tribunal criminel et le greffier du même tribunal remplissaient leurs fonctions respectives près le tribunal spécial.

Le tribunal spécial devait connaître des crimes et délits emportant peine afflictive et infamante, commis par des vagabonds et gens sans aveu, des vols sur les grandes routes, dans les campagnes et dans les habitations de campagne, des assassinats prémédités, du crime d’incendie et de fausse monnaie, des assassinats préparés par des attroupements armés, des menaces, excès et voies de fait exercés contre des acquéreurs de biens nationaux à raison de leurs acquisitions.

Un arrêté des Consuls du 4 ventôse (24 février) établit des tribunaux spéciaux dans 27 départements, notamment dans plusieurs départements du sud-est Bouches-du-Rhône, Var, Alpes-Maritimes, Vaucluse, Hautes et Basses-Alpes, Drôme, Gard, Hérault, Lozère, Ardèche. Ils devaient entrer en activité le 1er germinal.

Mais c’est seulement le 21 germinal (11 avril), qu’un autre arrêté du premier Consul nomma, pour composer le tribunal spécial de la Drôme, les citoyens Duval, chef d’escadron de gendarmerie ; Baudoin, capitaine, aide de camp du général Herbin ; Pelletier, capitaine en second de la 5e compagnie du 1er bataillon de la 5° demi-brigade des vétérans ; Odeyer, ex-juge ; Abrial, de Montélimar, ex-magistrat ; Marcellin-René Bérenger, président du tribunal criminel ; Savoye et Sibeud, juges ; Curnier, commissaire du gouvernement, et Darasse, greffier, complétaient ce tribunal criminel spécial, qui se déclara légalement constitué le 9 floréal (29 avril) (48)

La première session, commencée le 6 prairial (26 mai), se termina le 12 (1er juin). Cinq procès furent jugés; sur onze prévenus, deux furent acquittés, huit condamnés à 16 ans de fers, un à la peine de mort. Mais le tribunal spécial ne tarda pas à se relâcher de cette sévérité. Le messidor (22 juin), Descorches écrivait au Ministre de la Police générale que ce tribunal venait de prononcer une mise en liberté dans la première affaire dont l’avaient saisi l’adjudant Boyer et la commission militaire. Trois jours plus tard, il lui signalait l’attitude du président Marcellin-René Bérenger :

Je suis le premier à rendre justice aux lumières et à l’intégrité de son président, mais je ne mettrai pas moins d’empressement et de soin à signaler et à éloigner autant qu’il dépendra de moi les dangers d’une précipitation ou d’une indulgence également funestes dans ses opérations. J’ai encore vu les restes du brigandage on gémissait sur ses horreurs lorsque je suis arrivé dans la Drôme et s’il était possible que j’en visse le retour après avoir respire un moment, les malheurs de ce département n’en seraient que plus affligeants pour moi.

De son côté, le sous-préfet de Montélimar écrivait au préfet le 9 messidor (28 juin) et lui déclarait qu’il répugnait à correspondre avec Curnier, « cet homme équivoque ».

La lutte existante entre ce commissaire et le président du tribunal est affligeante pour les amis de l’ordre et il est à craindre qu’à travers ces querelles des brigands trouvent moyen de s’échapper. Sans déterminer le degré de croyance que méritent les assertions du citoyen Curnier, il est permis de penser que les prévenus de brigandage ont trouvé des protecteurs et ces derniers sont au moins imprudents de s’intéresser à des individus qu’ils ne connaissent pas. La confiance que mérite et que méritera, j’espère, davantage le tribunal spécial n’est pas encore un sentiment généralement répandu et les dissensions qui règnent parmi les membres de cette autorité alarment beaucoup de citoyens et n’édifient personne.

Le 17 messidor (6 juillet), le préfet annonçait au Ministre de la Police générale que Boyer et Gaud-Roussillac se rendaient à Paris et l’entretiendraient de la marche du tribunal spécial.

Je vous annonce l’adjudant-commandant Boyer se rendant à Paris par congé du Ministre de la Guerre. Le compte que je vous ai souvent rendu de ses œuvres ne me laisse plus qu’à vous confirmer mon opinion qu’on ne pouvait remplir mieux, sous tous les rapports, les intentions du Gouvernement, ni justifier sa confiance que ne l’a fait cet officier. Tous les échos des 3° et arrondissements le proclament comme leur libérateur. Voilà la vérité. C’est la vérité aussi qu’ils sont en ce moment dans l’état de tranquillité, d’ordre et de sûreté le plus satisfaisant. Celui qui y a principalement contribué ne saurait sans doute qu’être bien accueilli par vous, ne peut que recevoir de la part du Gouvernement des témoignages de son estime et de sa bienveillance. Le sous-préfet de Montélimar y a les mêmes titres, puisqu’il n’a pas eu certainement moins de part au succès. Il y ajoute celui d’avoir été longtemps auparavant seul sur la brèche et d’avoir constamment accompli son devoir avec courage, fidélité et habileté, au milieu des haines les plus exaspérées et de périls renaissants sans cesse. Etant du pays, il est originaire de Valréas, un des charbons les plus pestilentiels de ces malheureuses contrées, et y ayant ses biens, il a encore en outre éprouvé toutes les dévastations et spoliations possibles. C’est, a mon avis, un acte de justice, que le Gouvernement se doit en quelque sorte à lui-même et la pacification de ce département, une occasion précieuse à saisir pour l’émulation, de prendre en considération les pertes et les services du citoyen Gaud-Roussillac et de prouver ce que ceux que leurs sentiments dévouent au Gouvernement et à la chose publique ont à en attendre, en le faisant jouir de quelque récompense marquante, telle que sa promotion à une place d’un ordre supérieur dont je vous assure, citoyen Ministre, que personne n’est plus digne et plus capable par les qualités de son cœur et les moyens de son esprit (49). Vous serez à portée d’en juger vous-même, si vous voulez bien lui donner accès auprès de vous, et lui permettre de satisfaire l’inclination et l’empressement qu’il m’a marqués à vous rendre ses devoirs. Il avait des affaires qui l’appelaient depuis quelque temps à Paris. II s’est déterminé à accompagner le citoyen Boyer sur son invitation et d’après mon propre conseil.

Vous les entendrez l’un et l’autre avec intérêt sur les seules craintes qui nous restent et que je vous ai déjà manifestées, de la marche de notre tribunal spécial. Parfaitement en scène, comme ils sont tous les deux, sans passions aucunes, je vous le garantis, autres que l’amour du bien et le désir de voir consolider notre tranquillité, vous pouvez accorder votre entière confiance à ce qu’ils vous diront. Ils vous diront que nous n’avons point de tribunal spécial. Ce n’est toujours que le tribunal criminel ordinaire, composé de très bons juges assurément, mais affaissé sous le poids de ses formes et ne voyant rien au-delà. Ce n’est pas là ce que veut la loi, encore moins ce que réclame l’intérêt public dans les circonstances où nous nous trouvons et pour les cas extraordinaires dont il s’agit. Je crois qu’il importe beaucoup de trouver moyen de communiquer du ressort à ce tribunal. Il vient encore, il y a deux jours, de donner une preuve de son excessive indulgence. Les détenus dans la maison de justice avaient formé un complot pour s’évader. Une de leurs solliciteuses obtient, m’a-t-on dit, la permission d’aller dîner avec l’un d’eux. Elle lui laisse un couteau. Le soir, le coquin fait le malade, demande, en se plaignant beaucoup, au porte-clefs, lorsqu’il l’entend passer, de lui apporter un verre d’eau. Le porte-clefs ne pense qu’à le soulager, qu’à s’assurer de son état. Il ouvre la porte du cachot il est assassiné. Le scélérat sort, s’occupe d’ouvrir aux autres. Heureusement ce bruit extraordinaire se fait entendre chez le concierge; on accourt; il était encore temps et personne n’est échappé. On s’attendait généralement que cette circonstance amènerait un exemple qui aurait dû être déjà fait et lorsqu’on a su que le geôlier en réchapperait et ne resterait pas blessé, on était tenté de s’en féliciter, tant l’opinion est peu d’accord avec le tribunal. Ce scélérat a été juge avant-hier et condamne seulement à 20 ans de fers. J’espère néanmoins que l’esprit d’ordre a assez fait de progrès dans la masse des habitants des 3e et 4e arrondissements, où existent les éléments du brigandage, pour en prévenir le retour. Mais je conviens, et je le vois par tous les rapports qui me reviennent, que l’épreuve sera forte et ma confiance, quoiqu’elle ne me paraisse pas sans fondement, ne saurait être non plus sans sollicitude.

Trois semaines plus tard, le 7 thermidor (26 juillet), il écrivait encore

Je vous ai déjà fait connaître ma façon de penser. Il serait superflu que j’y revinsse. Bien loin de la changer, tout ce que je vois et entends n’a pu que l’affermir davantage. Je me bornerai à ajouter que ce tribunal, c’est-à-dire son président qui. à l‘aide de la majorité dont il fait ce qu’il veut, en fait son écho, non seulement me paraît n’avoir ouvert jusqu’ici les yeux et les oreilles que pour trouver les moyens de détruire ce qu’a fait l‘adjudant Boyer et les tenir termes à [‘évidence de l‘utilité des résultats de ses opérations, à la voix publique qui proclame de toutes parts l’impartialité, l’intégrité qui les ont dirigées, à la conduite aussi sage et mesurée que zélée, pure et active du corps d’éclaireurs à us ordres, à l’estime et aux regrets que la commission militaire s’est attirée de tous les amis de l’ordre, à l’approbation assurément bien méritéedonnée à tous par le gouvernement, mais qu’il se plairait encore a pouvoir l’impliquer personnellement dans quelque procédure ce qu’il vient de tenter par une ordonnance au directeur du jury de Montélimar d’instruire contre les auteurs d’arrestations soi-disant arbitraires, dont une déjà ancienne, à ce qui m’est rapporté, et que l’on a fait revivre apparemment pour donner plus d’éclat à cet acte, j’ai été sur le point de dire d’hostilité, l’autre faite récemment à Suze-la-Rousse par une méprise de l’officier qui y commande, méprise réparée presque aussitôt que reconnue, tellement que les deux individus arrêtés et en chemin pour être conduits dans les prisons de Montélimar ont été remis en liberté au milieu même de leur route et avant d’y être rendus, de sorte que l’on pourrait croire que le tribunal pense n’avoir à diriger sa sévérité que contre des militaires que l’on proclame généralement comme des libérateurs et que les plaies encore saignantes dont le brigandage a couvert tout un pays méritent à peine de fixer son attention.

Ce n’est, j’en suis convaincu, ni dans les sentiments, ni dans les intentions d’aucun membre de ce tribunal resté incomplet jusqu’ici, n’y ayant que trois des adjoints qui y siègent (50) et assez faible dans cette adjonction, au chef d’escadron près de la gendarmerie, qui se montre bien animé et très souffrant de ce dont il est journellement témoin, non plus que dans ceux du président, homme de mérite comme juge, passant même pour un homme distingué comme juge criminel, mais homme passionné, entier, dominateur, aigri par la Révolution et aveugle par l’esprit de parti à un point qui lui en fait trouver partout. !i en résulte, à mon avis, une grande impropriété, quelle que soit sa capacité d’ailleurs et pour les affaires ordinaires, pour le ministère qu’il a à remplir dans le cas et la position extraordinaires où la loi qui a voulu et qui a formé des tribunaux spéciaux l’a placé.

C’est alors que le Ministre de la Police générale se décida à prendre une mesure grave, le 4 thermidor (23 juillet)

J’écris au Ministre de la Justice, citoyen Préfet, pour l’inviter à fixer son attention sur la conduite du tribunal spécial de votre arrondissement et je vous autorise à retenir en détention, jusqu’à nouvel ordre, les prévenus qui auraient été libérés, et contre lesquels il existerait de graves préventions ou dont la rentrée dans la société vous paraîtrait dangereuse.

L’adjudant Boyer et les administrations civiles ont fait leur devoir; il ne faut pas que le département de la Drôme puisse perdre ainsi le fruit de leurs travaux et la tranquillité dont il commençait à jouir.

Cette lettre parvint au préfet le 10 thermidor (29 juillet). Il répondit au Ministre le 14).

J’ai l’honneur de vous informer, d’après le compte qui vient de m’être rendu par le commandant de la gendarmerie de ce département, que les arrestations des élargis par le tribunal spécial, dont l’adjudant-commandant Boyer avait envoyé l’ordre, conformément aux intentions du premier Consul et aux vôtres, ont été effectuées, à l’exception de deux individus qui sont parvenus à se soustraire aux recherches qu’on en a faites. Mais j’apprends en même temps que le tribunal, dans sa séance d’hier, a cru devoir, sur la même information, rendre une ordonnance enjoignant au directeur du jury de Montélimar d’instruire contre les auteurs de ces arrestations. Cette ordonnance a été, me dit-on, précédée d’une délibération très animée, dans laquelle, Citoyen Ministre, vous pouvez bien penser que les autorités administratives et militaires n’ont pas été ménagées. Il paraît que ce tribunal va mettre de l’aigreur et de la ténacité dans cette lutte c’est ce qu’on devait attendre du caractère du président. Quelles en seront les suites? Infailliblement une agitation dans les esprits, un leu dans les passions qui peuvent faire beaucoup de mal. Le remède me semble instant.

Quoi qu’il en soit, j’aurai la consolation de me rendre le témoignage d’avoir fait tout ce qu’il était en moi pour prévenir cette opposition et ses dangereux éclats. Encore dernièrement, à la réception de votre lettre sur cet objet, le premier usage que j’en ai fait, a été d’aller la communiquer au tribun Savoye-Rollin, fils d’un juge du tribunal criminel, ami du président Bérenger, pour qu’il s’entremît entre nous et travaillât à le ramener à une manière de voir plus conforme à l’intérêt public et convainquit son amour-propre de tous les égards et les ménagements, qu’il est dans mon caractère en général et mes sentiments personnels pour lui en particulier de lui témoigner en cette occasion, pour qu’il le tînt bien assuré que je n’avais rien de plus à coeur que de cultiver et conserver avec lui la meilleure intelligence. Je n’ai pas revu le citoyen Savoye-Rollin, parce que les opérations de la notabilité départementale m’ont occupe entièrement depuis trois jours. Mais l’acte d’hier, dont je viens de vous rendre compte, indique assez quel a eté le succès de sa mission.

On prétend qu’il a manifesté l’intention de se transporter à Montélimar, pour faire remettre lui-même en liberté les arrêtes. Je vais m’en faire remettre l’état et prendre a tout événement un arrêté d’après vos ordres, pour consigner nominativement ces individus en détention jusqu’à nouvel ordre

Le préfet prit effectivement un arrêté ce mi me jour, 141) thermidor. « Considérant que c’est un devoir aussi urgent qu’impérieux des fonctions dont nous sommes chargés et dans les attributions desquelles l’exercice de la haute police se trouve essentiellement compris, de pourvoir par tous les moyens en notre pouvoir a assurer la tranquillité publique dans le département confié à nos soins et à prévenir le retour des scènes de désolation et d’horreur auxquelles il n’a été que trop longtemps en proie », le préfet décidait que les individus traduits dans les prisons de Montélimar y resteraient détenus jusqu’à nouvel ordre.

ART 2 – Enjoignons au gardien desdites prisons d’avoir pour ces détenus tous les égards et ménagements que l’humanité recommande et que leur position comporte, mais en même temps le rendons personnellement responsable de leur évasion ou élargissement, sous quelque prétexte ou pour quelque cause que ce soit, à moins d’ordres exprès a cet effet émanés du Gouvernement et transmis par nous. Un arrêté du premier Consul, antérieur de deux jours à celui du préfet, coupa court au conflit qui menaçait d’éclater entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire, entre Marie Descorches et Marcellin-René Bérenger. Cet arrêté nommait Chamoux, juge du tribunal d’appel de Grenoble, président du tribunal criminel de la Drôme, et les capitaines Perrier et Caveret, juges du tribunal spécial (51). Chamoux fut installé dans ses fonctions, le 8 fructidor (26 août).

Le 9 fructidor, le Ministre de la Police générale écrivait au Préfet

Je suis satisfait de vos dispositions pour maintenir en détention les individus élargis par le tribunal spécial et qui ont été de nouveau arrêtés, et pour rendre sans effet les actes violents de la séance du 13.

Le Gouvernement vient d’en renouveler quelques membres des instructions ont été adressées par mon collègue le Ministre de la Justice au commissaire, pour qu’aucun coupable n’échappât a l’action de la loi. La justice et l’intérêt public vont l’emporter sur la partialité et les passions. En attendant que l’entrée en exercice des nouveaux membres porte un nouvel esprit dans ce tribunal, veillez à ce qu’il ne se permette aucune tentative séditieuse et à ce que la sûreté publique ne reçoive aucune atteinte.

Peu de temps après, des plaintes furent formulées contre Curnier, commissaire du gouvernement près le tribunal criminel. Le 21 fructidor (8 septembre), le Ministre de la Justice demandait au Préfet des renseignements sur la moralité de ce magistrat. Le 22, l’adjudant-commandant Henri Boyer déclare au préfet que « maître Curnier n’est rien moins qu’un juge prévaricateur », qu’il a fait relâcher des coupables et poursuit en ces termes « Vous sentez parfaitement l’importance, citoyen Préfet, des mesures capables d’exclure Curnier d’un emploi trop au-dessus de sa probité et de le mettre dans l’impuissance de nuire à l’ordre social par ses actes iniques. Je n’ai pas d’expression pour vous peindre mon indignation contre cet homme; je ménage toutes mes forces pour vous prier de travailler à son expulsion vous en sentez tout le besoin et j’augure tout du caractère loyal et vertueux du magistrat Descorches. »

Au mois de vendémiaire an X, Curnier fut remplacé par Odouard, commissaire près le tribunal de Montélimar.

Le 30 fructidor (17 septembre), le préfet signalait au Ministre de la Police générale la marche satisfaisante du tribunal spécial régénéré.

Enfin, notre tribunal spécial vient de donner un gage à la sûreté publique de ce qu’elle peut attendre dé lui. Un des brigands traduits devant lui a été condamné hier à subir la peine de ses forfaits. Il sera exécuté demain. C’est le nommé Milon, convaincu d’assassinat et de vols. Les scélérats apprendront par cet exemple que le temps de leur impunité n’est plus. Voilà les fruits de la régénération de ce tribunal. On ne peut pourtant se dissimuler que l’esprit de l’ex-président ne s’y montre encore dans quelques-uns de ses membres et ne prévale sur le sentiment de leurs devoirs et les intentions du gouvernement. Mais il a perdu la majorité et avec elle le pouvoir de donner une fausse et funeste direction à la marche des affaires.

Le nouveau président me paraît continuer de marcher vers le but d’un pas ferme, avec activité et un désir sincère de justifier la confiance qui l’a appelé à accomplir la tâche pénible dont il est chargé.

Ainsi, à la fin de l’an IX, les mesures prescrites par les Consuls le 1er nivôse avaient produit un effet salutaire. Poursuivis par les compagnies d’éclaireurs de l’adjudant-commandant Boyer, jugés et condamnés par la commission militaire, puis par le tribunal criminel spécial, les brigands avaient presque complètement disparu du département de la Drôme. Dans une circulaire que Curnier, commissaire du gouvernement près le tribunal criminel spécial, adressait, le 26 fructidor, « aux juges de paix, maires des communes et bons citoyens du midi du département » pour les engager à dénoncer les assassins et les voleurs, il opposait la sécurité présente aux terreurs causées naguère par le brigandage.

Habitants du midi du département de la Drôme, plus qu’aucune autre contrée, vous avez été les victimes de ce fléau destructeur; vos propriétés sans cesse ravagées, vos vies sans cesse exposées au poignard des assassins, vous ne respiriez plus que la douleur vous n’aviez plus d’autre sentiment que celui de la crainte, et une situation aussi déplorable vous faisait désirer de reprendre des fers honteux, que le noble elan de la liberté vous avait fait rompre.

Mais un gouvernement fort, qui connaît la dignité de l’homme, qui est jaloux de lui conserver ses droits, sa liberté, qui est jaloux de faire jouir en paix les Français des grands travaux qui les ont mis au rang du premier peuple du monde, a porté un regard paternel sur vos contrées.

Ces braves qui ont cueilli aux quatre coins de la terre les lauriers de la victoire, qui ont abaissé le sceptre des rois, ont été envoyés chez vous pour vous protéger; ils n’ont pas dédaigné de mesurer leur invincible courage avec des êtres si vils et si méprisables aucuns sacrifices, aucunes peines, aucuns soins même ne leur ont coûté pour votre bonheur; privations, marches forcées pendant la nuit dans les montagnes les plus escarpées pour surprendre et arrêter vos lâches assassins, tout a été par eux employé, et leur constance vous a rendu le calme, a fait renaître parmi vous la sécurité vous pouvez maintenant des l’aube du jour sillonner vos guérets et n’abandonner votre charrue que lorsque la nuit couvre vos champs de ses ombres; vous pouvez, sans crainte et sans danger, vous livrer a vos travaux rustiques, tandis que naguère vous étiez obligés, avant que l’astre bienfaisant du jour eût quitté les coteaux, à vous enfermer dans vos domaines, comme dans l’enceinte d’une citadelle, et au lieu de vous abandonner au doux repos du sommeil pour réparer vos forces épuisées, de vous préparer à soutenir des assauts meurtriers, afin de défendre vos propriétés et vos vies.

En des termes moins poétiques, les lettres des préfets et des sous-préfets affirmaient les mêmes faits le brigandage était presque complètement extirpé et la tranquillité régnait partout.

VITableau du département de la Drôme par le préfet Marie Descorches

Le 6 frimaire an X (27 novembre 1801), le ministre de l’Intérieur, Chaptal, écrivit au préfet de la Drôme pour lui annoncer que le Premier Consul allait faire un voyage à Lyon et l’engager à s’y trouver vers le 20. Descorches répondit le 18 frimaire (9 décembre) qu’il partirait pour Lyon le lendemain.

Invité à présenter par écrit un tableau de l’état de son département, le préfet de la Drôme rédigea un long mémoire, rempli de renseignements du plus vif intérêt. Ce rapport confidentiel, d’un style savoureux et original, œuvre d’un administrateur de grande valeur qui savait voir les choses et juger les hommes, est un document historique de premier ordre et mérite d’être publié (52).

TABLEAU RAPIDE DE LA SITUATION DU DEPARTEMENT DE LA DRÔME POUR LE PREMIER CONSUL.

Le préfet du département de la Drôme a l’honneur de présenter au Premier Consul le tableau rapide de ce département.

Il n’été prévenu de ce travail que le désir du Premier Consul rend si intéressant pour l’administrateur et peut rendre si utile pour les administrés qu’à l’arrivée du ministre de l’Intérieur. Il ne s’est trouve muni d’aucuns des matériaux nécessaires pour offrir des détails précis, pour l’appuyer de pièces justificatives, mais il ose garantir l’exactitude des généralités et des aperçus auxquels il est forcé de se réduire. Suivant l’idée qu’il se forme de ce tableau que désire le Premier Consul, il croit devoir faire successivement passer en revue sous ses yeux les choses et les personnes

Des choses

Brigandage

Lorsque je suis arrivé dans la Drôme, en pluviôse an IX, le brigandage désolait la partie méridionale de ce département de tous ses ravages. Le gouvernement y avait porté son attention, fourni a l’administration de grands moyens de répression par l’organisation d’une colonne d’éclaireurs et d’une commission militaire. Des rivalités de commandement et peut-être quelques passions personnelles en ont contrarié quelques instants le développement. Tout a cédé devant la volonté prononcée du gouvernement Les éclaireurs et la commission à leur suite ont été mis en activité : les éclaireurs très bons, leur commandant Boyer de même, la commission aussi. Je n’ai eu qu’à applaudir à la manière dont chacun a rempli son devoir. J’ai été attentif surtout à maintenir l’exercice de cette force redoutable dans une indépendance absolue de tout esprit de parti. J’ai recommandé sans cesse que l’on ne vit que des brigands à saisir partout où il y avait des coquins se faisant un jeu de l’assassinat, du vol et du pillage; que des citoyens à protéger partout où les lois et le repos public étaient respectes. J’ai été écouté, entendu, et bientôt les troisième et quatrième arrondissements ont commencé à respirer.

La loi salutaire portant établissement des tribunaux spéciaux a fait remplacer notre commission militaire par un tribunal de cette nature. Dans les premiers pas, influence d’abord par l’esprit dominateur et passionné de l’homme qui s’est trouve le présider comme président du tribunal criminel, homme éclairé pourtant, homme de mérite à beaucoup d’égards, mais homme de parti et qui s’obstinait à ne voir les brigands que dans la force armée chargée de les détruire et dont les succès déjà obtenus auraient suffi aux yeux de tout autre pour démontrer l’utilité, les bons services et la confiance ainsi que les égards qu’ils lui méritaient ; les premiers pas, dis-je, de ce tribunal, sous cette influence réactionnaire, ne tendaient pas moins qu’à rouvrir de plus belle la plaie qui se cicatrisait. La volonté du gouvernement nous a encore préservés de ce danger. II a ordonné les changements instants dont le tribunal avait besoin. Maintenant tout marche bien dans cette partie et le département de la Drôme est parfaitement tranquille.

Il serait prématuré d’en conclure qu’il ne faille pas encore une surveillance active, soignée, même menaçante. Je pense que ce serait trop se hâter que de faire cesser immédiatement ta colonne des éclaireurs. Trois arrestations de la malle faites dernièrement, durant le cours des quatrième et cinquième décades, vers Bagnols, dans un coin du Gard contigu aux trois départements de Vaucluse, d’Ardèche et la Drôme qui se touchent sur ce point, prouvent que tous les malfaiteurs ne sont pas devant les tribunaux. J’ai des informations qui me portent a croire que la bande des onze ou douze coquins qui se réunissent seulement pour ces entreprises se compose des restes de brigands des départements voisins. Je donne en ce moment tous mes soins pour obtenir à cet égard des renseignements sûrs avec lesquels j’espère parvenir à éteindre aussi ce petit foyer. Mais je crois qu’il est très possible, sans aucun inconvénient, de faire cesser la commission extraordinaire de l’adjudant Boyer. Je vous dois, citoyen Premier Consul, toute la vérité et j’ajoute que son absence est devenue désirable pour le service et pour lui. Voici comment.

Boyer a, je le répète, complètement justifié la confiance du gouvernement par la manière dont il a rempli sa mission. Il est bon, il est brave, il est actif, il a de l’âme, il vous est personnellement très attaché et, pour mériter votre suffrage, il n’est rien qu’il ne soit capable de faire. Mais fort de son zèle et de sa valeur contre les brigands, dont il était devenu la terreur, au point que son nom seul était une puissance contre eux, il a été faible pour une femme, qui le domine et qui use mal, dit-on, de son empire de sorte que, à son devoir près, auquel je ne sache pas et je ne crois pas qu’elle fût capable de le faire manquer, inconvenances, inconséquences, emportements, elle lui a fait avoir des torts de toute espèce en ce genre (53). Ses meilleurs amis se sont éloignés de lui en gémissant. Il est temps de le tirer de cette fausse position, où il finirait infailliblement par perdre le mérite des services qu’il a rendus et par faire triompher, au grand préjudice de ses succès, ceux qui ont eu leurs raisons pour les désapprouver. Il en sent lui-même le poids apparemment il désire un congé et je vous demande, citoyen Premier Consul, de vouloir bien le lui accorder ; un congé, s’il vous plaît, il a assez mérité de vos bontés pour que vous ne vous refusiez pas à couvrir son rappel de cette forme, qui en fasse disparaître ce qu’il aurait autrement de désobligeant pour lui. J’ose vous demander même pour un homme que les habitants de la Drôme ont, avec raison, proclamé comme leur libérateur, une gratification dont je sais qu’il a un pressant besoin, et peut-être jugerez-vous, s’il est dans le cas d’un avancement, qu’il me dit lui avoir été promis, que ce serait le moment de l’en faire jouir.

Administration forestière.

Après le brigandage, je ne vois rien qui puisse intéresser davantage le département de la Drôme que la restauration de ses bois. Il n’est pas un écho de ses montagnes qui ne retentisse de vœux pour l’invoquer. II n’est guère d’autres combustibles en usage, si ce n’est dans quelques villes riveraines du Rhône, qui leur apporte du charbon fossile de Givors. Je stimule de toutes mes forces la recherche dans l’intérieur du département de mines de ce combustible précieux, de houillères. J’ai obtenu quelques indications mais qu’il y a loin de là encore à un secours effectif! Et cependant pour le dévidage de la soie, qui fait le principal moyen d’aisance, car je ne puis dire de richesse de ce département, il faut du feu et le bois ne se vend qu’au poids! Il est déjà très cher. Il est donc bien important que ce qui a échappé aux dévastations passées, et malheureusement encore présentes soit conservé. Oui, citoyen Premier Consul, dévastations présentes, malgré l’administration forestière organisée cependant depuis assez longtemps déjà pour que des effets, sinon complets, au moins sensibles, attestassent son existence. Je n’ai pas la satisfaction de pouvoir vous annoncer encore ces effets dans le département de la Drôme. Nous y avons, il est vrai, aperçu, passant comme un éclair, le conservateur de la division dont il fait partie, résidant à Grenoble (le citoyen Cullet), qui doit être doué d’un talent bien supérieur, s’il a pu prendre connaissance de sa chose à la manière dont il l’a parcourue. Je ne l’ai, au reste, pas vu personnellement assez, n’ayant été à peine qu’un quart d’heure chez moi pour la visite que j’en ai reçue, pour en avoir formé aucune opinion par moi-même. J’ai su depuis, d’anciens administrateurs du Domaine, gens solides et de confiance, que dans les rapports également très rapides qu’ils avaient eus avec lui, pour les diverses remises qu’ils devaient lui faire, comme chargés précédemment de ce service, il avait paru s’occuper bien plus de leur faire sentir qu’ils n’avaient plus rien à voir dans cette partie, qu’à faire son profit de leur expérience, et à tirer encore parti, ainsi qu’il lui aurait été aisé et sans doute très utile, de leur bonne volonté pour assister cette administration dans ses premiers pas; et un tel début n’a pu, je l’avoue, le noter favorablement dans mon esprit. J’ai cherche cependant, pénétré comme je le suis de tout ce qu’il y a d’avantages attachés à la marche ferme, rapide et bien entendue de cette administration, à entrer en correspondance avec ce conservateur, a ne pas lui laisser de doute sur la sincérité de mes dispositions zélées, à concourir avec lui de tous mes moyens pour le bien du service dont il est chargé. Je n’ai rien aperçu jusqu’ici dans ses réponses simplement honnêtes qui pût effacer l’impression que je viens de dire. En réunissant d’autres données, vous saurez, citoyen Premier Consul, donner sa valeur à cette information qu’il m’a semblé que je ne devais pas vous taire, telle vague et imparfaite qu’elle soit.

L’inspecteur charge particulièrement du département sortait du Conseil de la préfecture et ci-devant des eaux et forêts. Sans de grands moyens, le citoyen Villeneuve avait de l’activité, de la probité, il n’aurait pas mal été et avait dejà bien commencé, mais il est mort. Son remplaçant arrive seulement de Paris ou des environs. Il est arrivé depuis que je suis ici; il se nomme Petit.

Le sous-inspecteur Duvaure ne vaut rien, moins que rien. Il est taré, ce qui ne saurait convenir a une administration naissante qui a besoin que ses agents attirent la considération publique, le premier et le plus puissant auxiliaire sans doute de toute espèce de force administrative, et dans le département même dont il est originaire, où il a domicile, famille, parents, cousins, cousines, amis peu, ennemis en plus grand nombre ce qui est, ou je me trompe fort, le comble de l’inconvenance.

Je ne parle pas des gardes; tels seront les chefs, tels seront toujours les troupes.

A l’intérêt très grand et très urgent de la conservation des bois existants, dépendant maintenant d’une bonne administration forestière, se joint l’intérêt non moins grand et aussi pressant du repeuplement des bois dégradés. On est, ce me semble, généralement d’accord sur les effets physiques les plus étendus et tous désastreux, spécialement dans les départements méridionaux, soit pour la santé des habitants, soit pour la fertilité du sol, de la rareté dont on se plaint partout des bois, autrefois si bien placés sur les montagnes, lesquelles une fois dépouillées de cette belle et utile garniture, n’ont bientôt plus présenté qu’un roc nu, qui rendant à l’instant aux vallons toute l’eau qu’il reçoit, fait, a chaque pluie, un torrent du moindre ruisseau et souvent beaucoup de torrents sans ruisseau.

Il me semble que ce serait un bien bon moyen administratif à ajouter à l’action surveillée des administrations forestières dans les localités de cette espèce de provoquer, d’encourager par toutes voies les semis et plantations : pour cela de faire distribuer des semences, d’établir des pépinières départementales.

Fournitures militaires.

Les contributions forcées, requises des communes lieux de passage, ont été pendant longtemps une des plaies les plus douloureuses qui aient affligé le département de la Drôme, soit par la charge énorme qu’elles faisaient peser sur elles, soit par une foule de vexations de détail qu’elles occasionnaient, soit par beaucoup de friponneries dont elles devenaient le prétexte. Il en était résulte une grande exaspération dans les esprits il y subsiste encore une grande susceptibilité, qui demande des soins de la part d’un administrateur jaloux de rappeler et d’affermir toute la confiance dans le gouvernement et l’affection qu’il mérite. Le service de ces fournitures, encore très mal fait en l’an IX, m’a souvent donné de l’embarras et causé bien des soucis. J’en ai plusieurs fois porté mes plaintes animées aux ministres de la Guerre et de l’Intérieur. Celui de la Guerre me fit connaître aux approches de l’an X ses mesures et ses intentions bien prononcées pour une régularité ponctuelle dans le cours de l’an X. Il m’a demandé confidentiellement de l’informer, par des renseignements pour lui seul, des abus. Je l’ai fait. Je ne lui ai pas caché que, contre sa volonté, des sous-traités avaient toujours lieu, avec tous leurs inconvénients pour les troupes, hommes et chevaux principalement dont la discrétion est si commode. Les choses sont toujours restées dans le même état. Cependant lorsque le ministre de l’Intérieur me demanda, il y a quelque temps, de votre part, un rapport sur cette partie du service, tout marchait assez bien. Je dus le dire, et croyant devoir me rassurer, autant que j’en fus touché, sur l’influence salutaire qu’il me semblait que cette sollicitude de votre part ne pouvait manquer d’avoir, je ne doutai pas d’un mieux progressif et me sentis pénétré de l’encourageante espérance que nos maux de ce genre appartenaient déjà tout entiers au passé. Quelles n’ont pas été ma surprise et ma peine lorsque, depuis que je suis ici, il m’arrive une lettre du commissaire m’annonçant qu’à partir du 1er nivôse, les préposés de l’entreprise des fourrages, compagnie Varville, avaient cessé le service et se refusaient absolument à le continuer, quelques instances qu’il eût pu leur faire, me demandant lestement en conséquence, m’en requérant au besoin, l’exécution de lois de l’an III et autres révolutionnaires qu’il me rappelle. Et dans quel moment? Lorsque la désolation est générale dans le malheureux département de la Drôme, à la suite des dévastations causées par les grosses eaux. Quoi qu’il en soit, il fallait sans doute assurer le service. Le 15° Dragons était en marche; vos chevaux arabes allaient passer ils le sont. J’ai écrit aussitôt au receveur général et au payeur, que j’ai toujours trouvés prêts à seconder de la meilleure volonté, de la meilleure grâce et de tous leurs moyens l’administration dans ses embarras. Le commissaire, qui m’a également toujours paru zélé, s’est donné du mouvement. Il a été lait face partout et je viens d’en recevoir l’avis que le préposé de l’entreprise en chef pour la division était arrivé avec des fonds et que le service avait repris son cours. Mais cette alerte suffit bien pour que j’aie cru, citoyen Premier Consul, devoir vous en faire mention et vous conjurer d’induire de cet exemple combien la situation de l’administration sera inquiétante, autant qu’elle restera exposée ainsi à tout moment à l’alternative ou de devoir user de moyens qui ne sauraient convenir à un gouvernement à la tête duquel nous avons le bonheur de vous voir, ou de voir manquer le service militaire. Et cette chance effrayante sera toujours là, menaçant les préfets de toutes ses horreurs, tant que les entrepreneurs des diverses fournitures ne seront pas tenus de fournir dans chaque département une caution solvable, acceptée par les préfets, et toujours prête à répondre des faits et gestes de l’entreprise. Je ne saurais, permettez-le moi, me refuser d’ajouter que ces fournitures, à mon avis, ne seront jamais bien faites, c’est-à-dire au plus grand avantage des troupes combiné avec la plus grande économie pour le trésor public, qu’autant qu’elles seront adjugées au rabais, par partie et dans chaque département, au moins dans chaque division, en présence de l’administration civile, pour un bail de plusieurs années, et toujours avec caution, comme je viens de le dire.

Hospices.

Assez nombreux dans la Drôme (54); mais devenus des squelettes par la vente de la presque totalité de leurs biens luttent, avec mes soins, pour sinon les relever, je ne m’en flatte pas, au moins pour leur rendre un peu de vie, contre des difficultés de toute espèce. Il m’est pénible d’avoir encore à vous signaler à cet égard des abus existant dans l’administration militaire. Le ministre de l’Intérieur s’est acquitté de la dette de son ministère par des transferts de rente qui viennent de s’opérer et qui vont faire un commencement de dotation pour les hospices. La Guerre doit aussi et lorsque j’ai quitté Valence, il y a un mois, ces pauvres hospices soupiraient encore vainement après ce remboursement. Ce n’est pas tout en brumaire, que les directrices de l’hospice de Valence qui reçoit les militaires malades m’en portèrent leurs plaintes, elles n’avaient pas encore reçu leurs journées de malades du dernier trimestre de l’an IX; et les rigueurs de l’hiver approchaient et elles étaient sans aucuns moyens pour faire leurs provisions les plus nécessaires Ce n’est pas tout encore, et je dois pourtant tout vous dire, citoyen Premier Consul ; le Ministre de la Guerre a persévéramment repoussé jusqu’ici les réclamations de tous les hospices et mes observations à leur appui; a même annule un arrêté que j’avais pris de conviction, et en vérité de toute justice et de confiance dans votre intention exprimée dans un arrêté consulaire du (la date échappe à ma mémoire), portant que les journées de militaires malades seraient payées aux hospices civils à raison de dix centimes en sus du prix de quatre-vingt-neuf, si je ne me trompe (55), ce qui les portait dans la Drôme à quatre-vingt dix centimes, le ministre, s’obstine-t-on à me faire répondre dans ses bureaux, les regardant comme bien obligés par une soumission passée entre les mains de mon prédécesseur, à son arrivée, à soixante-dix centimes soumission de complaisance, c’est notoire, et pour ainsi dire forcée par l’instance qu’y mit le citoyen Collin, disant à ces bonnes dames, encore tremblantes des temps précédents, que c’était un moyen de prouver leur bonne volonté, de se rendre le gouvernement favorable, en leur promettant formellement qu’a cette condition elles recevraient comptant l’arriéré de la Guerre avec lequel elles s’étaient flattées d’éteindre des dettes. Et puis ne suffit-il pas d’un fait constant, qu’avec soixante-dix centimes il est impossible de defrayer convenablement un malade ? Cette année, pain, vin, légumes, tout est plus cher que jamais. Ce ne peut donc être évidemment qu’aux dépens des malades, aux dépens de l’hospice et par une sorte de miracle, que le service peut être continué a ce prix. Dans les hôpitaux militaires, à Grenoble, par exemple, je m’en suis informé lorsque j’y suis allé cet été pour le conseil d’administration que le conseiller d’Etat Duchâtel est venu y tenir, il en coûte bien davantage. Votre sensibilité et votre humanité, citoyen Premier Consul, vous feront sûrement juger cet objet n’être pas indigne de votre attention. J’observe que l’hospice de Romans, dirige par des hommes qui se défendirent mieux des instances du citoyen Collin, ayant maintenu et continué de toucher ses journées à raison d’un franc, je l’avais réduit par mon arrête à quatre-vingt-dix centimes comme les autres, ce dont il avait reconnu la justice.

Instruction publique

Point d’écoles primaires; aucun collège, pas même de pensionnats particuliers qui en vaillent le nom, si ce n’est un seul qui commence à s’élever à Romans. Une école centrale séante à Montélimar, existant sur les états, à peu près nulle de fait la seule chaire de dessin étant suivie par une trentaine d’élèves. Ce n’est pas la faute des professeurs, auxquels on n’a, je crois, aucun reproche fondé à faire; mais l’esprit général du pays, fort imprégné de préventions religieuses ou de parti, les repousse et avec eux l’institution. Les changements qu’apportera le nouveau système annoncé seront un véritable bienfait pour la Drôme.

Esprit public.

L’esprit public y est ce qu’il peut être dans la disposition que je viens de dire. Là, comme partout, le crédit des prêtres. le besoin de leurs parades se font sentir en proportion de l’instruction, infiniment rare et imparfaite et souvent mauvaise, là où il y en a; les conséquences s’indiquent assez d’elles-mème pour que je ne m’y arrête pas. Aussi se manifeste-t-il de toutes parts une grande soif de prêtres, que l’on ne trouve pas encore suffisamment satisfaite. On s’est réjoui du Concordat, on en attend la publication et l’exécution avec l’impatience, peut-être un peu de la curiosité, mais encore plus du désir. Néanmoins je serais bien trompé si les prêtres parviennent, quoi qu’ils fassent, à reprendre le même empire. Au reste, je dois à ces prêtres de la Drôme, soumis ou non soumis, la justice d’attester qu’ils se sont tous tenus dans une telle mesure, depuis que je suis chargé de l’administration de ce département, que je n’ai eu à reprocher à aucun d’être devenu l’auteur de quelque désordre grave. Je ne dois pas omettre de faire mention ici des protestants, en assez grand nombre, donnant partout l’exemple de la concorde avec les catholiques, ayant été les premiers à secourir les prêtres dans leurs persécutions, et aussi dans la Drôme, comme partout je crois, se signalant par des mœurs domestiques, un esprit de famille, de laboriosité et d’industrie qui les rendent pour la plupart infiniment recommandables.

Revenant à l’esprit public, et les prêtres de côté, dont je devais m’occuper d’abord puisqu’ils y jouent un si grand rôle, à de grandes agitations avait succédé un grand abattement. Le brigandage d’une part, toutes les administrations souillées de l’autre par la présence et le pouvoir d’hommes ineptes, grossiers et déconsidérés, avaient répandu généralement une sorte de stupeur. Chacun se fuyait, se craignait, aurait presque voulu s’ignorer lui-même, tant était grand le dégoût des hommes et de la société qui n’en était véritablement plus une, puisque tous les liens dont elle se compose se trouvaient presque entièrement rompus. On eût dit que c’était un état de dissolution, si le t8 brumaire ne fût venu bien à propos lorsqu’il était temps encore de le prévenir, preuve que ce n’était qu’une pénible léthargie. Il n’a pas moins fallu pour la guérir que toute la puissance de cette plus heureuse encore que célèbre journée, que tous les prodiges qu’elle a amenés: il n’a pas moins fallu que vous enfin, citoyen Premier Consul, la vérité m’arrache cet hommage que je lui dois et que vous me permettrez de lui payer en votre présence parce que vous ne sauriez le prendre pour un compliment. Il subsiste encore un reste d’empâtement, des levains de vieilles haines, quelques ferments d’esprit de parti. Mais chaque jour on voit les âmes se rasséréner sensiblement, les cœurs s’ouvrir à l’espoir, rapprendre à aimer. Les esprits de toutes couleurs, originales, circonstancielles, passées ou présentes, sincères ou empruntées, à quelques fous près, en si petit nombre et de si mince valeur qu’ils ne pourraient être comptés, se rallient tous au gouvernement, les uns par affection, et c’est la grande majorité, les autres par calcul. Qu’importe ? Ils ne s’en mettent pas moins dans sa main pour en user à sa volonté habilement dirigée comme elle l’est. Ce sentiment est très marqué dans la Drôme, le seul qui s’aperçoive. Votre nom y est proclamé avec admiration, avec respect il y est couvert de bénédictions.

Contributions.

Sont très fortes disproportionnées, à ce que n’ont cessé de répéter les administrations qui se sont succédées, et en effet il me paraît que le sénateur Dedelay-Dagier, auteur d’un mémoire lumineux sur cet objet, ainsi qu’il est capable de le faire, souscrit dans le temps par l’administration centrale, l’a démontré assez victorieusement (56); c’était également l’opinion du citoyen Collin; et cependant sont bien payées. Il y a peu d’arriéré sur l’an IX; il n’y en aurait pas du tout ; le recouvrement s’élève même, si ma mémoire ne me trompe pas, de quatre à cinq cent mille francs au delà, en comptant ce qu’il a fallu imputer dans les recouvrements faits dans le cours de cet exercice à la décharge de l’arriéré des années précédentes, qui est réduit maintenant à assez peu de chose. Le ministre des finances a fait espérer au conseil général, sur ses instances et sur les miennes, qu’il y aurait égard dans les dégrèvements à accorder cette année. Ce dégrèvement se placera d’autant plus à propos pour la Drôme qu’après avoir beaucoup souffert dans ses vignobles par une gelée tardive le printemps dernier (57), elle vient d’éprouver des dégâts considérables par les torrents et les pluies abondantes de la fin de l’automne et du commencement de l’hiver qui ont empêché ou noyé beaucoup de semailles.

Grandes routes, quai de Valence et digues de la Drôme.

Il n’est guère, je crois, de département dont les communications intérieures soient plus difficiles que dans la Drôme. Elles ne sont praticables dans plus des trois-quarts de sa surface qu’a dos de cheval ou de mulet. Il n’y a de grandes routes que celle de Lyon à Marseille qui le côtoie sur un de ses flancs. et l’embranchement de Valence à celle de Grenoble qui entre sur le département de l’Isère à environ trois myriamètres de là. Tout le reste n’est coupé que de chemins vicinaux, dans un état de dégradation dont tout le monde se plaint et que personne ne veut réparer ou ne peut réparer les communes dont la loi en fait une charge, parce qu’elles sont sans moyens de subvenir, avec leurs insuffisants centimes additionnels, à leurs dépenses courantes l’administration, parce que la loi enchaîne son autorité. Elle est réduite à la voie des exhortations, que je n’ai pas épargnées et que j’ai adressées jusqu’à présent à des sourds, que je dois à regret considérer comme incurables.

Laissez-moi espérer, Citoyen Premier Consul, que le beau travail qui vient, dit-on, de s’accomplir par vos ordres personnels au Mont Genèvre, en ouvrant à nos relations commerciales avec l’Italie la porte la plus facile et la plus avantageuse dont elles puissent se servir, présentera à l’attention du gouvernement l’intérêt particulier du département de la Drôme d’acquérir des débouchés extérieurs et des communications intérieures qui lui manquent actuellement. C’est de la recommandation pressante de l’intérêt général de la République de rendre cette porte ouverte du Mont Genèvre accessible, tant aux départements du nord de la France qu’aux départements du midi et par ceux-ci à l’Espagne, par deux routes traversant le département de la Drôme pour aller se réunir dans celui des Hautes-Alpes, l’une venant s’embrancher dans la route de Lyon à Marseille à Tain, passant par Romans, Crest, Die et Lus-la-Croix-Haute, et l’autre venant aboutir au Pont-Saint-Esprit et passant par Saint-Paul-Trois-Châteaux, peut-être Nyons à cause de son pont sur l’Eygues, le Buis et Orpierre, etc. J’observe que ces routes étaient dejà dans les projets de l’ancien gouvernement, lorsqu’on ne pensait pas à rendre le Mont-Genèvre praticable.

Une autre route également projetée d’ancienneté est aussi d’un grand intérêt comme route de secours pour l’importante communication de Lyon à Marseille, secours dont elle a besoin pendant les crues du Rhône qui rendent plus ou moins souvent, plus ou moins longtemps, mais toujours chaque hiver, la route actuelle qui longe le fleuve, impraticable pendant plusieurs jours, comme on vient de l’éprouver dernièrement que ses eaux la couvrent sur plusieurs points. Cette route de secours se dirigerait de Romans par Serre à La Côte-Saint-André, pour gagner par la route la plus droite celle de Lyon à Grenoble, un peu au-dessus de Bourgoin. Elle aurait l’avantage, en outre, de faire gagner plusieurs journées de route aux corps de troupes dirigés du Léman, de l’Helvétie, etc. vers le midi.

Au reste, les réparations sur la route de Marseille, pour lesquelles le trésor public a fourni 236000 francs de fonds extraordinaires pour le département de la Drôme, ont été faites avec soin, poussées avec autant d’activité qu’il a été possible d’y en mettre; mais les bras n’ont pas répondu à mes désirs. En outre, on a commencé tard, et les pluies affreuses, les débordements, des contrariétés insurmontables sont venus nous ralentir forcément de bonne heure, de sorte que le terme des adjudications est arrive sans qu’elles aient pu être entièrement remplies et l’argent reste en caisse attendant l’ouvrage.

Le quai de Valence.

Son achèvement, au moins pour le moment, dans la partie nécessaire pour préserver la fonderie, la basse ville, est devenu de la dernière urgence depuis la large brèche que le Rhône s’est ouverte, dans ses fureurs de cet hiver, en deça de la Tour de Constance. La majeure partie du terrain occupé ci-devant par la prairie des Capucins est emportée et, ce qui mérite par-dessus tout une grande considération, c’est que tous les gens de l’art, les mariniers s’accordent à dire que la force du cours du fleuve se portant tout entière de ce côté par l’effet de la courbe qu’il décrit en arrivant à Valence et par l’impulsion du Miolans, torrent très fougueux de l’Ardèche, qu’il reçoit sur sa rive droite, un peu au-dessus et le fait projeter ses eaux avec violence sur la gauche, la navigation, déjà très difficile, ne pourra plus avoir lieu qu’à travers des écueils et avec les plus grands dangers, si l’on ne parvient pas à le rejeter dans son lit précédent. Le citoyen Crétet a tous les mémoires, plans et devis relatifs Le ministre de l’Intérieur a bien voulu permettre que la députation de Valence et moi l’entretenions longuement de cet objet. Il m’a paru pénètré de sa nécessité. L’ingénieur en chef n’estime qu’à 25000 francs la dépense des travaux d’urgence. Cette affaire très importante, sous peine d’avoir à gémir sur de beaucoup plus grands désastres et d’être exposé à des dépenses bien plus considérables, est en état de vous être présentée et bientôt résolue, au premier ordre que vous auriez la bonté de donner d’un prompt rapport. Elle ne saurait l’être trop tôt.

Digues de la Drôme.

C’est encore un secours qu’il faudrait du gouvernement pour déterminer une dépense beaucoup plus considérable de la part des propriétaires riverains qui y sont disposés dans la proportion des deux tiers par eux et un tiers par le gouvernement, ainsi qu’il a été pratiqué avant la Révolution que cet ouvrage superbe et d’une grande utilité a été commencé, mais resté imparfait et menacé en ce moment par une irruption de la Drôme d’être détruit, ainsi que les précieuses conquêtes qu’il avait fait faire. Ayant également adressé au ministre de l’intérieur tous les développements et mémoires nécessaires, je m’en abstiens, pour ne pas abuser de votre temps. Veuillez seulement accueillir et conserver l’idée, pour le moment où il vous en sera rendu compte, que cet ouvrage, par sa grandeur et son utilité, est digne de votre intérêt. Ce ne sera pas sous votre administration qu’on dira qu’une heureuse pensée de l’Ancien Régime sera devenue un germe stérile parce qu’il n’aura pas été réchauffé.

Agriculture, commerce et arts.

L’industrie agricole est très répandue dans le département. La plupart des propriétaires s’y occupent avec soin de la culture de leurs terres. L’éducation des vers à soie y est bien entendue elle avait langui pendant la Révolution, elle reprend vigueur. Mais ce ne sont que des agriculteurs pratiques et routiniers. Les livres sont rares dans la Drôme, le goût des livres plus rare encore. On ne peut guère citer, au moins je ne connais encore que trois ou quatre cultivateurs véritablement éclairés, les citoyens Blancard, de Loriol, associé de la Société d’Agriculture de Paris, Rigaud de Lisle et Freycinet (58). Cependant les bons exemples donnés par le sénateur Dedelay, tandis qu’il habitait les environs de Romans où sont ses terres qu’il a exploitées lui-même, ont rendu le grand service au département d’y faire multiplier beaucoup les prairies artificielles.

Le commerce proprement dit, nul. Il n’y a pas un négociant à citer, si l’on en excepte peut-être le citoyen Viret de Valence qui a fait dans un temps avec intelligence un commerce assez considérable de blés et deux propriétaires de vignobles de l’Hermitage, les citoyens Jourdan et Monnier, faisant en même temps un commerce de ces vins très étendu et fort utile au pays, en Hollande et à Hambourg. Mais nous avons plusieurs manufacturiers intéressants. Les Morin de Dieulefit tout ce pays est, pour ainsi dire, leur création. C’est une famille excellente. Leurs fabrications sont en étoffes de laine commune et ils font un débit important. Cette industrie est celle qui domine. La petite ville de Crest lui doit son aisance et au bon esprit de ses habitants, parmi lesquels tout respire le travail et le bonheur qui en est toujours la suite. C’est une ville singulièrement remarquable et satisfaisante à voir sous ce rapport. Il y a une famille Borel qui rivalise avec les Morin en vertu, en sagesse, en activité et en intelligence dans la direction de leurs affaires qui sont considérables. La famille Latune, de la même ville, mérite aussi d’être citée. Il y a encore dans une commune rurale, à deux myriamètres de Valence, à Peyrus, une famille Bellon, florissant par la même industrie et se rendant recommandable au même titre. Il y a en outre quelques papeteries; beaucoup de poteries; une nouvelle de gros se formant dans la vallée de la Galaure, sous la direction des citoyens Raymond et Revol, dont les essais leur ont valu cette année, l’honneur de l’exposition au Louvre (59); beaucoup de moulinages de soie. On estime le produit des soies exportées annuellement à environ trois millions de francs celui des vins, d’un million à douze cent mille francs. Mais je n’ai pu encore acquérir de données qui me paraissent suffisamment certaines à l’appui de cette estime. .en cherche également, sans les avoir trouvées jusqu’ici, sur le produit des fabrications des étoffes de laine, de papiers et poteries. Mais ce que je puis assurer, c’est qu’en général cette industrie manufacturière à laquelle les Drômois me paraissent très propres, peut prendre encore un tout autre essor. Valence nommément me fait pitié lorsque j’y vois perdus des avantages de situation aussi précieux. La seule fabrique digne de ce nom qui y existe, la fabrique de mouchoirs peints des Dupont, fort active dans un temps et faisant vivre beaucoup d’ouvriers, ne s’est soutenue pendant la Révolution que parce que ses propriétaires s’en sont fait une sorte de point d’honneur; ils n’aspirent qu’au moment de la faire reprendre dès que son débit le favorisera. Eh bien, les entrepreneurs de cette fabrique ont eu à lutter contre tous les désagréments d’une sorte de dédain dont ils ne sont pas encore même toujours exempts aujourd’hui, au lieu de recueillir des bénédictions méritées par l’entreprise et ses auteurs. It s’élève en ce moment sur une portion du terrain vendu de l’ancien évêché d’assez vastes bâtiments pour y préparer des bleus de plomb, litharge, huile de vitriol, vert de gris, etc., le citoyen Berger, originaire de Valence, maintenant gros bijoutier de Paris, entrepreneur. On a voulu dans le commencement de ses travaux y apporter des obstacles. II fut adressé à mon prédécesseur des pétitions contre cet établissement; il en fut fait justice; Berger laisse dire et réussira, j’espère. Le plus grand bienfait que l’administration puisse répandre sur ce département est, je crois, d’y encourager par tous les moyens en son pouvoir, par tous les témoignages de sa considération, l’art agricole et l’industrie manufacturière.

Quant aux arts proprement dits, c’est le néant dans tout son vide. Ce que j’ai dit de l’absence presque absolue d’instruction l’avait déjà suffisamment indiqué. Aucun homme de lettres; quelques chicaneurs pour légistes; pas même de bons médecins et les empiriques foisonnent. Et pourtant il y avait une université à Valence. Notre fond en hommes instruits et capables d’en instruire d’autres est si pauvre que, tout en me félicitant de voir approcher le moment où les établissements d’éducation vont être multipliés, je souffre déjà de ne pouvoir apercevoir en même temps comment les composer; si pauvre, qu’occupé depuis plusieurs mois, pour satisfaire un désir du ministre de l’Intérieur, de rassembler des matériaux de statistique, j’écris des volumes, je frappe à toutes les portes et je ne reçois par ci par là que des bribes, souvent insignifiantes et, ce qui est pis, contradictoires. J’en dois excepter un médecin de Saint-Paut-Trois-Châteaux, nommé Niel, qui m’a fourni un mémoire très bien fait et annonçant un esprit exercé et des connaissances étendues en histoire naturelle, chimie, etc… (60), et un vieux antiquaire de Tain, l’abbé Chalieu, bien paresseux, mais qui paraît avoir de l’érudition (61) ; en outre Coeuret, le professeur de mathématiques Coeuret, et puis encore Coeuret, que Valence a eu le bonheur de conserver; quand on l’a nommé, on a tout dit en fait d’homme propre à l’enseignement et dont on pense tirer parti (62).

Permettez-moi, citoyen Premier Consul, de saisir en passant cette occasion de le rappeler à l’intérêt dont il se flatte d’avoir été honoré de vous, en faveur de son sort qui l’inquiète comme professeur d’artillerie. se croit à la veille d’éprouver ce qu’il regarde comme une injustice envers ses anciens services. Il lui a été mandé que dans le rétablissement de l’Ecole à Valence, il n’était destiné qu’à la place de second qu’il remplit depuis tant de temps il avait cru pouvoir espérer qu’il n’avait pas démérite et qu’on le jugerait digne de ia première.

Militaire.

Nous avons la 11° demi-brigade. C’est elle qui a fourni aux éclaireurs. Conduite excellente partout. J’ai eu plusieurs fois occasion d’applaudir à son très bon esprit. Le corps d’officiers est extrêmement affecté dans ce moment par la rentrée d’un chef de bataillon (Trophime-Lafond), que leurs sentiments, qui m’ont paru unanimes, repoussent pour des faits graves. Toutes les représentations faites au ministre de la Guerre et étayées par le général de division et autres connaissant le corps et le sujet, ont été inutiles. On en craint des désordres.

Le 15° dragons revenant d’Egypte vient d’arriver à Montélimar. L’escadron complémentaire y était déjà depuis longtemps. Je n’ai également que des éloges à faire de sa conduite.

Il y a toujours eu précédemment un général de brigade résidant a Valence et commandant le département. Nous n’en avons plus depuis le général Vallette transféré dans l’Ain. Le chef de la 11°, Vabre a temporairement eu ce commandement et je n’ai eu qu’à m’en louer beaucoup. Le commandant de la place, Guilbert, est aussi un très bon officier, actif, laborieux, exact, tête normande et froide, peu communicatif, ce qu’il faut à Valence. Mais il n’est que capitaine et est menacé, a ce qu’il croit, de devoir céder sa place à un chef de bataillon. Si ses services le rendaient susceptible de ce grade, j’ose vous demander, citoyen Premier Consul, de le lui conférer pour le conserver à Valence.

L’officier du génie Eynard, chef de bataillon, vient de recevoir l’avis de sa reforme il s’en plaint. Un corps et une école d’artillerie sont ardemment désires et attendus à Valence. Valence est fière de vous avoir possédé quelque temps dans ses murs. C’est à la possession d’un corps d’artillerie qu’elle doit ce titre d’honneur. La possession d’un corps d’artillerie ne peut que lui en être devenue plus chère.

La gendarmerie, très bonne. Nous nous félicitons beaucoup du nouveau chef d’escadron Talin que vous venez de nous envoyer.

Tribunaux.

Un criminel, quatre de première instance et un de commerce. Tous faibles, en général tout ce qui tient à l’ordre judiciaire est pauvre de sujets formés et même d’espérances. Beaucoup de chicaneurs peu de jurisconsultes. Les citoyens Legentil, homme de loi de Romans et Ollivier, avoué à Valence, en outre juge suppléant au tribunal criminel, méritent pourtant, dit-on, la réputation assez étendue dont ils jouissent. Ce sont certainement par leurs qualités morales des hommes recommandables. Quoi qu’il en soit, le service judiciaire me paraît marcher passablement et sans exciter de plaintes. Le tribunal criminel depuis sa rénovation va; il a acquis un bon commissaire dans le citoyen Odouard (63), à la place de Curnier, qui avilissait sa place par l’inconsidération dans laquelle il était tombé de toutes parts. Les présidents des tribunaux de première instance en sont l’âme; ils ne sont pas mauvais; les commissaires de même; les substituts meilleurs.

Justices de paix.

64 qui vont être réduites à 28. L’opération se fait; il est bien à désirer qu’il en sorte d’autres juges de paix que ceux actuels. On en cite un seul excellent, le citoyen Athénor, du conseil général et juge de paix d’Aouste près Crest ; 5 à 6 passables ; tout le reste est moins que rien ; heureux lorsqu’ils ne sont pas un inconvénient pour le canton où ils résident.

Administration.

Va ; mais comme on peut aller avec de mauvaises jambes avec des maires dont plusieurs savent à peine signer leur nom, avec des mairies sans le sol, qui ne peuvent pas défrayer leur service le plus indispensable. L’administration ne marchera au gré des intentions du gouvernement et de manière à en répandre toute la bienfaisance que lorsque beaucoup de petites communes seront réunies pour n’en former que de grosses, que lorsque la loi aura indiqué un moyen administratif de subvenir aux besoins des communes et d’acquitter leurs charges.

Je crois que la sous-préfecture unie à la préfecture dans l’arrondissement de la résidence du préfet est un vice d’organisation qui nuit à l’ensemble, noye dans les détails le préfet dont les fonctions me paraissent essentiellement destinées à les rassembler pour en former des masses et à ne s’exercer que sur elles.

Le conseil général du département a été parfaitement composé. Le citoyen Montalivet, qui en était le secrétaire, y laisse un vide qui ne sera pas rempli. Ce sont au reste tous des hommes sages, amis du bien, fort attachés au gouvernement. S’ils étaient un peu plus travailleurs, ils vaudraient encore mieux.

Je puis en dire autant des conseils d’arrondissement dans un degré inférieur. Il m’en coûte de devoir dire qu’il n’en est encore sorti aucun travail utile, qu’il n’en ressort pas un seul membre avec un cachet qui le distingue. Il faut le dire, et malheureusement le redire en toute occasion il y a une apathie d’habitude, une paresse d’esprit générales parmi les Dromois, qui ne pourront se détruire que par beaucoup de culture et avec beaucoup de temps.

J’ai établi près de la préfecture deux conseils consultatifs, l’un d’agriculture, commerce et arts, l’autre d’humanité (64).

Cette institution a été applaudie: elle a produit quelques mémoires bien faits, surtout bien inspirés Mais pour délibérer, il faut s’assembler et ce n’est pas sans quelque peine que je parviens a obtenir une séance tous les trois mois.

Des personnes

Sans doute je dois me borner ici à parler des principaux fonctionnaires et agents du service.

Planta, maire de Valence. Ancien garde du corps ; bon homme, très désireux du bien, mais sans caractère ni vigueur, se laissant aller à toutes les influences, tandis qu’à Valence, au milieu d’une foule de désœuvrés, de piliers de cafés et de cabarets, d’esprits jaloux et désunis, les uns regrettant les chapitres, les prébendes, etc. les autres la bonne table, les antichambres des marquis et des comtes, beaucoup la contrebande, tous de ne plus voir arriver l’argent dans leur poche sans rien apprendre et pour ainsi dire sans rien faire, il faudrait pour tirer l’administration de cette commune des difficultés qui l’entravent de toutes parts, une main nerveuse et décidée; mais où la trouver? Je l’ignore.

Revol, maire de Romans, beaucoup de lumières, de sagesse et en même temps de tenue, excellent il jouit aussi de la considération et de l’affection générales dans sa commune et bien ailleurs.

Forquet, maire de Montélimar; jeune encore, timide à l’extérieur; ne l’est pas de même dans ses fonctions; il s’annonce très bien.

La grande majorité des autres maires vont bien également, c’est-à-dire aussi bien qu’ils peuvent. Plusieurs méritent d’être distingues de la foule. Tous se montrent très attachés et très zélés pour le gouvernement. Je remarque que, partout où il a été possible de placer des militaires, l’administration a eu infiniment a s’en applaudir.

Robin, directeur de la régie, de l’enregistrement et du domaine extraordinaire; beau-frère estimé et chéri du sénateur Dedelay. C’est de l’or pur et par son expérience dans sa partie, par la bonté de son esprit et de son cœur, la justesse et le tact très fin de son jugement.

Gailhard, directeur des contributions, ancien législateur. Possède également très bien la partie dont il est charge et la fait avec zèle, assiduité et exactitude. Son caractère un peu morose, accusé de lésinerie, le rend moins agréable et le fait moins rechercher. Il est, lui-même, peu communicatif, mais c’est un homme très convenable à sa place.

Les Blachette frères, l’un receveur général (65), l’autre payeur. Comptables infiniment distingués l’un et l’autre. Le Ministre des Finances m’a plusieurs fois témoigné, et d’une manière particulière, sa satisfaction de la gestion du premier.

On ne peut, en effet, je crois, y apporter plus de régularité et en même temps plus de désir que je n’en ai trouvé en lui de satisfaire le gouvernement. Je l’ai aussi toujours trouvé humain et raisonnable toutes les fois que j’ai eu à l’engager à modérer ses poursuites envers telle ou telle commune ou tel ou tel contribuable en retard, auxquels je connaissais des motifs solides pour le justifier. Cependant, l’esprit de parti a voulu le frapper et le poursuit bien encore d’une sorte de proscription parce qu’il s’est montré ami de la Révolution. Cette famille a fait et fait de bonnes affaires. Je soupçonne beaucoup d’envie déguisée sous ce manteau. Les Blachette n’en sont pas moins, à mon avis, infiniment bien places pour le service où ils sont et très précieux à y conserver.

Dingler, ingénieur en chef, passe à la Meuse. N’est pas brillant est déjà, sans être vieux, un peu pesant, mais instruit, d’un esprit sage, d’un caractère honnête, plein d’honneur et très jaloux de remplir ses devoirs. [Remplacé par le citoyen Courtalon, qui n’est pas arrivé. Les ingénieurs ordinaires Lesage et Chapuis, bons].

Falquet-Travail, sous-préfet du deuxième arrondissement honnête, désintéressé, ayant des moyens, des lumières et de l’expérience administrative acquise dans les ci-devant Etats du Dauphiné où il était employé. Mais, en même temps, d’une suffisance et d’une opinion de lui qui le rend le centre de ses plus chères affections, le type de tout ce qu’il y a de bien et de bon, d’où il résulte souvent une morgue avec ce qui se trouve placé au deuxième plan au-dessous de lui et une susceptibilité avec ce qui est au-dessus, qui le rendent très désagréable aux uns et très fatigant pour les autres. D’ailleurs, se perdant sans cesse dans ses systèmes, voulant régir de Die la République et oubliant sur son bureau les affaires de son arrondissement; administrés et administrateur, tout le monde se plaint de la stagnation qu’elles y éprouvent. Il pourrait être fort utile dans un conseil; il ne vaut rien pour une place d’exécution (66). Pons, ci-devant sous-préfet de Verdun, sous-préfet du troisième arrondissement (67). N’est qu’annoncé en remplacement du citoyen Richaud. La réputation qui l’a devancé fait craindre son arrivée et lui rendra ses succès d’autant plus difficiles qu’il succède à un homme aimé, très bon homme, en effet, faisant rondement et exactement sa besogne. Parmi ces montagnards, bonnes gens aussi, il ne leur en fallait pas davantage. On ne peut reprocher au citoyen Richaud que des habitudes domestiques et privées inconvenantes dans un homme qui a l’honneur de représenter le gouvernement. Vous l’avez destiné, citoyen Premier Consul, par votre arrêté de destitution (du 30 fructidor an 9) à un autre emploi. Il est de votre justice de ne pas l’oublier. Ayant été juge ou homme de loi toute sa vie, il sera infiniment propre à une place de tribunal d’appel.

Gaud-Roussillac, sous-préfet du quatrième arrondissement. Plein d’esprit, de tact et de cette âme qui leur donne toute la valeur qu’ils peuvent avoir. Elle est tout entière au gouvernement. Il s’y est rendu très utile dans une place très difficile. Ce n’est certainement bien souvent qu’au péril de sa vie qu’il a pu garder fidèlement son poste. On lui doit beaucoup pour l’extinction du brigandage. D’ailleurs notoirement paye insuffisamment et pour les circonstances qui l’ont constitue dans des dépenses extraordinaires et toujours pour Montélimar, ville de garnison, lieu d’un grand passage. Sa fortune en a, je l’entends assurer, car il ne me l’a jamais dit, beaucoup souffert. C’est un titre de plus qui le recommande au gouvernement pour une récompense méritée. Il ne m’appartient pas d’indiquer quelle elle doit être. Je puis seulement vous assurer, citoyen Premier Consul, que vous en serez content, partout où beaucoup d’esprit, de l’esprit délié, actif, à ressources, joint à tous les sentiments qui constituent l’homme d’honneur peuvent être employés utilement.

Chaponel, Marbos, Guejrmard, conseillers de préfecture. Le premier, ancien conseiller des relations commerciales; le second, ancien curé de Valence, depuis évêque constitutionnel, législateur; le troisième, ancien militaire, beau-frère du tribun Savoye-Rollin, qui lui a valu cette place, qu’ils regardent, je crois, l’un et l’autre comme un marchepied. Sont pleins de bonne volonté, de probité, de désir de satisfaire le gouvernement, mais étrangers aux affaires contentieuses dont ils ont à s’occuper, qu’ils déblaient pourtant le mieux qu’ils peuvent. [Nous sommes au courant]. Vallenet, secrétaire général n’a rien de mauvais, je le crois, cependant peut-être un peu la tête, mais n’a pas tout ce que je voudrais trouver de bon dans mon second. Nos caractères ne sympathisent pas du tout. Il me faut de la besogne et il aime mieux ses plaisirs, [bien que déjà d’un âge mûr et père de famille]. Il a des prétentions de toute espèce et je n’en aime aucune, si ce n’est celle de bien remplir son devoir. J’y ai mis beaucoup du mien et cela va, mais avec souffrance pour l’un et pour l’autre. Il est des environs de Paris il désirerait d’en être rapproche. Je crois qu’il remplirait bien une sous-préfecture et je ne puis que joindre mes instances à sa demande pour que vous veuillez, citoyen Premier Consul, la prendre en considération (68).

Reste le préfet. Que pourrais-je en dire? Il vient de se mettre tout entier sous vos yeux, heureux si, en vous ouvrant son cœur, il a pu vous y faire lire les sentiments bien sincères et bien zélés qui le dévouent à la chose publique et à vous personnellement. Vous y trouverez à côte d’eux les désirs auxquels vous l’avez autorise, lorsque vous l’envoyâtes dans la Drôme, en lui laissant espérer que ce n’était qu’un emprunt que vous faisiez aux Relations extérieures désirs que vous trouverez sûrement naturels dans un quasi-vétéran de ce département que des goûts, des habitudes et des occupations de toute sa vie y rappellent sans cesse (69 ).

Lyon, le 20 nivôse an X (10 janvier 1802).

VIIPoursuite des derniers brigands. Session du Conseil général de l’an X. Fête du 14 juillet. – Vote sur le Consulat à vie.

La poursuite des derniers brigands fut encore, pendant l’an X, l’une des principales préoccupations du préfet de la Drôme. Le sous-préfet de Montélimar, fidèle à sa méthode, s’efforçait de connaître par ses espions les projets des brigands, afin de s’emparer d’eux par surprise. Il écrit au préfet le 8 pluviôse (28 janvier 1802) « C’est au dix de ce mois que les coquins doivent s’assembler dans une grange à une lieue de Montélimar s’ils viennent, ils sont perdus viendront-ils? Voilà la grande question ? » Trois jours plus tard, il écrit « Nos brigands sont paresseux ou timides. Ils ne sont pas encore arrivés. Nous les attendons tous les jours et j’ai grand peur qu’ils n’aient été avertis du piège. » Dans la nuit du 19 au 20 pluviôse, trois brigands furent pris par les éclaireurs de l’adjudant Boyer.

Le 28 pluviôse (17 février), le préfet rendit compte de la situation au Ministre de la Police générale : Je vous ai entretenu plusieurs fois de mes sollicitudes sur le voisinage du mauvais foyer existant dans le Gard vers Bagnols Vous y avez heureusement porté votre attention, étendu votre main; il faut espérer que les arrestations assez nombreuses qui en sont résultées l’auront purgé. Les mouvements que je me suis donnés de mon côté, toujours bien secondé par le très intelligent et très zélé sous-préfet de Montélimar et par l’adjudant Boyer, pour approfondir ce que nous pouvions renfermer dans nos veines de sang impur dont se nourrissait ce bouton pestilentiel, m’ont acquis la presque certitude qu’il se trame encore des projets d’expédition de malle ou autres de cette espèce. J’ai recueilli des divers renseignements qui me sont parvenus et particulièrement de ceux du citoyen Roussillac, que je crois mériter le plus de confiance, la liste que je joins ici des hommes qui me sont signalés, tant à cause de leurs brigandages passés que comme très suspects de participer à ces nouveaux complots, comme aux coups qui se sont faits dans le Gard, où ces coquins, se croyant plus en sûreté, préféraient d’aller exercer leur infâme métier. Il me revient en même temps de divers côtés qu’ils se tiennent infiniment sur leurs gardes, et qu’ils commencent à convenir même entre eux que le métier ne vaut plus rien. Le tribunal spécial va aussi bien maintenant qu’il a été mal dans le commencement. Tout me porte à croire que ce sera bientôt une affaire finie. Mais il faut encore s’assurer de quelques maîtres coquins et c’est pour quoi je n’épargnerai aucun soin.

J’observe attentivement d’imposer la surveillance des autorités locales sur ceux qui viennent à être inquiétés et je tiens à ce que les maires me rendent tous les mois compte de leur conduite. Cela produit, à ce qu’il me semble, un bon effet.

J’en ai prévenu mes collègues du voisinage en leur donnant l’indication des mises en liberté intéressant leur département, ce que je continuerai de faire. Je n’ai pas manqué de même de communiquer l’extrait de la note incluse, en ce qui concerne le Vaucluse, au citoyen Pelet.

L’adjudant Boyer vient de m’informer de trois arrestations opérées sur le territoire de Bollène, de Coronel dit le colonel, Estève et Joseph Micogne que nos espions y ont fait découvrir.

Une note, de la main du sous-préfet de Montélimar, est jointe à cette lettre :

Une bande de brigands existe sur les limites septentrionales de Vaucluse. Elle a fait, il y a quelques jours, une tentative pour arrêter la malle entre Donzère et Pierrelatte. Cette bande est composée de douze individus qui sont Charpenel dit Picotin, frère à celui qui a été fusillé; Meissonier; l’un et l’autre sont de Visan ; Baron, de Bouchet; Louis Apaix, de Bouchet; Reinier, Choizi, Clément, de Saint-Restitut; Louis Brémont, de Bollène, fils cadet du notaire de ce nom; il se fait appeler Louis Hongas, marchand tanneur; Brémont, fils aîné; ces deux frères se sont échappés des prisons de Nîmes; Rigaud, de Sainte-Cécile, échappé des prisons de Montélimar; Victor Armand, de Grillon; Reinaud dit Bazane, de Sainte-Cécile.

Le nommé Talien Duplan, de Bollène, est tellement scélérat que ses camarades ne veulent plus faire d’expédition avec lui. On connaît sa retraite et il est très fort à croire qu’il sera arrêté sous peu de jours, de même que le nommé Jeanet Charpentier, de Bollène. Ce dernier est meunier au moulin de Valréas

Le nommé Croz fils cadet du Puy-Saint-Martin et Julian, cordonnier, de la même commune, sont soupçonnés d’avoir fait partie de la bande qui spolia, il y a un an, le percepteur du Puy-Saint-Martin. Ils ont le projet d’arrêter la malle avec deux ou trois brigands de Bollène, dont j’ignore le nom, et Davin fils, d’Eyzahut. Ce Davin les trahit. On espère capturer bientôt les brigands dont les noms sont à ce dernier paragraphe. Ceux de la bande des douze sont observés. Leur prise en détail consommerait beaucoup de temps. Il faut les réunir et c’est à quoi l’on travaille en observant qu’il faut de la patience et surtout du secret.

Le tribunal criminel spécial continuait à rendre des arrêts contre les brigands. Le 2 nivôse (23 décembre 1801), il condamnait à mort Antoine Dubourg et Joseph Ayme, de Réauville, « convaincus l’un et l’autre d’avoir fait partie d’une troupe d’individus qui, les 22 thermidor et 9 fructidor an 8, s’introduisirent par la force des armes dans les habitations de campagne du citoyen Donnadieu à Chantemerle, et du citoyen Jean-Pierre Chativet, à Réauville, exercèrent des violences, notamment envers Chauvet, sa femme, sa mère et sa domestique dans l’intérieur de sa maison, enlevèrent auxdits Donnadieu et Chauvet, par force et violence, de l’argent et divers effets leur appartenant » Le 19 pluviôse (8 février 1802), condamnation à mort de Pierre Granjon, « convaincu d’assassinat par un coup de feu sur la personne de Jean-Etienne Bonneau, de Sainte-Jalle, sur le chemin tendant de Nyons aux Pilles. » Le 24 germinal (14 avril), Antoine Brugier, âgé de 21 ans, est condamné à mort pour avoir fait partie des bandes de brigands qui, dans les années VII, V1I1 et IX, s’introduisaient par force et violence dans les habitations de campagne pour piller et voler,

Le 3 floréal (23 avril), un arrêté des consuls déclara nulle et non avenue l’application de l’amnistie du général Ferino à François Joubert et Jean-Louis Aubenas, de Valréas, prévenus d’assassinat, de vol et d’incendie. Quelques semaines plus tard, le 20 messidor (9 juillet), le tribunal spécial condamnait à mort ces deux scélérats, convaincus, entre autres crimes « d’avoir fait partie d’un attroupement séditieux, qui, le 5 ventôse an 8, dans la commune de Valréas, département de Vaucluse, assassina et mit à mort à coups de fusils, les citoyens Perin, chef de brigade, commandant la garnison de Valréas ; Perin, chef de bataillon, Délaye, capitaine et Antoine, sergent des grenadiers, hors la légitime défense de soi ou d’autrui, volontairement, méchamment et dans le dessein de crime lequel attroupement séditieux força la porte de la maison d’arrêt de Valréas. y enleva avec violence le nommé Armand, qui y avait été traduit le même jour par la force armée. »

Le 26 messidor (15 juillet), PIerre-Durand Fiacre, dit Moze, cultivateur de la commune de Richerenches, convaincu d’avoir fait partie de la bande de brigands armés, qui avaient assassiné, le 11 frimaire an IX, sur la route de Pierrelatte à Saint-Paul-Trois-Châteaux, le capitaine Prémini. de la 10° demi-brigade, est condamné à la peine de mort.

Ainsi, peu à peu, les crimes qui avaient répandu l’effroi dans le département, recevaient leur châtiment. Quelques brigands restaient encore. Au mois de thermidor, Gaud-Roussillac signale plusieurs fois au préfet l’apparition dans diverses communes d’un dangereux bandit nommé Coulon. « Les apparitions de Coulon sont réelles, écrit-il le 13 thermidor. Un habitant de Grillon, passant auprès de Colonzelle, vit le brigand mangeant en plein jour du fruit sur un arbre. Coulon était accompagné du nommé Victor Armand, de Grillon. Le surlendemain, Coulon et deux autres furent aperçus dans les ramières entre Colonzelle et Grignan. Il faut empêcher la réunion de toute cette canaille, car je compte encore Coulon, Picotin, frère du fusillé, Meissonier, Apaix de Bouchet. Victor Armand et le brigand Choizi. Ces six misérables seraient capables d’une expédition et pourraient trouver aisément des auxiliaires à Bollène. » Quelques jours plus tard, il déclare que Coulon sera pris difficilement, étant féroce, robuste, adroit et d’une excessive défiance (70). Cependant, le calme était si bien rétabli dans le département, que le ministre de la Police générale écrivait au préfet, le prairial (21 mai), et lui demandait si le gouvernement pouvait, sans danger pour la tranquillité publique, dissoudre la colonne d’éclaireurs. établie par l’arrêté du 1er nivôse an IX. A ce moment même, le président du tribunal criminel spécial, Chamoux, vint à mourir. Le préfet écrivit au Ministre de la Police générale le 7 prairial (27 mai).

La mort vient de nous enlever le citoyen Chamoux, président du tribunal spécial, au très grand regret des amis de la chose publique, de tous ceux qui savent apprécier un homme de bien, actif, laborieux, zélé pour ses devoirs, ne voyant que le but qu’ils indiquent à ses travaux et capable de s’avancer invariablement pour l’atteindre à travers toutes les considérations propres à l’en détourner. Vous vous rappellerez la marche de ce tribunal avant sa présidence. Vous savez ce qu’il a fait depuis sa présidence. Cette comparaison suffit à son éloge. Peu de mois encore, et il eût aussi complètement qu’honorablement terminé sa carrière par l’entière purification de ce département du brigandage qui l’a couvert de maux pendant plusieurs années. Plusieurs scélérats ont déjà expié leurs forfaits mais il en est encore devant la justice dont l’intérêt de la société réclame fortement la punition. Le remplacement du citoyen Chamoux dans cette circonstance appelle donc toute l’attention du Gouvernement en présentant une grande importance. La tranquillité est rétablie dans ce département. Vous m’avez fait l’honneur de me demander, par votre lettre du si la colonne d’éclaireurs, établie par l’arrêté consulaire du 1ernivôse an IX, pouvait être maintenant dissoute sans danger. J’attends quelques réponses que j’ai provoquées aussitôt, pour recueillir les diverses opinions dont la mienne doit se former définitivement sur ce point assez délicat; mais je prévois qu’elle sera affirmative, en supposant toutefois que l’action de tout ce qui est nécessaire au maintien de la tranquillité dont nous jouissons restera la même, et celle du tribunal spécial est certainement la plus essentielle. Il est infiniment désirable que celui qui nous sera donné soit absolument étranger à ces localités-ci, qu’il soit par dessus tout, par caractère et par ses liaisons, présentement et à jamais, parfaitement indépendant dans ce qu’il aura à faire de l’influence, qui compromettrait et gâterait à nouveau tout ce qui a été fait, du ci-devant président Bérenger, dont les passions haineuses, brouillonnes et dominatrices vous ont assez donné la mesure pour que je n’aie plus à vous en reparler (71).

Deux jours plus tard, le préfet écrivait de nouveau « la colonne venant à être dissoute, le remplacement à faire du président de ce tribunal devient d’autant plus intéressant, et peut-être cette considération présente-telle assez d’importance pour mériter seule que la résolution définitive sur les éclaireurs soit ajournée jusqu’à ce que ce remplacement fait et bien fait ne puisse plus laisser d’incertitude sur l’effet qu’il produira. »

Le Ministre de la Police générale approuva les vues du préfet et lui répondit, le 7 messidor (26 juin) qu’il avait cru devoir différer de proposer au Gouvernement la dissolution de la colonne d’éclaireurs. « Aussitôt qu’il aura été pourvu au remplacement du président du tribunal spécial et que vous aurez pu fixer vos idées sur l’effet qu’il aura produit, vous voudrez bien me faire connaître de suite si vous jugez qu’on puisse, sans danger, effectuer la dissolution dont il s’agit » (72). En fait, dans le courant de ce mois de messidor, la colonne d’éclaireurs se trouva dissoute par le départ de la 11° demi-brigade Le sous-préfet de Montélimar manifesta des inquiétudes, déclarant que la partie méridionale du département ne pouvait pas rester sans troupes. Le préfet écrivit au Ministre de la Police générale que la retraite des détachements d’éclaireurs avait laissé d’assez vives inquiétudes dans l’intérieur des 3e et 4e arrondissements, et particulièrement aux témoins appelés pour les jugements rendus contre les brigands. Après avoir pris l’avis du Ministre de la Guerre, celui de la Police générale répondit au préfet, le 29 thermidor (17 août), qu’il existait dans le département de la Drôme des forces suffisantes pour assurer le maintien de l’ordre. «  Vous aurez soin, ajoutait-il, de vous concerter avec le général commandant la division pour avoir à votre disposition les détachements nécessaires dans le cas où l’ordre serait troublé. Les détachements rentreront dans leur garnison aussitôt que le calme sera rétabli. » Les mesures exceptionnelles devenaient inutiles, car l’ordre régnait dans la partie méridionale du département.

Dans le rapport qu’il adressait au Conseil général (73), le 1er prairial, Descorches se réjouissait déjà du rétablissement de l’ordre :

Nous n’avons plus qu’à nous féliciter sur la plus pressante des améliorations, sur la plus importante par ses conséquences, puisque sans elle aucune n’était possible; je veux parler de l’extinction du brigandage qui a désolé si longtemps et de tant de maux les troisième et quatrième arrondissements. Au lieu des sollicitudes dont le récit a souvent déchiré votre cœur, et qui, il y a un an, à pareille époque, ne me permettaient pas encore d’ouvrir, sans une émotion d’effroi et d’indignation, une seule lettre de ces malheureuses contrées, la correspondance, toujours très active, que j’entretiens avec elles, ne m’offre plus que les rapports les plus satisfaisants non seulement la tranquillité, la sûreté y sont parfaitement rétablies partout, mais j’ai lieu de me convaincre tous les jours que l’ardeur des haines de parti, qui jouait un grand rôle dans ces désordres, s’amortit sensiblement.

Le préfet rendait ensuite hommage au zèle de l’adjudant-commandant Boyer et du sous-préfet de Montélimar, à l’équité de la commission militaire, à l’activité et à la dignité du tribunal spécial. Après cela, il présentait le tableau de la situation du département agriculture, commerce, prisons, hospices, mendicité, grandes routes, instruction publique, population, exécution des lois, état civil, délimitation du territoire, biens communaux, objets divers.

Le Conseil général s’assembla à Valence le 1er prairial an X (21 mai 1802). Onze membres étaient présents Robin, directeur de l’enregistrement et du domaine national à Valence, Gailhard directeur des contributions directes à Valence, Lacroix Saint-Vallier, propriétaire à Saint-Vallier, Jourdan fils, de Tain, Plan de Sieyès, propriétaire à Valence (74), Farre neveu, homme de loi au Buis, Athénor, juge de paix à Crest, Reboul, juge de paix à Die, Magnan aîné, homme de loi à La Motte-Chalancon, Rouvière, propriétaire à Pierrelatte, Jacomin père, juge au tribunal de Nyons. Lacroix Saint-Vallier fut réélu président à l’unanimité Magnan fut élu secretaire et Athénor secrétaire-adjoint (75). Le Conseil s’occupa d’abord du répartement des contributions entre les divers arrondissements et de la fixation des dépenses variables du département et des divers arrondissements. Il sollicita ensuite une réduction du contingent du département à la contribution foncière et un dégrèvement.

Le Conseil expose au Gouvernement qu’un grand nombre de communes ont perdu dans le mois de floréal dernier la totalité de leurs récoltes par les ravages de la grêle, et qu’enfin un fléau plus affligeant encore est venu mettre le comble à la désolation et à la misère des habitants du département. La presque totalité des vignes, des noyers et des mûriers a été atteinte dans les nuits des 27, 28 et 29 floréal (17, 18 et 19 mai), d’une gelée qui ne laisse aucun espoir de récolte pour plusieurs années cependant on sait que le vin, l’huile de noix et la soie sont les principaux revenus de ce département et qu’un grand nombre de communes n’en recueille pas d’autres dans leur territoire.

Le Conseil demandait un dégrèvement proportionné à l’immensité des pertes, qu’il estimait au moins à deux millions.

Le Conseil exposait ensuite ses vues sur la perception des contributions, telle qu’elle avait été organisée par l’arrêté des consuls du 16 messidor an VIII (76) il estimait que le mode de l’adjudication au rabais produisait un double inconvénient, rendant la perception onéreuse aux contribuables et compromettant la sûreté des fonds publics. Il proposait de fixer des arrondissements de recettes, en se servant de la division territoriale déjà adoptée pour les justices de paix. Les percepteurs seraient présentés par les conseils municipaux des communes et nommés par le préfet, après avis des sous-préfets et des receveurs particuliers. Le Conseil demandait la révision du tarif des patentes et la suppression de l’impôt des portes et fenêtres. Passant à l’examen de la situation agricole du département, le Conseil indiquait comme moyens d’encouragement à l’agriculture, une diminution de la contribution foncière et « une modification au droit proportionnel d’enregistrement sur les baux à ferme, en assimilant pourra perception les baux à long terme à ceux passés pour huit ans. Pour faire face au déficit qui résultera de ces diminutions et modifications, le Conseil invite le Gouvernement à proposer de nouveau le rétablissement de l’impôt sur le sel, perceptible à l’extraction. »

II demandait qu’il fût interdit, sous des peines sévères, de défricher les terrains montueux. Il sollicitait la protection du Gouvernement pour le rétablissement du canal d’irrigation, sur la rive gauche du Rhône, dans le territoire de Donzére. Il insistait sur la nécessité de prendre des mesures rigoureuses « pour réduire au plus petit nombre possible les chèvres dont la multiplication est un des fléaux les plus déplorables du département.» Il décidait l’établissement d’une pépinière départementale, et votait pour cet objet une somme de 12000 francs, 8000 pour les frais de premier établissement et 4000 pour les appointements du pépiniériste, gages des domestiques et entretien annuel. Constatant la difficulté de trouver des gardes champêtres « dont la moralité présente une garantie suffisante aux propriétaires contre l’audace des délinquants, » il demandait une organisation générale des gardes champêtres, soit par département, soit par arrondissement, soit mieux encore par canton, sous le nom de gendarmerie rurale.

Le Conseil estimait qu’il serait infiniment avantageux d’encourager la destruction des loups. « La multiplication de ces animaux destructeurs est effrayante. Il en a été tué ou empoisonné un grand nombre dans le département en l’an 9 et en l’an 10; mais ceux qui se sont livrés et qui seraient disposés à se livrer à cette chasse utile, mais dangereuse, sont découragés par le refus qu’on leur a fait de leur payer la prime qui avait été décrétée. »

Le procès-verbal contient ensuite des détails fort intéressants sur l’état des filatures de soie et la culture du mûrier.

Le nombre des filatures était infiniment moins considérable avant la Révolution qu’il ne l’est aujourd’hui. H y avait des filatures composées depuis six tours jusqu’à trente et même quarante. Les acheteurs expérimentes préféraient la soie filée dans celles de quinze à vingt tours, parce qu’ils pensaient que ce nombre moyen mettait les filateurs à portée de surveiller plus facilement leurs ouvrières, de leur faire employer un nombre toujours égal de cocons, de nettoyer exactement la soie et de suivre tous les autres procédés nécessaires à son perfectionnement. En effet, ces espèces de filatures produisaient un brin à la fois plus égal et plus net.

Très rarement on voyait les grands propriétaires de cocons entreprendre de faire filer eux-mêmes leur récolte et moins encore les petits toutes les matières premières de cette espèce allaient subir dans les filatures les règles de l’usage et de l’expérience.

Les acheteurs étaient des fabricants de Lyon, de Saint-Étienne et de Saint-Chamond, assez appréciateurs du beau pour encourager les filateurs et donner un prix sensiblement plus avantageux à ceux qui se distinguaient par une plus belle soie.

Les mouliniers achetaient peu, ils se bornaient en général à ouvrer les soies graizes (grèges)qui leur étaient confiées, soit par les fabricants, soit par les filateurs.

Sans doute, il y avait des abus provenant de l’attachement à la vieille routine; mais ces abus diminuaient graduellement par les encouragements et les instructions que donnaient les fabricants aux filateurs et par le peu de multiplicité des filatures. Mais aujourd’hui ces abus se sont accrus à l’infini et ont produit une dépréciation réelle des soies du département, non seulement elles ne peuvent plus soutenir la concurrence des soies du Piémont, Milan, Brescia, etc. mais encore la fabrique de Lyon leur préfère d’autres soies qui autrefois valaient cinq pour cent de moins. A quoi devons-nous attribuer cet état de choses? A la multiplication extraordinaire des petites filatures d’un ou de deux tours entreprises par de simples agriculteurs, qui ayant recueilli cinquante livres de cocons, en achètent une égale quantité de leurs voisins et veulent faire une spéculation en convertissant le tout en soie. Sans nulle idée des détails et des connaissances qu’exige cette sorte d’entreprise, ils emploient leur ménagère et l’un de ses enfants qui filent tant bien que mal vingt à trente livres d’une soie entachée de toutes sortes de défauts. Nous le devons à l’imperfection et à l’inégalité des tours dont on se sert dans la plupart des filatures, où l’on mêle le mécanisme ancien qui est pitoyable à celui inventé par Vaucanson, qui présente des avantages vraiment utiles à la perfection des soies.

Nous le devons à la presque nullité des ouvrières fileuses et à la jeunesse des tourneurs qui ont à peine huit ans à l’abandon des fabricants, dont la qualité dépréciée de nos soies est devenue sans doute la cause à une foule de spéculateurs et de mouliniers qui les ont remplacés, qui ne distinguent rien, n’encouragent personne et qui, obtenant à vil prix du paysan obéré ses petites parties de vingt-cinq à trente livres de soie, leur donnent la préférence, les mêlent ensuite avec celles provenant des bonnes filatures et forment ainsi un tout inégal et sans qualité réelle.

A ces nombreux abus vient encore se joindre le peu de sagacité qu’emploient les agriculteurs dans la plantation et dans la culture des mûriers et c’est peut-être à cette cause qu’est due l’imperfection originaire du bien de la soie sous les rapports les plus généraux.

On sait par expérience que le mûrier planté dans un terrain fertile est d’une belle venue, que sa feuille est d’une grande forme et sa couleur du vert foncé, mais on sait aussi que cet arbre très vorace suce les sels nécessaires au blé et nuit d’une manière sensible à sa végétation à une très grande distance; on sait encore qu’à l’époque de la feuille, on foule ou détruit les graminées à douze mètres de circonférence autour de chaque pied d’arbre. On a de plus observé, et ceci mérite attention, que les vers à soie qui se nourrissent uniquement de la feuille des mûriers ainsi plantés dans les gros terrains produisent un cocon pesant, d’une grande forme et d’un tissu lâche le brin de soie qui en est le résultat est gros, peu nerveux, pesant et toujours entaché de bourgeons. Malgré tous ces inconvénients vraiment préjudiciables à l’économie agricole et à la perfection de la soie, les agriculteurs et surtout les paysans s’obstinent à planter le mûrier dans les meilleurs terrains.

Lorsque cet arbre, au contraire, est exclusivement cultivé dans les terres légères siliceuses (et il en est beaucoup dans ce département) dont la nature n’est d’aucun avantage réel à la culture du seigle, on a remarqué qu’il est également d’une belle venue, mais que sa feuille est d’une plus petite forme et sa couleur d’un vert plus léger. L’expérience a prouvé que les vers qui s’en nourrissent produisent un petit cocon d’un jaune clair et d’un tissu très serré. Le brin provenant de cette espèce de cocon est remarquablement plus fin, plus léger, plus nerveux et plus net.

Pour obvier à cette foule d’obstacles qui s’opposent au perfectionnement non seulement des soies du département, mais généralement à celui de toutes les soies de France, le Conseil pense : 1°) qu’une juste application des règlements rendus en Piémont sur cette matière produirait d’heureux résultats; 2°) il croit indispensable d’en confier l’exécution au préfet et aux sous-préfets 3°) il propose de défendre à toute espèce d’individus de faire filer sans avoir obtenu une licence gratuite des autorités ci-dessus désignées; 4°) ordonner que ladite licence ne sera délivrée qu’à celui qui pourra justifier par une déclaration authentique qu’il emploiera vingt à vingt-cinq quintaux de cocons dans sa filature; 5°) établir des peines sévères contre les contrevenants 6°) encourager les agriculteurs, par des prix et des modérations d’imposition, à planter le mûrier dans les terrains légers et à le cultiver exclusivement à toutes autres espèces de plantes; 7°) enfin, inviter la Société d’agriculture, généralement composée de grands propriétaires, habitant toutes les parties du département, de servir de modèle aux simples habitants des campagnes et de leur montrer l’exemple des cultures et des plantations dans les terrains ci-dessus désignés.

Au sujet des hospices, le Conseil persistait dans les vœux par lui émis en l’an IX, notamment « pour que l’administration intérieure des hospices soit confiée à des sœurs de la Charité dans les lieux où cette sage institution sera praticable et que, dans ceux qui n’en seront pas susceptibles, il soit formé en remplacement une association de bienfaisance composée de femmes choisies par le préfet, et que, pour l’administration extérieure, il soit établi auprès de chaque hospice un ou plusieurs trésoriers chargés de la gestion de leurs biens, de la défense de leurs intérêts et du recouvrement de leurs capitaux lesquels trésoriers, nommés par le préfet et les sous-préfets, verseront les revenus de l’hospice dans les mains des sœurs de la Charité, ou des autres femmes chargées de l’administration intérieure, et rendront leurs comptes de trois en trois mois au conseil municipal. »

Le Conseil demandait la création d’un dépôt de mendicité, la réparation et l’agrandissement des prisons Passant au chapitre des travaux publics, le Conseil général priait le gouvernement de continuer ses secours pour l’achèvement des réparations nécessaires sur la route de Lyon à Marseille, et sur celle de Valence à Grenoble H réitérait ses instances pour que l’on commençât les routes projetées dans l’intérieur du département, l’une dans la direction de Valence à Gap par Crest et Die, et l’autre dans la direction du Pont-Saint-Esprit au Mont-Genèvre, par Nyons et Serre. Il insistait sur la nécessité de travailler aux chemins vicinaux, ainsi qu’aux digues et aux quais.

Les digues à réparer ou à construire sur la rive gauche du Rhône sont d’une urgence qui ne permet aucun retard. Celle de Saint-Vallier sur laquelle repose un faubourg entier et une portion de la grande route a été entamée ainsi que son territoire et a besoin d’une prompte réparation. La commune de Tain a été inondée sept fois l’hiver dernier, au point que les bateaux circulaient dans ses rues pour porter la subsistance aux habitants qui avaient fui au haut de leurs maisons sept fois aussi la route de Lyon à Marseille, qui traverse cette malheureuse commune, a été entièrement interceptée dans les deux parties du Nord et du Sud et a été fortement endommagée.

Cependant il ne faudrait qu’une digue pour mettre un terme à tant de dangers. L’ingénieur en chef, convaincu de la dangereuse situation et de la commune et de la grande route, a dressé le plan d’une digue à construire dans la partie du nord, dont le prix a été évalué à environ vingt-cinq mille francs. Cette construction garantirait éminemment la grande route et ferait cesser les interruptions fréquentes, toujours préjudiciables au commerce et sauverait la commune d’une destruction vraiment inévitable.

Les idées du Conseil général sur l’instruction publique sont également fort intéressantes.

Le Conseil attend avec confiance les heureux effets de la loi qui a été nouvellement décrétée sur l’organisation de l’instruction publique (77). Il a déjà consigné son vœu dans ses précédents procès-verbaux pour la suppression de l’école centrale existante à Montélimar, dont l’inaction et l’inutilité sont reconnues; il renouvelle ici ses instances au Gouvernement pour que cette école soit incessamment dissoute et remplacée par un nombre suffisant de collèges proportionné à l’étendue et aux besoins du département.

S’il lui est permis d’exprimer un vœu sur cette matière, il aura pour objet de diriger l’instruction primaire vers l’utilité agricole. En conséquence, il propose au Gouvernement d’ajouter à la dernière loi sur l’instruction publique que les instituteurs des écoles primaires seront tenus de se procurer des livres élémentaires sur l’agriculture et sur la manière d’élever et d’entretenir les animaux qui y sont consacrés; de les expliquer aux enfants et ainsi de donner une éducation vraiment utile aux habitants des campagnes et dont le résultat serait inévitablement avantageux à l’agriculture et aux races d’animaux qui lui sont utiles.

Le Conseil présentait d’énergiques réclamations « contre les charlatans qui exercent l’art de guérir sans nulle espèce d’autorisation ». En attendant un règlement général, il proposait au Gouvernement d’ordonner : « 1°) que nul ne pourra exercer la profession d’officier de santé, dans nulle espèce de genre, s’il n’est muni d’un diplôme du préfet du département ; 2°) que ce diplôme ne soit accordé que sur l’avis d’un jury composé d’un nombre convenable de gens de l’art connus par leurs talents et leur moralité et sur l’attestation formelle de ce jury que le récipiendaire est en état d’exercer l’art pour lequel il aura été examiné ».

Il déclarait que « l’ignorance présomptueuse des sages femmes dans le département de la Drôme est une vraie calamité publique », et sollicitait l’établissement d’un cours gratuit d’accouchement. Il votait une somme de 1000 francs pour la bibliothèque publique de Valence, 600 francs pour les appointements du bibliothécaire et 400 pour l’entretien de la bibliothèque, regrettant que cette somme, déjà votée pour l’an X, n’eût pas été allouée par le Ministre. Une somme de 1200 francs était accordée à la Société d’agriculture « pour subvenir tant aux besoins pécuniaires de la société qu’à la dépense des prix qu’elle sera dans le cas de décerner ».

Le rapport se poursuit par des considérations sur la population du département.

Elle était, en 1790, d’après les états formés à cette époque par les diverses municipalités de 257386 individus elle était en l’an VIII de 235357 (78), et par les états fournis en l’an X, elle s’élève à 235457.

Le Conseil observe, comme il avait déjà fait dans son précédent procès-verbal, que la plupart des communes ont notoirement exagéré leur état de population lors du premier dénombrement, pour donner une plus grande importance à leurs localités et pour envoyer un plus grand nombre d’électeurs aux assemblées électorales.

Cependant, il n’est pas douteux que la population du département n’ait éprouvé une diminution depuis 1789, jusqu’en l’an VIII; cette diminution a été principalement occasionnée par la levée des nombreux bataillons qui ont été appelés à la défense de la patrie.

L’augmentation survenue depuis l’an VIII, est un effet sensible du retour de l’ordre et de la protection des lois salutaires qui ont permis à beaucoup d’absents de rentrer dans leurs foyers. On pense qu’elle vient aussi des mariages précoces contractés par les jeunes gens pour se soustraire à la conscription mais si cette dernière cause a réparé en quelque sorte la population, elle tendra visiblement à déprécier l’espèce.

Le Conseil voyait avec regret que les maires se trouvaient dans l’impossibilité d’organiser une bonne administration à cause de l’insuffisance des centimes additionnels destinés aux dépenses communales. Il estimait que plusieurs villages voisins devraient se réunir pour nommer un seul secrétaire chargé de se rendre tour à tour auprès de chaque maire.

Estimant le territoire du département divisé « d’une manière inégale et nuisible au service public ». le Conseil général renouvelait son vœu « pour que le Gouvernement réduise le département à trois arrondissements communaux qui paraissent suffisants à un département aussi pauvre que celui de la Drôme ». Il émettait ensuite un vœu pour l’augmentation du traitement du Préfet. Le Conseil général quoique n’ayant reçu aucune réclamation à cet égard, croit qu’il est de son devoir d’exprimer le vœu de voir augmenter le traitement du Préfet de son département, convaincu que 8000 francs ne sauraient suffire aux dépenses nécessaires auxquelles il est forcé de se livrer. Il vote pour que le Gouvernement porte le traitement du Préfet de la Drôme à 12000 francs.

« Effrayé des suites désastreuses que peut entraîner la mauvaise tenue des registres de l’état civil et la rédaction défectueuse et insuffisante des actes les plus importants de la société », le conseil réitérait le vœu déjà émis dans ses deux précédentes sessions, « pour que cette rédaction, livrée dans la plupart des communes à l’ignorance et à l’insouciance, soit dorénavant confiée aux notaires, sous la surveillance des employés de l’enregistrement ».

Il persistait dans le vœu émis dans la session de l’an VIII pour que le traitement des juges des tribunaux civils fût supporté par les plaideurs. Il priait le Gouvernement « de vouloir bien fixer par un tarif les rétributions des avoués et des huissiers ; il s’élève de toutes parts une clameur universelle contre l’avidité scandaleuse avec laquelle nombre d’entre eux se taxent arbitrairement ».

Le procès verbal présente ensuite un vœu pour l’organisation des archives départementales.

D’après les observations du Préfet (79), le Conseil s’est convaincu que le local où sont actuellement déposés les papiers des ci-devant administrations du département et des districts, appelés improprement les archives, est non seulement insuffisant, mais encore humide et malsain. Cependant la conservation de ces papiers intéresse la généralité du département et il est de la plus grande urgence de les placer dans un local assez vaste pour faciliter les recherches qu’on est souvent dans le cas d’y faire. En conséquence, le Conseil s’est occupé de la recherche d’un local convenable, mais il n’en a trouvé d’autre que l’emplacement occupé actuellement par la municipalité de Valence dans l’enclos de la maison de préfecture et immédiatement au-dessous de ses bureaux et comme la municipalité peut aisément se transférer dans l’ancienne maison commune, qui présente toutes les commodités convenables, le Conseil prie le Gouvernement de mettre à la disposition du Préfet l’emplacement national qui est dans ce moment occupé par la municipalité de Valence, pour y établir les archives du département.

Le Conseil donnait son avis sur diverses affaires logement de l’évêque, ameublement de la préfecture, contestation de territoire entre Romans et Peyrins, répartition du contingent des conscrits, et achevait son procès verbal, le 11 prairial (31 mai), en rendant hommage au zèle du Préfet.

Le Conseil ne terminera pas ses séances sans offrir au citoyen Descorches, préfet du département, un témoignage public et bien mérité de son estime et de sa reconnaissance.

Les soins éclairés et la paternelle sollicitude qui distinguent éminemment l’administration du citoyen Descorches et qui ont déjà produit les plus heureux résultats, sont un sûr garant du zèle avec lequel il voudra bien continuer de seconder les intentions bienfaisantes du Gouvernement, pour la prospérité du département de la Drôme et pour le bonheur de ses administrés.

Quelques jours après la clôture de la session du Conseil général, le 23 prairial an X (12 juin 1802), le préfet écrivait au Ministre de l’Intérieur.

Citoyen Ministre,

La fête du 14 juillet approche et déjà je prévois avec souci le retour de l’embarras que j’ai éprouvé l’année dernière pour cette sorte de célébration. Assurément, je sens autant que personne tout ce que ces commémorations ont d’intéressant et particulièrement celle qui me donne lieu de vous en entretenir, et même tout ce qu’elles pourraient avoir d’utile, mais plus ces jours sont mémorables, plus les sentiments attachés aux souvenirs qu’ils rappellent méritent d’être nourris et plus sans doute ils doivent être solennels, augustes et propres à produire des impressions analogues à leur objet. Voilà où commence mon embarras, car que faire et comment faire avec une mairie qui n’a pas le sol, sans aucuns fonds départementaux pour cette destination, vous rejetâtes de mon compte l’année dernière des frais de cette nature, et sans moyens particuliers de la part du préfet de suppléer à cette insuffisance? Le ridicule est là qui attend, il ne faut pas se le dissimuler, ces processions assez insignifiantes et devenues fastidieuses pour tout le monde, aboutissant à quelques phrases rebattues d’un discours tant bon que mauvais, au moins presque nécessairement médiocre, qui va se perdre dans l’air de la place publique. Or, le ridicule est bien certainement tout le contraire du but à atteindre. Que faire donc encore une fois et comment faire? Je voudrais pourtant, en cela comme en tout, remplir exactement les intentions du gouvernement. Ayez, Citoyen Ministre, je vous en conjure, la bonté de me les faire connaître ou de répandre la lumière de vos bons conseils sur les ténèbres de mes idées que je creuse en vain sans pouvoir en rien tirer qui me satisfasse.

Sans attendre la réponse du Ministre, Descorches se décida à prendre, le 1er messidor (20 juin), un arrêté fort intéressant par les sentiments qu’il y manifeste.

Le Préfet du département de la Drôme,

Vu la loi du 3 nivôse an VIII, qui a consacré la commémoration du 14 juillet par la célébration d’une fête nationale (80).

Considérant que la source des bienfaits de la liberté est dans la pratique des vertus sociales et privées; qu’ainsi autant la liberté civile et politique doit paraître chère et précieuse à conserver à tout homme qui n’est pas totalement aveuglé sur ses intérêts, autant ces vertus doivent se recommander à l’estime et à l’affection générales; autant par conséquent il importe de les faire jouir de toute la considération et de tout l’honneur qu’elles méritent, de les exciter, de les propager par l’aiguillon du bon exemple, en les proclamant

Considérant que ces vérités, senties par tous les peuples libres, les ont toujours rendus infiniment soigneux d’environner les actes de vertu de témoignages éclatants des sentiments qu’ils leur inspiraient;

Considérant enfin qu’il n’est certainement point de manière de célébrer une fête nationale plus conforme à l’esprit et au vœu de la loi, dans la consécration dont il s’agit .Arrête :

Article premier

Les conseils municipaux de chaque commune seront, à la réception du présent, convoqués extraordinairement par le maire, pour reconnaître quel est le Citoyen de la commune, la Femme ou la Fille que ses mœurs, sa conduite publique et privée, ou quelque acte marquant de vertu rendent le plus recommandable à l’estime et à l’affection publiques. Ses noms, prénoms et profession, ainsi que les motifs qui auront déterminé cette délibération, seront indiqués dans le procès-verbal qui en sera consigné sur les registres de la mairie, dont une expédition nous sera immédiatement adressée, et une autre remise au maire.

II

Le matin du 25 messidor, anniversaire du 14 juillet, le Maire ou son Adjoint, assisté d’une députation de deux membres du conseil municipal, précédé d’un détachement de la garde nationale, commandé à cet effet, publiera et proclamera cette délibération dans la commune.

III

II se rendra ensuite avec le même cortège chez celui ou celle qui aura eté jugé digne de cet honneur, et lui remettra un bouquet avec l’expédition ci-dessus dite de la délibération du conseil municipal, en témoignage de l’estime et de l’affection publiques.

IV

Dans les communes dont les moyens et les localités comporteront des réjouissances publiques, l’Honoré ou l’Honorée sera invité à y prendre part et y occupera une place distinguée dans les autres, chacun se livrera à sa joie, ainsi qu’il lui conviendra mieux, et sentira sans doute qu’il n’en est point de plus douce que celle qu’on goûte au sein de sa famille.

V

II sera fait un extrait des délibérations qui nous auront été envoyées, aussitôt qu’elles nous seront parvenues, pour être imprimé, publié et affiché dans toutes les communes du département.

Fait en Préfecture, à Valence, le messidor an X de la République.

Le Préfet,

Marie DESCORCHES.

Par le Préfet,

Le secrétaire général

VALLENET.

Le 5 messidor, le préfet envoyait cet arrêté au Ministre de l’Intérieur avec la lettre suivante

Citoyen Ministre,

Je vous ai peint dans ma lettre du 23 prairial mon embarras relativement à la célébration du 14 juillet. Son approche m’a fait sentir la nécessité d’en sortir enfin d’une manière quelconque. J’ai l’honneur de vous soumettre dans l’arrêté ci-joint ce que j’ai cru devoir faire et pouvoir faire de mieux dans l’absence générale de moyens, dont je vous ai mis le tableau sous les yeux. Si cette idée, Citoyen Ministre, dictée par les motifs que je vous ai exposés, mérite votre approbation, elle me paraîtra bonne.

Quelques jours plus tard, le Premier Consul rédigeait une proclamation.

Français,

Le 14 juillet commença, en 1789, les nouvelles destinées de la France après treize ans de travaux, le 14 juillet revient plus cher pour vous, plus auguste pour la postérité. Vous avez vaincu tous les obstacles, et vos destinées sont accomplies. Au-dedans, plus de tête qui ne fléchisse sous l’empire de l’égalité: au dehors, plus d’ennemi qui menace votre sûreté et votre indépendance plus de colonie française qui ne soit soumise aux lois, sans lesquelles il ne peut exister de colonies. Du sein de nos ports, le commerce appelle toute votre industrie et vous offre les richesses de l’univers dans l’intérieur, le génie de la République féconde tous les germes de prospérité.

Français, que cette époque soit pour nous et pour nos enfants l’époque d’un bonheur durable; que cette paix s’embellisse par l’union des vertus, des lumières et des arts; que des institutions assorties à notre caractère environnent nos lois d’une impénétrable enceinte qu’une jeunesse avide d’instruction aille dans nos lycées apprendre à connaître ses devoirs et ses droits que l’histoire de nos malheurs la garantisse des erreurs passées, et qu’elle conserve, au sein de la sagesse et de la concorde, cet édifice de grandeur qu’a élevé le courage des citoyens.

Tels sont les vœux et l’espoir du Gouvernement français secondez ses efforts, et la félicité de la France sera immortelle comme sa gloire.

Signé BONAPARTE.

Par le premier Consul,

Le Ministre de l’Intérieur CHAPTAL.

Le préfet de la Drôme s’empressa de faire imprimer cette proclamation, avec un arrêté du 21 messidor (82) et de l’envoyer aux sous-préfets et aux maires. Le 26 messidor, il rendit compte au ministre de l’intérieur de la célébration de la fête :

J’ai publié hier, avec solennité, conformément à vos ordres contenus dans votre lettre du 16, la proclamation du Premier Consul. Les conseillers de préfecture, le secrétaire général, les mairies de Valence et du Bourg, le commandant militaire dans le département et tous les officiers de la garnison, avec les détachements de troupes d’usage dans ces cérémonies, m’ont accompagné pour cette publication que j’ai faite dans quatre quartiers de cette ville.

La proclamation m’a paru être généralement entendue avec intérêt et accueillie par les sentiments de confiance et de reconnaissance qui s’attachent naturellement à tout ce qui vient du Premier Consul. Si son cœur aime à s’épancher dans le sein du peuple, tout ce que j’avais sous les yeux et tout ce que je connais de ce département m’autorise à lui garantir qu’il peut compter que ce sont aussi les cœurs du peuple qui lui répondent.

A la réception de cette proclamation, je l’ai aussitôt fait réimprimer pour l’envoyer à chaque sous-préfet et à chaque maire, leur prescrivant dans l’arrêté d’exécution que j’y ai joint de la publier également avec solennité chacun dans leur localité, le 14 juillet, là où on les recevrait à temps, partout ailleurs le dimanche suivant.

La fête d’hier s’est passée d’ailleurs dans cette commune avec calme et décence. Rien de commandé, rien de public. J’ai eu, Citoyen Ministre, l’honneur de vous en dire les raisons. Mais l’aspect de la ville n’en a pas moins présenté celui d’une fête, par la célébration que la généralité des habitants en a faite spontanément, tant en s’abstenant de travailler que dans des réunions de familles et autres. M y en a eu une à la préfecture de tous les chefs des diverses autorités et de chaque partie du service public dans un dîner où je les avais invités. Elle m’a vraiment fait jouir par le tableau de la plus décente cordialité dont elle a été assaisonnée.

Vous ne trouverez peut-être pas superflu, Citoyen Ministre, que je vous donne la mesure des sentiments qui y ont régné en vous citant un toast que j’ai porté et qui a obtenu tellement l’assentiment général que la répétition en a été demandée « à ce que la philosophie, amie des sentiments religieux parce que des lois des hommes, que leur effet doit toujours être de rendre bons, nous préserve de leurs égarements qui les ont si souvent rendus méchants ». Je me réserve de vous rendre-compte des résultats de mon arrêté du ) » messidor que j’ai eu l’honneur de vous adresser avec ma lettre du 5 de ce mois, lorsque j’aurai recueilli toutes les délibérations des conseils municipaux. 11 m’en manquera beaucoup, parce que dans cette saison de travaux pressants pour la moisson, ces conseils n’ont pu être assemblés en nombre suffisant pour délibérer; mais l’opinion me paraît se prononcer en faveur de cette idée de la manière la plus satisfaisante et la plus propre à lui faire produire les bons effets dont.je le crois susceptible.

Le 16 thermidor, le ministre de l’Intérieur répondit au préfet

J’ai reçu, citoyen Préfet, la lettre par laquelle vous m’annoncez que la proclamation des Consuls, à l’occasion de l’anniversaire du 14 juillet, a été accueillie par les habitants de votre département avec autant de reconnaissance que d’intérêt et la fête célébrée avec calme et décence. Le toast que vous avez porté dans le repas fraternel où vous avez réuni les chefs des autorités diverses, est conçu dans le meilleur esprit. Mettez tous vos soins à faire aimer ces principes.

Je vous salue.

CHAPTAL.

Le 18 floréal an X (8 mai 1802), le Sénat conservateur, désireux de donner au premier Consul un témoignage de la reconnaissance publique,  » considérant que le magistrat suprême qui, après avoir conduit tant de fois les légions républicaines à la victoire, délivré l’Italie, triomphé en Europe, en Afrique, en Asie, et rempli le Monde de sa renommée, a préservé la France des horreurs de l’anarchie qui la menaçaient, brisé la faux révolutionnaire, dissipé les factions, éteint les discordes civiles et les troubles religieux, ajouté aux bienfaits de la liberté ceux de l’ordre et de la sécurité, hâté le progrès des lumières, consolé l’humanité, et pacifié le continent et les mers, a les plus grands droits à la reconnaissance de ses concitoyens ainsi qu’à l’admiration de la prospérité « , décréta le citoyen Napoléon Bonaparte, premier consul de la République française, réélu « pour les dix années qui suivent immédiatement les dix ans pour lesquels il a été nommé par l’article 39 de la Constitution « .

Le premier Consul fit à ce sénatus-consulte une réponse fort habile tout en remerciant, il demandait davantage.

 » Sénateurs,

La preuve honorable d’estime consignée dans votre délibération du 18 sera toujours gravée dans mon cœur. Le suffrage du peuple m’a investi de la suprême magistrature. Je ne me croirais pas assuré de sa confiance, si l’acte qui m’y retiendrait n’était encore sanctionne par son suffrage. Dans les trois ans qui viennent de s’écouler, la fortune a souri à la République; mais la fortune est inconstante et combien d’hommes qu’elle avait comblés de ses faveurs, ont vécu trop de quelques années.

L’intérêt de ma gloire et celui de mon bonheur sembleraient avoir marqué le terme de ma vie publique, au moment où la paix du monde est proclamée.

Mais la gloire et le bonheur du citoyen doivent se taire quand l’intérêt de l’Etat et la bienveillance publique l’appellent.

Vous jugez que je dois au peuple un nouveau sacrifice; je le ferai, si le vœu du peuple me commande ce que votre suffrage autorise.  » 

Le lendemain, 20 floréal, les consuls de la République « considérant que la résolution du premier Consul est un hommage éclatant rendu à la souveraineté du peuple, que le peuple, consulté sur ses plus chers intérêts, ne doit connaître d’autres limites que ses intérêts mêmes arrêtèrent.

Art Ier. – Le peuple français sera, consulté sur cette question Napoléon Bonaparte sera-t-il consul à vie?

II. – Il sera ouvert dans chaque commune des registres, où les citoyens seront invités à consigner leur vœu sur cette question.

III – Ces registres seront ouverts au secrétariat de toutes les administrations, aux greffes de tous les tribunaux, chez tous les maires et tous les notaires.

IV. – Le délai pour voter dans chaque département sera de trois semaines, à compter du jour où cet arrêté sera parvenu à la préfecture, et de sept jours, à compter de celui où l’expédition sera parvenue à chaque commune  » .

Le 21 floréal, Chaptal, ministre de l’Intérieur, transmettait cet arrêté aux préfets.

 » Vous verrez par l’arrêté que je vous transmets, Citoyen Préfet, que le peuple est appelé à voter sur le plus grand de ses intérêts il s’agit de consolider le bonheur dont il commence à jouir. « 

Le Gouvernement qu’il s’est donné au 18 brumaire, a étouffé l’anarchie, conquis la paix, rétabli le culte, commandé l’admiration de l’Europe et mérité l’amour des Français. Ce que le Gouvernement a déjà fait, ce qu’il se propose de faire encore, le peuple doit le consacrer par un acte solennel de sa souveraineté.

Le peuple sent, le peuple éprouve que ses destinées sont liées à celles du chef qui le gouverne. Bonaparte est devenu sa providence sans lui renaîtraient les haines, les factions, le désordre; avec lui s’affermiront les institutions sages, le crédit public, l’amour et le respect des nations.

Je laisse ces pensées à vos réflexions.

S’il n’est qu’un sentiment pour le héros qui gouverne, il ne peut y avoir qu’un vœu.

Le courrier extraordinaire, porteur de la lettre et de l’arrêté, passa à Valence le 25 floréal au soir. Le 26 au matin, le préfet prenait un arrêté pour les faire réimprimer et prescrivait des mesures d’exécution, dont il rendait immédiatement compte au ministre de l’Intérieur.

Quelques jours plus tard, le 3 prairial (23 mai), il écrivait à celui de la Police générale.

 » J’ai recommandé expressément aux sous-préfets et aux maires d’inviter tous les citoyens ayant droit de voter à n’en pas négliger l’exercice dans une occasion aussi intéressante et où le peuple était appelé, par un hommage bien éclatant à sa souveraineté, à en faire un acte aussi d’accord avec ses intérêts qu’avec ses sentiments.

D’après ce qui m’est revenu depuis de tous les points, la voix publique s’est généralement prononcée en sa faveur et, s’il en est qui pensent différemment, ils gardent le silence. La tranquillité continue d’être parfaite. On ne peut démêler dans ce que la sensation produite sur les esprits laisse apercevoir, que de la satisfaction. J’espère que les registres de vote en fourniront la preuve. S’ils restaient un peu maigres, il n’y aurait pourtant pas à s’étonner, encore moins à en tirer aucune conséquence sérieuse, même défavorable à qui que ce soit, si ce n’est que parmi les Drômois, fort bons d’ailleurs pour leurs champs et leurs métiers, ce qui leur donne des titres respectables à [‘indulgence, l’apathie pour tout ce qui sort de ce petit cercle de leurs intérêts personnels et de leurs occupations est extrême. C’est l’effet de plusieurs causes absolument étrangères aux opinions politiques, qu’il n’y a que le temps et des soins bien diriges qui puissent détruire.  » 

Le 18 prairial (7 juin), le préfet adressait au ministre de l’Intérieur les premiers résultats du vote. Les votes individuels constatés par ces registres, non compris ceux des six tribunaux, criminel, de commerce, de première instance et des 28 juges de paix, ainsi que ceux des maires et notaires en retard qui pourront survenir et dont je ferai un envoi supplétif se montent pour le 1er arrondissement à 8.377, pour le 2e à 10321, pour le 3e à 3745, pour le 4e à 5.390, en tout 27.833 votes tous affirmatifs et un seul négatif.

Cet unique vote négatif avait été émis par le citoyen François Bernard; de Mirabel, canton de Crest Nord. Le 30 prairial (19 juin), le préfet faisait un second envoi de registres.

 »  Le premier envoi que j’ai eu l’honneur de vous faire présentait 27.833 votes Ce supplément est pour le ter arrondissement de 572, pour le 2e de 68, pour le 3e de 832, pour le 4e de 197, en tout 1669.

Total des votes transmis au Gouvernement par la préfecture, 29502.

Quelques registres de maires et de notaires. que j’ai dû leur renvoyer comme informes et inadmissibles et qui ne sont pas encore revenus, contenaient 102 votes.

Suivant les relevés qui m’ont été communiqués des votes inscrits sur les registres ouverts aux greffes des tribunaux criminel, de première instance, de commerce et des justices de paix, ces votes se sont élevés à 1.725, non compris ceux du registre d’une justice de paix dont le nombre m’est resté inconnu, ci 1725.

Ainsi le nombre des votants que présente le département de la Drôme peut être compté au moins de 31329.

Les registres que je vous transmets aujourd’hui ne renferment aucun vote négatif. J’en avais vu un seul dans ceux de mon envoi précédent. Je dois cependant vous faire part d’une observation sur un des registres de ce premier envoi, celui de la commune de Montjoux, 4e arrondissement, où deux signatures se trouvent dans la colonne non, perdues dans l’immense majorité des oui. Elles avaient échappé au travail de recensement général. Le sous-préfet qui les avait remarquées me dit qu’il n’a pas fixé son opinion sur l’intention des deux signataires, d’autant plus que le citoyen Sambuc, maire actuel de Montjoux, et le citoyen Raynal sont des hommes sages ou passent pour tels, et qu’il aime mieux croire que l’apparence négative de ces votes est l’effet d’une inadvertance.

Mais en les supposant ce qu’ils paraissent être, le nombre des votes indique ci-dessus étant de 31329, après la soustraction imperceptible des trois négatifs, il restera 31.326 pour l’affirmative, nombre qui excède les 3/5 des citoyens ayant droit de voter dans ce département. La confiance que le gouvernement ne cesse de commander par ses actes et ses intentions, l’affection qu’inspire son chef, le plaisir de satisfaire les sentiments qu’on éprouve tout en faisant une chose utile, pouvaient seuls dans un département comme celui-ci, où l’attention de la presque universalité des habitants est uniquement consacrée à des intérêts particuliers, l’emporter sur leur indifférence naturelle et en faire concourir une masse aussi considérable à l’exécution d’une mesure qui demandait de la célérité.  » 

Enfin, le 8 thermidor (27 juillet), le préfet faisait au ministre de l’Intérieur un nouvel envoi de registres le nombre des votes se trouva ainsi porté à 31809, dont 3 négatifs,  » non compris les votes de quelques communes qui les ont émis par acclamation et sans la désignation individuelle des votants  » . Toutes les communes des arrondissements de Die et de Montélimar avaient envoyé leurs registres, trois étaient en retard dans l’arrondissement de Valence et neuf dans celui de Nyons.

Le 14 thermidor (2 août), le Sénat conservateur vu le procès-verbal fait par la commission spéciale, et qui constate que 3 577 259 citoyens ont donné leurs suffrages et que 3 568 885 citoyens ont voté pour que Napoléon Bonaparte soit nommé premier Consul à vie  » , décréta :

 »  Art. Ier. Le Peuple français nomme et le Sénat proclame Napoléon Bonaparte premier Consul à vie.

2. Une statue de la Paix, tenant d’une main le laurier de la victoire. et de l’autre le décret du Sénat, attestera à la postérité la reconnaissance de la nation  » . Le ministre de l’intérieur transmit ce sénatus-consulte au préfet le 16 thermidor.

Vous le ferez publier solennellement dans toute l’étendue de votre département, le 15 août (27 thermidor).  » 

Ce jour sera désormais consacré par de bien grands souvenirs. Il rappellera à nos derniers neveux l’époque mémorable du bonheur public, de la paix des consciences, et du plus grand acte de souveraineté qu’ait jamais exercé une nation.

Le 15 août est à la fois l’anniversaire de la naissance du premier Consul, le jour de la signature du Concordat, et l’époque où le peuple français, voulant assurer et perpétuer son bonheur, en lie la durée à celle de la glorieuse carrière de Napoléon Bonaparte.

Que de doux souvenirs pour exciter l’enthousiasme du peuple français! Quel concours puissant d’événements et de circonstances pour réveiller dans tous les cœurs les sentiments généreux qui caractérisent la nation .

Des actes de bienfaisance doivent célébrer cette grande journée, et je vous invite, citoyen Préfet, à la consacrer tout entière au bonheur, en unissant par le mariage des individus recommandables par leurs vertus.

Sénatus-consulte et lettre parvinrent, le 23 thermidor. au préfet de la Drôme qui prit immédiatement un arrêté prescrivant de les réimprimer et d’en faire la publication solennelle le 15 août (27 thermidor) ou le dimanche suivant dans les communes éloignées. La célébration des mariages fut remise au 1°’ vendémiaire. La proclamation du sénatus-consulte se fit dans un petit nombre de communes le 27 thermidor et, dans toutes les autres, le dimanche suivant Elle eut lieu  »  avec tout l’éclat que les localités ont comporté et au milieu des témoignages de satisfaction publique  » . Le sous-préfet de Montélimar signalait la belle tenue de la 28° légère et la conduite d’un bataillon de la 69e de ligne, qui, à peine arrivé à Montélimar, avait demandé, par l’organe de son chef, de figurer à la fête.

Le 8 fructidor (26 août), le préfet prit un arrêté au sujet de la fête du 1er vendémiaire.

 » Le Préfet du département de la Drôme;

Considérant que le 1er vendemiaire approche; que cette fête est chère à tous les Français qu’elle leur rappelle de doux souvenirs qu’il n’est aucun citoyen qui ne sente le besoin de manifester sa joie, d’une manière éclatante, à cette époque glorieuse qui commence l’ère de la République française qu’il n’est aucun maire qui ne s’empresse de faire célébrer ce jour dans sa commune, avec cette dignité si convenable aux amis sincères de notre révolution politique et du Gouvernement.

Considérant que pour donner à cette journée un plus grand caractère de fête publique, et développer dans tous les cœurs de douces sensations, il importe de le lier à de nouveaux et bien chers intérêts, (la proclamation de Napoléon Bonaparte, premier Consul à vie)

Considérant que le ministre de l’Intérieur, en faisant envoi du Sénatus-Consulte, qui constate les suffrages des Français pour cette nomination si importante au bonheur de tous, a invité à consacrer cette glorieuse époque, en unissant par le mariage des citoyens recommandables par leurs vertus;

Considérant que c’est la vertu qui consolide les états que sans elle, il n’en est aucun qui ne marche à grands pas vers sa décadence que c’est en l’honorant dans le choix de personnes vertueuses, qu’on apprend aux citoyens à la chérir, et à aimer un Gouvernement qui la recherche;

Considérant que les mariages recommandés par le Ministre n’ayant pu avoir lieu, faute de temps suffisant, le jour de la publication du Senatus-Consulte proclamant le Premier Consul à vie (notre arrêté du 23 thermidor dernier en a remis la célébration a la fête du 1er vendémiaire)

ARRÊTE :

ARTICLE PREMIER

Le 1er vendémiaire an XI sera fête aux chefs-lieux de la préfecture, des sous-préfectures, et dans toutes les autres communes du département, avec autant de pompe que le permettront les localités.

ART. II

Le maire de Valence fera le programme des cérémonies qui auront lieu dans cette commune, et le soumettra à notre approbation. Les maires des chefs-lieux de sous-préfecture se concerteront à cet effet avec les sous-préfets.

ART. III

Les autres Maires, chacun dans leur commune respective détermineront les cérémonies qui auront lieu, en y fixant une place honorable pour les citoyens qui seront unis en mariage, dont il va être parlé.

ART. !V

Les Maires des grandes communes, en général, ceux des chefs-lieux de sous-préfecture en particulier, sont invités à rechercher les citoyens recommandables par leurs vertus, pour les unir en mariage; ils sont autorisés à prélever sur leurs fonds communaux les moyens de les doter convenablement.

ART. V

A défaut de fonds communaux, ils ouvriront une souscription. pour faire un appel de fonds à tous les citoyens à qui le mot de vertu n’est pas étranger, et faire une dot aux mariés, à l’effet de préparer leur bonheur futur.

ART. VI

Le présent sera envoyé aux Sous-Préfets et aux Maires du département: il sera lu, publié, à plusieurs reprises, et affiché ensuite aux lieux accoutumés.

Fait en préfecture, à Valence, le 8 fructidor an X. Le Préfet,

Marie Descorches.

Par le Préfet.

Le secrétaire général,

VALLENET.  » 

Le 2 vendémiaire an XI (24 septembre 1802), le préfet rendait compte au ministre de l’Intérieur de la célébration de la fête à Valence :

 » Il n’y a point eu de mariages malgré tout le désir que j’en avais. J’en attribue la principale cause à la misère et à l’abattement qui sont la suite des désastres de la malheureuse année qui vient de s’écouler et aux mauvaises récoltes que toutes les intempéries réunies ont occasionnées. Le défaut de moyens de la mairie, toujours en-dessous de ses besoins et fort obérée, ne lui a pas permis non plus des efforts pour cet objet qui fussent encourageants. Une souscription qu’elle avait ouverte n’a rien rendu. Il faut aussi, sans doute, que les actes de bienfaisance de cette nature puissent être en même temps une sorte de prime en faveur des bonnes mœurs. J’avais recommandé au maire beaucoup d’attention et même de la sévérité dans le choix des sujets et, suivant le rapport qu’il m’a fait, il ne s’est présenté qu’un garçon demandant à être marié avec une fille de Tain, sur laquelle on n’a pu recueillir des renseignements suffisamment satisfaisants.

La célébration de la fête a été réduite ainsi à des salves d’artillerie qui, la veille et dans le jour, en ont annoncé la solennité, à un bal, assaisonné de quelques barriques de vin, que la mairie a fait donner au peuple dans la promenade publique, depuis deux heures après-midi jusqu’à 8 heures du soir; à un feu d’artifice dont le 2e régiment d’artillerie légère en garnison dans la ville lui a fait la galanterie; il a été beau, bien exécuté et terminé par un bouquet qui a laissé apercevoir dans un transport cette expression du sentiment général : Vive Bonaparte : à un bal à la maison commune donné par les militaires et les jeunes gens réunis et dans l’illumination de la ville pendant la nuit, sur l’invitation du maire à laquelle la grande majorité des citoyens a répondu de manière à prouver la part que leurs cœurs prenaient à la fête, qui s’est passée d’ailleurs avec autant d’ordre et de décence que de gaieté.

Il y a pourtant eu un accident celui de l’incendie d’une pyramide en bois élevée au milieu de la promenade, appelée le Champ de Mars, à la mémoire de plusieurs braves de ce département morts à la défense de la patrie. Elle avait été illuminée, apparemment avec trop peu de précaution. Le bois a pris feu pendant que tout le monde était occupé du feu d’artifice qui se tirait dans un autre emplacement et assez loin de là. Il n’y avait plus de remède possible lorsqu’on s’en est aperçu. Cette pyramide est totalement consumée. Elle mérite des regrets par des souvenirs chers aux amis de la République qu’elle consacrait. Je vais engager le maire à les consigner dans ses registres par un arrêté, jusqu’à ce qu’on puisse rétablir ce monument.  » 

VIII – La question religieuse

 » Le Directoire avait espéré d’arriver peu à peu à détruire en France la religion catholique, qu’il jugeait incompatible avec les principes républicains  » .

Le décret de la Convention du 7 vendémiaire an IV (29 septembre 1795) avait prescrit que nul ne pourrait exercer le ministère d’aucun culte s’il ne faisait préalablement une déclaration ainsi conçue  » Je reconnais que l’universalité des citoyens français est le souverain, et je promets soumission et obéissance aux lois de la République.  » . Celui qui rétracterait ou modifierait cette déclaration serait banni à perpétuité du territoire de la République.

La loi du 22 germinal an IV (11 avril 1796) interdisait l’usage des cloches et toute autre espèce de convocation publique pour l’exercice d’un culte. Une loi du 7 fructidor an V (24 août 1797) avait rapporté celles relatives à la déportation ou à la réclusion des prêtres insermentés. Mais. douze jours plus tard, le 19 fructidor (5 septembre), cette loi était abrogée par celle contenant des mesures de salut public prises relativement à la conspiration royale. Le Directoire exécutif était investi du pouvoir de déporter, par des arrêtés individuels motivés, les prêtres qui troubleraient dans l’intérieur la tranquillité publique.  » La loi du 7 vendémiaire sur la police des cultes continuera d’être exécutée à l’égard des ecclésiastiques autorisés à demeurer dans le territoire de la République, sauf qu’au lieu de la déclaration prescrite par l’article 6 de la dite loi, ils seront tenus de prêter le serment de haine à la royauté et à l’anarchie, d’attachement et de fidélité à la République et à la Constitution de l’an 3. « 

Toutes ces dispositions législatives avaient été appliquées dans le département de la Drôme, aggravées parfois par les arrêtés de l’administration centrale. C’est ainsi que le 3 vendémiaire an V (23 septembre 1796), elle avait prescrit d’enlever les cordes des cloches et  » d’abattre tous signes particuliers d’un culte, qui se trouveraient placés autour des maisons servant de ci-devant églises, sur les places publiques et chemins.  » 

Sur plusieurs points du département, ces mesures rencontrèrent une vive résistance. Le 17 messidor an V (5 juillet 1797), le commissaire du Directoire exécutif près le canton de Montrigaud écrivait aux administrateurs du département qu’il avait invité plusieurs fois les agents nationaux de chaque commune de ce canton, à faire abattre les signes extérieurs du culte.  »  Ils ne se sont jamais donné aucun mouvement pour les faire détruire. Le son des cloches et les signes extérieurs qui ont toujours existé dans les cantons voisins, ont porté les habitants du mien à les imiter malgré toutes les défenses et les démarches que j’ai faites, ils n’ont pu s’empêcher de les rétablir  » .

Le 24 brumaire an VI (14 novembre 1797), le Ministre de la Police générale écrivait au commissaire du pouvoir exécutif près l’administration centrale du département de la Drôme.

On m’informe, Citoyen, que la loi du 19 fructidor dernier est méconnue et méprisée dans plusieurs cantons de votre département, que les prêtres insultent presque partout à cette loi qu’ils continuent d’exercer leur culte sans prêter le serment et fanatisent impunément le peuple, auquel ils s’efforcent de persuader que le serment que cette loi exige d’eux est abominable; qu’il ordonne de nier Dieu.

Parmi ces hommes de la plus insigne mauvaise foi, il en est qui continuent à exercer leurs fonctions publiquement dans les églises, d’autres seulement dans des maisons particulières, où ils fanatisent avec plus de sécurité, à la faveur et sous la protection des agents municipaux et des commissaires.

Les lieux où ils exercent le plus ordinairement sont Montbrun et Aulan, Gresse, Vers, Izon, Eygalayes, Ballons, Lachau et Laborel, toutes communes dépendantes du canton de Montauban; et pour se soustraire aux regards des étrangers, ils font garder les avenues des édifices où ils célèbrent par quatre factionnaires, qui avertissent à l’effet de cacher les prêtres. Je vous recommande donc, Citoyen, de prendre des renseignements positifs sur les faits dont je viens de vous faire part et des mesures efficaces pour l’exécution de la loi. Vous m’en rendrez compte de suite.

Salut et fraternité. SOTIN.

Le 18 frimaire (8 décembre), l’administration centrale, « considérant qu’il est essentiel. que la horde sacerdotale ne puisse plus nuire au triomphe de la liberté.  » prenait des mesures pour l’arrestation et la déportation des prêtres. Le 19 brumaire an VII (9 novembre 1798), un autre arrêté était pris au sujet des prêtres sujets à la réclusion ils devaient être arrêtés et traduits à Valence dans la maison des ci-devant Cordeliers, destinée à les recevoir.

Les troubles provoqués par l’application des lois sur les cultes, n’étaient pas apaisés, lorsque se produisit le coup d’état du 18 brumaire.

Le gouvernement consulaire ne tarda pas à relâcher la rigueur des lois précédentes Le 8 frimaire an VIII (20 novembre 1709), un arrêté des Consuls rapporta les arrêtés du Directoire concernant les prêtres qui se trouveraient dans l’une des catégories suivantes 1° ceux qui auraient prêté tous les serments prescrits par les lois aux ministres des cultes 2° ceux qui se seraient mariés 3° ceux qui. n’ayant point exercé, ou qui, ayant cessé d’exercer, avant la loi du 7 vendémiaire an IV, le ministère de leur culte sans en avoir repris l’exercice depuis cette époque, n’étaient plus assujettis à aucun serment. Une circulaire du Ministre de la Police générale, en date du 19 frimaire (10 décembre), commentait la disposition de cet arrêté relatif aux ministres du culte, frappés de déportation en vertu de l’article 24 de la loi du 19 fructidor an V.

Un arrêté du 7 nivôse (28 décembre) déclarait que  » les citoyens des communes qui étaient en possession, au premier jour de l’an II, d’édifices originairement destinés à l’exercice d’un culte, continueront à en user librement sous la surveillance des autorités constituées et aux termes des lois des 11prairial an III et 7 vendémiaire an IV.  » Un autre arrêté du 7 nivôse et une loi du 21 du même mois (11 janvier 1800) établissaient que tous les fonctionnaires publics, notamment les ministres d’un culte quelconque, ne pourraient commencer ou continuer leurs fonctions, qu’après avoir fait cette déclaration « Je promets d’être fidèle à la Constitution  » . Par un autre arrêté en date du 2 pluviôse (22 janvier), les Consuls déclaraient que les édifices remis, par l’arrêté du 7 nivôse, à la disposition des citoyens pour l’exercice des cultes, et qui servaient antérieurement à la célébration des cérémonies décadaires, continueraient de servir à cette célébration comme à celle des cérémonies des cultes.

Le 1er ventôse (20 février), l’administration centrale du département de la Drôme, visant les arrêtés des Consuls du 7 nivôse et 2 pluviôse, arrêta que les administrations municipales de canton régleraient et indiqueraient les heures pour l’exercice du culte et les cérémonies civiles, afin de prévenir toute concurrence et prendraient les mesures nécessaires pour assurer le maintien du bon ordre dans les temps consacrés aux cultes et aux cérémonies civiles.

Les rigueurs contre les personnes s’adoucissaient le 5 frimaire (26 novembre 1799), l’administration centrale mettait en liberté seize ecclésiastiques « ci-devant prêtres ou ex-frères ignorantins « , détenus dans la maison de réclusion de Valence et les plaçait sous la surveillance des administrations municipales des communes où ils se retiraient.

Mais, en même temps, on veillait à la stricte application des lois, de celle notamment qui interdisait les sonneries des cloches. Le 17 germinal an VIII (y avril 1800), le préfet écrivait à l’administration municipale de Crest qu’il était informé que la principale cloche servait à convoquer les citoyens pour les exercices religieux et qu’on avait rétabli le battant enlevé en exécution de l’arrêté de l’administration centrale du 5 brumaire an VII. Si, contre mon attente, le fait dénoncé est vrai, je vous invite, et au besoin je vous requiers de faire de nouveau ‘procéder sur-le-champ à la descente du battant de la cloche dont s’agit et d’empêcher par tous les moyens mis entre vos mains qu’elle ne puisse dorénavant servir (comme signe extérieur) à l’usage d’aucun culte .

Le 11 prairial (31 mai), le maire de La Chapelle-en-Vercors, Revol Magnan, était rappelé à l’ordre.

 » Je suis informé, citoyen, que l’on s’est permis de faire des processions hors de l’enceinte de l’église et de porter dans la campagne des croix, bannières et autres ornements, à la suite d’un rassemblement nombreux. Vous savez que tous les signes extérieurs du culte sont défendus, et je vois avec le plus grand étonnement que vous ayez souffert cette infraction aux lois. Je vous enjoins. de vous opposer à ce que la cloche, qui ne doit être sonnée qu’en cas d’alarme ou d’incendie, serve à tout autre usage. « 

A Lens-Lestang, on signalait des rassemblements religieux propres à troubler la tranquillité publique. Le préfet écrivait au maire, le 24 prairial (13 juin), qu’il devait exiger des prêtres la promesse de fidélité à la Constitution prévue par l’arrêté du 7 nivôse.

Une circulaire de Fouché, ministre de la Police générale, en date du 28 prairial (17 juin), vint préciser les intentions du Gouvernement.

Citoyen Préfet, la multiplicité et les contradictions des lois rendues sur l’exercice des cultes, ne sont pas une des moindres causes des troubles religieux qui ont tourmenté le Gouvernement à diverses époques elles sont encore aujourd’hui la source de beaucoup d’incertitudes dans l’administration publique.

Ces incertitudes n’existeraient pas, si la loi du 21 nivôse dernier, qui exige de tous les ministres du culte, qui veulent commencer ou continuer l’exercice de leurs fonctions, une promesse de fidélité à la Constitution, avait été interprétée comme elle doit l’être.

Cette loi, en déterminant une condition nouvelle, unique et simple, à l’exercice des fonctions religieuses, doit être considérée comme une révocation expresse et positive de toutes les conditions prescrites, pour le même objet, par les lois antérieures.

Vous devez donc admettre à la déclaration de fidélité à la Constitution tous les ministres d’un culte quelconque, sans égard à leur état politique, antérieurement au 21 nivôse dernier, c’est-à-dire sans examiner si ces ministres étaient ou non, assujettis à quelqu’un des serments prescrits par les lois précédentes.

En admettant, citoyen Préfet, un plus grand nombre d’individus au libre exercice des fonctions religieuses, vous devez redoubler de vigilance et de zèle pour la stricte exécution des lois sur la police des cultes, et particulièrement pour celle du 7 vendémiaire an IV.

II est temps de mettre un terme à ces longues querelles, si vaines et pourtant si funestes, entre les ministres des cultes et les magistrats et de faire cesser des contradictions gratuites entre les consciences et la loi l’exécution bien entendue de celle du 21 nivôse doit produire ce salutaire effet. Que les temples de toutes les religions soient donc ouverts; que toutes les consciences soient libres que tous les cultes soient également respectés mais que leurs autels s’élèvent paisiblement à côté de ceux de la patrie, et que la première des vertus publiques, l’amour de l’ordre, préside à toutes les cérémonies, inspire tous les discours et dirige tous les esprits.

Depuis le 18 brumaire, nous sommes devenus un peuple de frères les factions ont disparu les haines sont éteintes. S’il reste encore, parmi nous, quelques hommes incorrigibles, qui veuillent toujours s’entretenir d’illusions et de chimères, qu’ils sachent qu’ils ne trouveront ni privilège, ni impunité, ni repos prouvez-leur que le Gouvernement veille, et qu’il sait punir comme il sait être juste .

Le calme se rétablissait avec peine dans !e département de la Drôme. Le 19 messidor (8 juillet), le sous-préfet de Montélimar écrivait au préfet.

Dans plusieurs communes, les cérémonies du culte catholique sont annoncées par le son de la cloche. Je n’ai pas jusqu’ici réprimé ces infractions aux lois actuelles, parce qu’elles n’ont pas troublé les communes dans lesquelles elles ont eu lieu. J’ai gardé le même silence sur la célébration assez publique des messes par les prêtres insoumis. Je fais semblant d’ignorer ce que je sais très bien et ma conduite dérive de la crainte d’être forcé d’appliquer un remède qui peut être pire que le mal. Je vous aurais plus tôt informé de ces dévotes sottises si elles m’avaient paru dangereuses. A son tour, le préfet écrivait au Ministre de la Police générale le 28 messidor (17 juillet).

Le sous-préfet de Montélimar m’écrit que le fanatisme renaît dans son arrondissement et que les intrigues des prêtres insermentés commencent à devenir sérieuses. Je le charge de déclarer de la manière la plus formelle, et de faire déclarer par les maires à chacun de ces prêtres individuellement, que j’ai les yeux ouverts sur eux, et que celui qui par ses actions, ses intrigues ou ses conseils cherchera à troubler l’ordre public, à exciter à )a violation des lois sur les cultes, sera arrêté et conduit aux frontières.

Je connais les principes de tolérance qui animent le gouvernement, je les suis par devoir et par inclination mais certes je ne souffrirai pas que des individus à qui l’on permet de résider paisiblement en France, y organisent le désordre et le mépris des lois.

Je vous prie de me dire si dans le cas où les prêtres continueraient de fanatiser les habitants des campagnes, je peux mettre à exécution la mesure de rigueur dont je les fais menacer.

L’administration qui m’a précédé a été obligée de laisser les cloches dans les communes exposées aux incursions des brigands, parce qu’elles servent à rassembler les habitants du canton, si l’une d’elles est attaquée.

Le sous-préfet de Montélimar m’écrit que les cérémonies du culte catholique sont annoncées dans plusieurs communes par le son de la cloche, et que des prêtres insoumis célèbrent la messe assez publiquement.

Je lui recommande de faire exécuter les lois sur la police des cultes et particulièrement celle du 7 vendémiaire an IV.

Le 1er thermidor (20 juillet), le sous-préfet de Montélimar faisait imprimer une circulaire aux maires de son arrondissement. Il leur rappelait la promesse de fidélité à la Constitution, exigée par la loi du 21 nivôse de tous les ministres des cultes.

Cette déclaration remplace la formule insérée au paragraphe 6, titre 3 de la loi du 7 vendémiaire an sur l’exercice et la police extérieure des cultes, qui ordonne que celui qui exerce le ministère d’un culte sans avoir fait cette promesse, encourt la peine d’une amende de 500 francs et un emprisonnement. En cas de récidive, il est condamné à dix ans de gêne par la même loi.

Les cérémonies de tous cultes sont interdites hors l’enceinte de l’édifice choisi pour leur exercice, en exceptant celles qui ont lieu dans des maisons particulières, pourvu qu’outre les individus qui ont le même domicile, il n’y ait pas un rassemblement excédant dix personnes.

Je vous prie d’examiner les dispositions de cette loi ainsi que celle du 22 germinal an IV, qui défend de sonner les cloches pour inviter les citoyens à l’exercice d’un culte, et de les faire exécuter.

Le sous-préfet chargeait les maires de déclarer aux prêtres que ceux qui seraient convaincus d’avoir troublé la tranquillité publique, seraient arrêtés et conduits par la force armée aux frontières. Il terminait en invitant les maires à lui rendre compte, dans la dernière décade de chaque mois, de l’exécution des lois sur la police des cultes .

Le sous-préfet de Nyons adressait, le 4 thermidor, une circulaire analogue aux maires de son arrondissement.

Le 4 fructidor (22 août\ le Ministre de la Police générale répondait à la lettre que le préfet lui avait adressée le 28 messidor.

La modération dont le gouvernement en a usé avec les prêtres insoumis devait l’assurer de leur bonne conduite vous m’apprenez au contraire qu’abusant de son indulgence, ils cherchent à rallumer les torches de la discorde civile.

Ces détails, qui ne s’accordent que trop avec le caractère connu d’un grand nombre de ces ecclésiastiques, provoquent des moyens de répression. J’approuve la mesure que vous me proposez elle doit atteindre tout prêtre frappé par les lois de 1792 et 1793, qui prêcherait la révolte, eût-il même obtenu précédemment une mise en surveillance. Avant de recourir à cette extrémité, vous ne négligerez pas sans doute les moyens de persuasion, mais si un exemple est nécessaire pour intimider les perturbateurs, vous devez le donner.

La loi du 7 vendémiaire an 4 est une barrière aux prétentions des ministres du culte, qu’il ne faut pas laisser franchir. Faites traduire ses infracteurs devant les tribunaux. A l’égard des cloches qu’on continue de sonner dans plusieurs communes, je vous rappelle la loi du 22 germinal an provoquez l’exécution de l’art. 2 de cette loi contre tout ministre qui ferait des convocations au son des cloches, ou qui, instruit de la publicité d’une pareille convocation, y exercerait quelque acte relatif à son culte.

Le 25 thermidor (13 août), Gaud-Roussillac écrivait au préfet que les infractions publiques aux lois sur les cultes paraissaient avoir cessé en grande partie dans son arrondissement. Le 11 fructidor (29 août), il rendait compte que sa circulaire avait produit quelques résultats heureux.

Mais j’ai appris depuis que sur quelques points les infractions se renouvelaient, et j’ai tout lieu de croire que des prêtres insoumis, agitateurs secrets, propagent leurs principes d’intolérance. Lorsque j’aurai obtenu des notions précises, je vous en ferai part et vous désignerai les perturbateurs en provoquant contre eux la mesure qui est à votre disposition. Mais je vais tenter encore une fois la voie de la persuasion, qui est dans les intentions paternelles du gouvernement et dans les vôtres. Je vais déclarer aux maires de cet arrondissement que, faute par eux de m’instruire de tous les délits relatifs aux prêtres insoumis ou à ceux qui dépassent la ligne que les lois ont assignée à leurs fonctions, les municipalités deviendront personnellement responsables et les prêtres punis de leur désobéissance .

Le 20 vendémiaire an IX (21 octobre 1800), le Ministre de la Police générale adressait une nouvelle lettre au préfet.

 » Depuis le 18 brumaire, citoyen Préfet, vous savez quelle a été l’indulgence du Gouvernement envers les prêtres insermentés. J’en ai autorisé un grand nombre à rentrer dans leurs foyers; et pour toute condition, je leur ai prescrit de faire la promesse de fidélité à la Constitution de la République.

Cette condition était aussi modérée que raisonnable et tout gouvernement a le droit d’exiger, quand il le juge nécessaire, une semblable garantie de la part de ceux qui veulent vivre sous les lois.

Il serait absurde, en effet, et contraire à toute idée de pacte social, que dans un état quelconque, de simples individus pussent mettre des restrictions à leur soumission aux lois, et se former un code à leur mode. Un gouvernement qui tolérerait cet abus donnerait la mesure de sa faiblesse et favoriserait lui même les principes de sa destruction.

Aucun prétexte n’est donc admissible pour justifier le refus de la promesse de fidélité à la Constitution. Ce n’est que par leur empressement à faire cette promesse que les prêtres déportes peuvent rassurer sur les intentions qui les dirigent, en demandant à rentrer dans leur patrie.

Cependant, beaucoup de ceux qui ont profité de l’indulgence du Gouvernement, et qui savaient que cette garantie était la condition de leur retour, sont revenus avec l’intention de ne pas la donner, et ils l’ont refusée.

Pour éviter de nouvelles surprises, pour prévenir le danger d’admettre dans le sein de la République des hommes disposés à la troubler, il est un moyen simple et facile. Le voici désormais je n’autoriserai le retour d’un prêtre déporté (après, toutefois, les informations nécessaires sur sa conduite et sa moralité) qu’autant qu’il aura envoyé, souscrite de sa main, la promesse de fidélité à la Constitution, avec offre de la renouveler devant le sous-préfet ou le maire de l’arrondissement dans lequel il désirera fixer sa résidence. Tout prêtre que je mettrai en surveillance sera tenu, conséquemment, de justifier devant les autorités locales qu’il a satisfait à cette formalité, ou de s’y soumettre de nouveau, si la circonstance l’exige; s’il s’y refusait, vous le feriez aussitôt rétrograder vers la frontière.

Quant aux prêtres actuellement rentrés sous la condition expresse de faire la promesse de fidélité, vous m’adresserez promptement l’état nominatif de ceux d’entre eux qui n’ont pas satisfait à cette condition, afin que je prenne à leur égard telle mesure que je croirai convenable.

Vous aurez soin de donner à cette lettre la publicité nécessaire, pour que les dispositions qu’elle renferme soient exécutées rigoureusement; et vous en ferez l’objet d’une instruction aux sous-préfets et aux maires de votre département. Salut et fraternité,

FOUCHÉ.

Le préfet fit imprimer cette lettre, avec une circulaire aux maires, en date du 21 brumaire (12 novembre) il leur prescrivait de lui adresser sans délai un état nominatif de tous les prêtres résidant dans leurs communes, qui ont été frappés par les lois sur la déportation et n’ont pas fait la promesse de fidélité à la Constitution .

Quelques semaines plus tard, un exemple de sévérité était donné: le préfet arrêtait, le 16 frimaire (7 décembre), que Jean-François Jamet, ex-curé de Saint-Bardoux, serait conduit, de brigade en brigade, hors du territoire de la République .

Vers la même époque, dans ses Observations sur la situation du département de la Drôme (p le préfet Collin appréciait ainsi la question religieuse. Les prêtres qui n’ont pas prêté le serment ont toujours beaucoup d’influence sur l’esprit de ceux qui sont attachés aux opinions religieuses, parce qu’ils ont su, les uns par caractère, les autres par hypocrisie, montrer, du moins en apparence, une conduite régulière, qui leur conserve 1 estime et la confiance de leurs partisans et on ne doit pas se dissimuler qu’en général ils ont, sous ce rapport, un très grand avantage sur les prêtres assermentés.

Un grand nombre de ces derniers se sont mariés, les uns avec des religieuses, les autres avec leurs servantes plusieurs ont des mœurs très dissolues, et sont le scandale des communes qu’ils habitent. Ils ne peuvent donc faire le bien, puisque l’immoralité est toujours en opposition avec les idées religieuses.

Le gouvernement, à qui rien n’échappe de ce qui peut ramener l’union dans l’intérieur, déterminera sans doute le pape à rendre une décision qui ne laissera plus aux prêtres aucun prétexte de se refuser à la promesse de fidélité alors on pourra diriger très utilement l’influence et la confiance dont ils jouissent mais il serait nécessaire de leur donner un traitement fixe chaque commune supporterait volontiers cette dépense.

Ces appréciations de J.-B. Collin provoquèrent quelques mois plus tard, une vive protestation de la part de certains prêtres assermentés.

Au Citoyen Préfet du département de la Drôme.

Les citoyens Jean-François Jayme, ministre du culte catholique en ]a commune d’Hauterives, Jean-Mathieu Hours en celle de Moras, Charles Lafayolle en celle de Saint-Sorlin, Rambert en celle de Saint-Romain-d’Albon, Pourret en celle de Saint-Vallier, Escoffier à Saint-Germain, section de la commune d’Hauterives, François-Régis Hours en la commune de Beausemblant,

Exposent que le bruit public répand que les prêtres qui sont restés constamment attachés et soumis aux lois de la République et en fonctions dans le département ont été néanmoins desservis par votre prédécesseur auprès du Ministre de l’Intérieur dans son compte, art. Prêtres, où il a donné des éloges aux prêtres insoumis et censuré la conduite des soumis.

Par la lecture du rapport ci-joint, fait par le citoyen Collin, vous reconnaîtrez aisément que sa religion a été surprise lorsqu’il a dénigré les prêtres amis des lois et du gouvernement.

Vous le savez, citoyen Préfet, le plus grand nombre des prêtres soumis en fonctions sont dans le ci-devant district de Romans; que là, malgré les sourdes et inciviques manœuvres des réfractaires, ceux qui ont obéi aux lois ont pour leurs exercices religieux la confiance des J vingtièmes des citoyens.

Vous savez aussi que dans les autres parties du département nulle église, à 5 ou 6 près, n’est ouverte, que les réfractaires ou insoumis y lèvent hautement la tête, et qu’au mépris des lois et de l’indulgence, sans doute, de quelques magistrats, ils exercent publiquement dans les ci-devant châteaux ou maisons bourgeoises; que dans le ci-devant district de Romans, qu’habitent vingt-trois prêtres constamment soumis et en fonctions, et parmi lesquels il n’en est aucun de marié, la tranquillité n’a jamais été troublée.

Nous sommes parfaitement convaincus, citoyen Préfet, que votre prédécesseur n’a entendu ni voulu nous nuire personnellement dans le compte qu’il a rendu au Ministre de l’Intérieur, touchant les prêtres soumis et non mariés. Cependant nous venons vous prier, au nom de la vérité et de la justice, de vouloir bien détruire les impressions défavorables que le ministre pourrait avoir contre nous et prévenir les nouvelles impostures que les malintentionnés pourraient diriger contre nous auprès de vous.

Les exposants s’en rapportent entièrement à votre équité, de laquelle ils osent espérer avec une respectueuse confiance que vous détruirez, par vos rapports dictés par la vérité, la défaveur que la haine a voulu déverser sur nous, en surprenant la bonne foi du citoyen Collin. Les certificats de bonnes mœurs, qui nous ont été délivrés par les autorités de notre canton et qui seront présentés à votre visa, prouvent que nous ne méritons pas d’être dépeints comme des hommes immoraux, indignes et incapables d’opérer le bien.

Salut et respect (Suivent les sept signatures).

A Moras, le 8 messidor 9e année républicaine (27 juin 1801).

Obtenir la soumission des prêtres, ce fut, avec la poursuite des brigands, l’une des principales préoccupations du nouveau préfet, Marie Descorches, à son arrivée dans le département. Esprit libéral. un peu sceptique, désireux de la paix, il était disposé à concéder aux catholiques tous les avantages autorisés par la loi, mais fermement décidé à faire respecter celle-ci. Le 24 ventôse (15 mars), il envoyait au maire de Valence une pétition de divers citoyens de la ville tendant à obtenir la ci-devant église Saint-Jean pour l’exercice du culte, et il ajoutait

Les intentions du gouvernement manifestées par des lois et bien connues sont de protéger le libre exercice des cultes. Je suis moi-même à l’égard de la demande des citoyens de Valence dans les intentions les plus favorables, persuadé que des citoyens guidés par des sentiments religieux sont les amis de l’ordre, des mœurs, qué le libre exercice d’un culte tend à leur régénération .

Par un arrêté du 3 germinal (24 mars), la ci-devant église Saint-Jean était mise à la disposition des catholiques pour y exercer le culte.

Le lendemain, 4 germinal, divers citoyens de l’Unité-sur-Isère (Bourg-de-Péage) ayant demandé restitution de livres de chant destinés au culte catholique et déposés à la maison commune, le préfet écrivait au maire « Le gouvernement, sans s’immiscer dans ce qui a trait aux cultes en général, a manifesté l’intention d’accorder protection a tous. C’est d’après cette intention que je ne vois aucun inconvénient à restituer aux pétitionnaires leurs livres de chant « . Mais il était très difficile d’obtenir des prêtres la promesse de fidélité à la Constitution exigée par la loi du 21 nivôse an VIII. Dans le département du Gard, 47 prêtres s’étant soumis à cette formalité, le préfet reçut leur promesse dans l’appareil le plus solennel.

PROMESSE DE FIDÉLITÉ

FAITE PAR LES PRÊTRES DU DIOCÈSE DE NÎMES

ET REÇUE PAR LE PRÉFET DU DÉPARTEMENT DU GARD

Le 22 Ventôse an 9 de la République française une et indivisible (13 mars 1801), le Préfet du département du Gard, étant en l’une des salles de l’hôtel de la préfecture, le Conseil de préfecture et le Secrétaire général réunis, se sont présentés les soussignés, ministres du culte catholique dans le département du Gard, dont l’un d’eux a dit au nom de tous :

 » Citoyen Préfet,

Nous venons en ce jour, comme ministres de l’église catholique, apostolique et romaine, donner a la puissance temporelle les témoignages du respect et de la soumission dont nous trouvons l’obligation consignee dans tous les livres saints. Cette qualité de ministres du culte catholique, qui nous honore et qui nous est si précieuse, indique assez et l’esprit qui nous conduit et le but qui nous amène devant vous.

Nous venons dans l’esprit et selon les règles sacrées de l’Eglise, avec l’assentiment de notre premier pasteur, promettre fidélité au Gouvernement pour acquitter un devoir de nos consciences. C’est dans ces sentiments que nous souscrivons la formule exigée par le Gouvernement, et cette souscription ne devant, dans aucun temps, nous engager a rien de contraire à la foi de l’Eglise catholique, apostolique et romaine, dont nous voulons vivre et mourir les fidèles ministres. Chacun de nous, en conséquence, demande à faire individuellement la promesse voulue par la loi dans la formule ainsi conçue : « Je promets fidélité à la Constitution « .

A propos de cet acte, Descorches écrivait au sous-préfet de Montélimar, le 4 floréal (24 avril).

 » Ils sont plus heureux que nous dans le Gard d’avoir 47 prêtres raisonnables mais quels que soient les nôtres, ne nous en inquiétons guère. Ils n’en valent certainement pas la peine. Qu’ils disent tant d’orernus qu’ils voudront, qu’ils nous damnent à plaisir et qu’ils trompent encore quelques bonnes gens, tant pis pour les dupes, sans que ce soit tant mieux pour les trompeurs. A présent leur triomphe n’ira pas loin, je vous en réponds, d’autant moins que nous éviterons de les honorer de notre attention réservons-nous de tancer les actes saillants que la loi réprouve et laissons au temps aidé de nos nouvelles institutions à faire le reste. Ou je me trompe fort, ou notre indifférence est mortelle pour cette sorte d’êtres, qui ressemblent pas mal aux insectes qui ne sont jamais si animés ni si venimeux que dans les temps d’orage. Cette lettre révèle l’impatience d’un administrateur zélé qui ne réussit pas a faire appliquer la loi. Quelques semaines plus tard, le 23 floréal (13 mai), le Ministre de la Police générale prescrivait aux préfets d’exiger l’exécution sévère des lois des 7 vendémiaire et 22 germinal an IV.

Malgré les lois qui proscrivent tout signe extérieur de culte, Citoyen Préfet, je suis informé que dans plusieurs communes, les prêtres, abusant de la tolérance du gouvernement, cherchent à donner aux cérémonies de leur culte la même publicité que s’il était encore dominant les cloches se font entendre de nouveau les processions recommencent, et je sais que l’on prépare à l’occasion de fêtes connues sous la désignation de la Fête-Dieu et des Rogations, un appareil religieux qui serait moins le signe de la ferveur que de la désobéissance aux lois.

En exigeant des sous-préfets, maires et adjoints de votre département l’exécution sévère de la loi du y vendémiaire an 4 sur la police des cultes et de celle du 22 germinal même année, qui défend la sonnerie des cloches, vous préviendrez les abus qui résulteraient de cette coupable contravention, et vous maintiendrez le bon ordre et la tranquillité sur tous les points que vous administrez. Je vous recommande donc, plus que jamais, d’empêcher que, sous aucun prétexte, on ne compose avec les dispositions de ces deux lois. Il est temps qu’enfin les ministres du culte donnent l’exemple de la soumission à un gouvernement qui les protège.

Je vous observe au surplus que la seule exception qu’il serait possible d’invoquer est celle relative aux habitants des campagnes qui sont accoutumés à régler leurs travaux, matin et soir, sur le son de ce qu’on appelle Angélus; hors ce cas seul, la loi du 22 germinal an IV ne doit souffrir aucune modification.  » 

Descorches était un diplomate il aimait mieux négocier que sévir. Ses efforts furent couronnés de succès. Le 24 prairial (13 juin), il annonçait aux Ministres de l’Intérieur et de la Police générale, la cessation du brigandage et la soumission des prêtres.

 » Plus de brigandage, puisque voilà deux mois écoules sans un seul délit qu’on puisse lui attribuer. Les voyageurs, les courriers, les diligences n’ont plus d’escorte déjà depuis longtemps dans la Drôme et n’ont pas eu lieu un seul instant de concevoir même la plus légère inquiétude.

Une autre victoire, peut-être plus importante encore par l’étendue de ses effets, nous restait à remporter pour l’ordre et la tranquillité parfaite de ce département la soumission des prêtres, qui y ont toujours été, qui y sont en grand nombre, quoi qu’on ait fait, quoi qu’on eût pu faire, parce que l’esprit du peuple leur est trop favorable; en majorité au reste, je leur dois cette justice, peu dangereux, les uns, parce que leurs intentions sont bonnes, les autres, faute de moyens.

Vous apprendrez, je crois, Citoyen Ministre, avec quelque satisfaction, que ce principe de fermentation sourde, de résistance et d’humeur, qui, bien qu’ayant cessé, je le pense, de mériter d’occuper le gouvernement avec inquiétude à la hauteur où il s’est élevé, n’en restait pas moins toujours très déplaisant et contrariant pour ses vues de bienfaisance, va également disparaître parmi nous. Je ne puis certainement vous prouver mieux à quel point la confiance y a fait des progrès, puisque tout ce qu’il y a de plus réfractaire au monde cède enfin à son impulsion. Les indices que j’avais eu précédemment à vous annoncer viennent de se convertir en réalités. Après quelques pourparlers par des tiers, dans lesquels je me suis tenu à mon système de me montrer accessible, mais assez indifférent, les derniers mots ont été prononcés ce matin il m’a éte fait part, au nom et par la communication d’une lettre expresse du supérieur local en chef de tous les ecclésiastiques qu’ils appellent archevêque de Vienne ( 89), lequel en l’absence de deux évêques voisins, dirige trois de leurs diocèses, que, non seulement avec son approbation, mais encore par son ordre formel, la déclaration de fidélité à la Constitution allait être faite par tous les prêtres qui lui étaient subordonnés, purement et simplement aux termes de la Loi, comptant que je consentirais seulement à une explication dont elle serait précédée, en deux lignes conçues ainsi

« Je. soussigné, prêtre exerçant le ministère de l’église catholique, apostolique et romaine, reconnais et respecterai toujours l’indispensable obligation de vivre soumis au gouvernement, en conséquence, sauf en tout la religion catholique, )’ai passé la déclaration suivante Je promets fidélité à la Constitution de l’an 8. « 

L’exemple du Gard et plusieurs autres, et bien plus encore la raison, l’esprit de la Constitution, sa très digne et salutaire tolérance, enfin l’instruction vivante, pour ainsi dire, dans tous les actes du gouvernement, qui connaît et sent trop sa force pour ne pas compatir à la faiblesse, ne m’ont pas laissé hésiter dans ma réponse. J’ai répondu que dès que la déclaration serait faite dans les termes sacramentaux, je ne voyais, rien dans l’explication qui l’infirmât, ni dans la loi qui s’opposât à cette explication et qu’ainsi elle serait admise avec l’accessoire dont on désirait qu’elle lût accompagnée. Quoique je me réjouisse beaucoup de cet événement, parce que je crois en voir clairement découler une infinité de conséquences avantageuses, je m’abstiendrai soigneusement d’y donner aucun éclat; au contraire. Je m’attends à un grand essor de joie dans le département. Je redoublerai d’attention dans mon attitude et mon ton indifférence. Je suis intimement convaincu que ces hommes ne seront rien ou bien peu de chose dès qu’on voudra les traiter comme tels, et qu’ils ne peuvent à présent devenir gros et grands que de l’attention qu’on leur porte, importants que de l’importance qu’on leur donne.

Le Ministre de l’Intérieur, Chaptal, adressa à Descorches, le 11 messidor (30 juin), des observations relativement à cette soumission des prêtres. Il me semble que, pour obtenir ce dernier avantage, vous vous êtes relâche sur un point que la loi et les instructions qui la développent ont rigoureusement établi. Ce point est la nécessité imposée aux prêtres de faire leur soumission suivant la formule prescrite, sans y mettre ni restriction, ni explication. Le préambule dont les prêtres de votre département veulent faire précéder leur déclaration et la réserve de sauf en tout la religion catholique, qui est insérée dans ce préambule, sont donc contraires à la loi. Ils infirment en quelque sorte leur promesse. En effet, rien n’empêchait un prêtre turbulent et de mauvaise foi de prétendre quelque jour qu’un des points de sa croyance est blessé par les lois de la République, et que la promesse d’être fidèle à la Constitution étant faite sous la condition que la religion catholique sera sauve en tout, elle n’est plus obligatoire pour lui et qu’il en est délié de droit.

Le 16 thermidor (4 août), le préfet rendait compte au Ministre de la Police générale de l’esprit de la majorité des prêtres catholiques.

Je vous ai tenu exactement informé de ma conduite à l’égard des prêtres catholiques de ce département, des motifs qui l’avaient déterminée et des avantages qu’elle me donnait dans l’esprit public sur ceux qui sont capables d’abuser de leur métier pour devenir des agitateurs et susciter des ennemis au Gouvernement. Je n’ai qu’à vous confirmer de plus en plus ces avantages. Je ne désespère pas de voir ceux qui sont encore susceptibles de quelque raison être les premiers à demander que la sévérité de l’administration s’appesantisse sur les autres. Patience encore quelque temps, et nous aurons aussi, j’en suis persuadé, satisfaction de ce côté, autant toutefois qu’on puisse l’attendre de têtes en général aussi mal montées. La très grande majorité des nôtres ne mérite que pitié ce sont des infirmes nés qui ont en outre assez souffert pour exciter quelque compassion. La très grande majorité n’aspire qu’à faire sa soumission. Il y en aurait bien davantage si le bruit ne s’était répandu que ces actes allaient devenir inutiles par suite d’un arrangement fait entre le Premier Consul et le Pape, dont ceux qu’il intéresse se croient sûrs que sa publication ne saurait tarder.

Les négociations engagées entre le Gouvernement français et le pape Pie VII avaient, en effet, abouti à la célèbre convention, passée à Paris le 26 messidor an IX (15 juillet 1801), et ratifiée le 23 fructidor suivant (10 septembre). Mais à la date à laquelle écrivait Descorches, le Gouvernement tenait cette convention secrète. Le 19 thermidor (7 août) Fouché enjoignait aux journalistes de ne rien insérer dans leurs feuilles de ce qui pouvait concerner la religion, les ministres et les cultes divers. Le préfet de la Drôme répondit, le 25, qu’il ne s’imprimait aucune feuille périodique dans son département.

Dans le rapport qu’il adressait au Premier Consul, le 20 nivôse an X, Descorches écrivait qu’il se manifestait de toutes parts une grande soif de prêtres. « On s’est réjoui du Concordat, on en attend la publication et l’exécution avec l’impatience peut-être un peu de la curiosité, mais encore plus du désir. « 

On sait que la convention du 26 messidor fut promulguée comme loi de la République, avec ses articles organiques et les articles organiques des cultes protestants, le 18 germinal an X (8 avril 1802).

Le 19 germinal, le sous-préfet de Montélimar écrivait au préfet

Cet arrondissement, froissé presque sur tous les points pendant huit années consécutives, est en général tranquille, mais les souvenirs ne s’y perdront pas de longtemps et l’on doit s’attendre à des secousses morales que les circonstances feront naître et que la prudence des autorités calmera. Je vous l’ai dit ailleurs, je vous le répète vite, vite, que le gouvernement assigne aux croyants, à ceux qui font semblant de croire, et surtout aux chefs des uns et des autres, un mode uniforme et général qui assujettisse enfin les prêtres aux lois de l’Etat et fasse cesser cette anarchie religieuse qui nous fatigue.

Et, quelques jours plus tard, le 30 germinal (20 avril), il s’écriait « Grâces soient rendues au Gouvernement qui soulage enfin ses agents du poids d’une surveillance équivoque envers les prêtres. et qui donne au peuple un culte public et des ministres constitutionnels « .

L’application de la loi du 18 germinal était délicate. Le 1er messidor (20 juin), le préfet adressait une circulaire aux maires du premier arrondissement. Dans l’impatience où l’on est de jouir du Concordat, impatience sans doute infiniment louable dans son objet, mais qu’il est bon d’éclairer pour que, dans aucun de ses effets, elle ne cesse de paraître intéressante, j’ai été, citoyens maires, consulté de divers côtés sur plusieurs points relatifs à l’exercice actuel du culte catholique.

1er On m’a demandé si la prestation du serment dans la forme prescrite par le Concordat pouvait suffire pour qu’un prêtre fût autorisé à exercer.

2° On m’a pressé de tolérer que les offices religieux fussent annoncés, des à présent, par le son des cloches.

Je crois devoir, citoyens maires, vous communiquer ici les réponses que j’ai faites. Je vous invite à les prendre pour direction, si vous avez a répondre à de semblables instances. Citoyens, ai-je dit à ceux qui me les adressaient, tout ce que mon devoir m’a permis, tout ce qui est dans mes moyens, mes sentiments m’ont toujours pressé de le faire pour procurer la satisfaction qu’on pouvait attendre de moi je le ferai surtout lorsqu’il s’agit de prendre en considération des désirs aussi respectables par leur objet que ceux que vous exprimez mais vous savez que le Concordat indique et veut, pour son exécution, des mesures préalables vous sentez par conséquent qu’il n’y a pas lieu encore à ce que le Préfet s’en occupe, car le moyen pour tous de bien aller, est d’aller toujours comme la loi, avec la loi, de n’aller ni plus vite ni plus lentement qu’elle. Je pense cependant que ce n’est point du tout s’écarter de ses dispositions, que son esprit au contraire sera parfaitement rempli, si les maires admettent comme par le passé, c’est-à-dire avant la publication du Concordat, les ministres des divers cultes à l’exercice public de leur ministère et tout ce qui s’ensuit, sur leur déclaration faite devant eux, enregistrée et accompagnée de leur promesse de fidélité. La formule de cette promesse consignée dans le Concordat (90), réunissant toutes les approbations du Gouvernement et de l’Eglise, exprimant la même chose, avec bien plus d’étendue encore que la première, il me paraît clair qu’elle peut dès à présent lui être substituée, en attendant l’organisation définitive.

Mais point de sonnerie, ajoutais-je, elle est interdite par les lois encore actuellement obligatoires; celle du 18 germinal n’en autorise le rétablissement que d’après des règlements à intervenir et qui n’existent point encore.

Je le répète en m’adressant à vous, citoyens maires, point de sonnerie. Si quelqu’un d’entre vous a été assez faible pour tolérer cette infraction, je le rappelle à son devoir, pour qu’il empêche qu’elle ne se perpétue ou se renouvelle. Je lui recommande expressément de tenir la main à ce que sa commune ne se donne pas, aux yeux de l’administration supérieure, des torts que celle-ci serait obligée de réprimer sévèrement surtout après avoir pris le soin d’indiquer au zèle religieux, qui ne peut qu’être l’ami du gouvernement et du bon ordre, la limite au-delà de laquelle il ne saurait s’avancer, sans avoir à se reprocher de leur être contraire.

Pendant les mois de messidor et de thermidor, les sous-préfets et le capitaine commandant la compagnie de gendarmerie du département, signalent au préfet que sur certains points les prêtres font leur soumission, que sur d’autres, il y a encore des résistances.

Le 18 messidor (7 juillet), le sous-préfet de Die annonce que « tous les prêtres de Die, de Crest et de toutes les communes principales se sont portés à prêter le serment avec un empressement édifiant.  » Quelques jours plus tard, le 2 thermidor (21 juillet), il confirme cette nouvelle et ajoute :

Les prêtres eux-mêmes concourent à arrêter ou empêcher la sonnerie des cloches dans quelques communes où elle avait pu s’introduire mais vous ne sauriez croire quel est le prix que le peuple des montagnes attache à cette espèce de musique et combien la privation lui en est pénible. Je vous prie avec instance, en son nom, de hâter le moment où vous pourrez la lui.permettre d’une manière régulière .

A Montélimar, le 16 prairial (5 juin), veille de la Pentecôte, onze prêtres font leur soumission conformément à la loi. Le jour de la fête, ils célèbrent la messe au temple désigné pour le culte catholique, et chantent le Te Deum en l’honneur de la République et des Consuls.

Au Buis, le jour de la Fête-Dieu, il se fait une procession hors l’enceinte du temple, en suivant le même rite que pendant l’ancien régime. Sur la lettre du capitaine de gendarmerie, en date du 7 messidor (26 juin), qui lui annonce cette nouvelle, Descorches inscrit, de sa main, cette note :

Ecrire au maire du Buis une lettre confidentielle pour lui témoigner la peine que je ressens de cette infraction, qui me prouve combien les esprits sont toujours dans sa commune prompts à se laisser emporter par un zèle inconsidéré et lents à se pénétrer du respect dû aux lois. Leur envoyer une de mes circulaires relatives à la police provisoire des cultes, en attendant l’organisation du Concordat. Le sous-préfet a dû lui écrire officiellement dans ce sens. Je le préviens que les ordres sont donnés pour faire constater les contraventions et que j’en ferai poursuivre la punition avec toute la sévérité qu’il me serait très pénible, mais qu’il serait de mon devoir d’apporter enfin pour faire régner sur tous et partout l’autorité de la loi, ainsi que le bon ordre le demande.

Le préfet n’hésitait pas à prendre des mesures rigoureuses quand elles devenaient nécessaires. Ainsi, le 10 thermidor (29 juillet), vu les procès-verbaux de la gendarmerie constatant qu’un prêtre de Vesc, nommé Mathieu, n’avait pas prêté de serment, et qu’à Taulignan, les cloches sonnaient le dimanche et les jours de semaine, le préfet arrêtait que les églises de Vesc et de Taulignan seraient fermées jusqu’à nouvel ordre, que le citoyen Mathieu serait dénoncé au commissaire du gouvernement près le tribunal criminel spécial. Cet arrêté devait être imprimé et affiché dans toutes les communes .

Quelques jours plus tard, le 22 thermidor (10 août), le sous-préfet de Montélimar, rendant compte d’une tournée à Taulignan, écrivait au préfet

J’ai vu Rolland le Sonomane. Ce prêtre est un mauvais sujet. Telle est l’opinion de la grande majorité de cette commune. J’ai reconnu en lui l’intolérance et l’insoumission qui caractérisent les mauvais ministres de son culte cependant il n’a pas osé reculer; il a fait sa déclaration, mais il a eu l’impudeur de me demander à être autorisé à faire donner ce qu’il appelle quelques coups de cloche aux heures de sa messe. Vous devinez ma réponse. Elle a été sévère. Je pense que cet abbé Rolland ne peut que faire le mal à Taulignan. Le juge de paix Grosset est de mon avis. Je pense de plus qu’un être pareil ne mérite aucun emploi. Ses partisans se bornent à quelques fanatiques et une douzaine de dévotes.

Le 28 thermidor (16 août le capitaine de gendarmerie Dubost résumait ainsi la situation

Les prêtres dans l’arrondissement de la sous-préfecture de Montélimar ont fait leurs soumissions, et les personnes et les cloches y sont parfaitement tranquilles. Il n’en est pas de même dans celle de Nyons; les prêtres refusent de faire leurs soumissions et continuent leurs processions. Le fanatisme dans ces montagnes y est terrible,- suivant l’expression du lieutenant Lamotte; ce qui fait que les maires sont sans force et qu’au besoin ils ne peuvent se servir de l’autorité que la loi leur confie pour réprimer les abus et même seconder la force armée. ·

Pour ramener complètement le calme parmi les catholiques du département, il fallait à Valence la présence d’un évêque. Répondant le 23 messidor (12 juillet), à une lettre que le sous-préfet de Die lui avait adressée le 18, le préfet disait :

 » Je presse en toute occasion l’arrivée d’un évêque, pour que sa présence vienne bientôt consolider dans ce département tout ce que ces heureuses dispositions nous promettent d’avantage pour sa tranquillité. Et cependant, quoiqu’on nous le promette toujours, je ne sache pas qu’il soit encore nommé.  » 

Or, cette nomination venait d’être faite le 27 messidor (16 juillet), le préfet recevait une lettre, datée de Paris et du 21 messidor, par laquelle François Bécherel lui annonçait qu’il avait été nommé par le premier Consul, le 16 messidor (5 juillet), à l’évêché de Valence (91).

Quelques jours plus tard, le 8 thermidor (27 juillet), le sous-préfet de Montélimar écrivait au préfet.

Ayez la bonté de m’instruire un peu en détail de la réception qu’on fera à l’évêque de la Drôme. Cette connaissance m’est nécessaire pour n’être pas pris au dépourvu. Les têtes commencent à bouillir dévotement dans l’attente des fêtes épiscopales moi qui respecte les autorités ecclésiastiques, mais qui suis avant tout de la religion de la loi, je veux imiter autant que je le pourrai le chef aimable et civil que le gouvernement m’a donne.

L’évêque de Mende a été reçu avec l’appareil le plus dévot possible dans toutes les communes de l’Ardèche. On l’a fait marcher sous un dais porté par des fonctionnaires publics on l’a escorté processionnellement on l’a monseigneurisé (92). Les têtes en tournent dans ce pays-là. Laissez-les mettre un pied chez vous, ils en auront bientôt mis quatre. Ma réflexion est indépendante des égards qu’on doit aux chefs de l’église. L’évêque de Valence n’arriva dans sa ville épiscopale que le 2 fructidor (8 septembre). Descorches observa, en cette circonstance, une réserve bien digne d’un diplomate. Le surlendemain 23, il rendait compte de son attitude à Portalis, conseiller d’Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes

J’ai l’honneur de vous annoncer l’arrivée ici avant-hier, à 8 heures du soir, de l’évêque de Valence, un peu fatigué, mais bien portant. Je lui avais conseille l’incognito pour cette arrivée il a été de mon avis. Il ne s’est fait en conséquence aucunes dispositions pour sa réception. Elles étaient pourtant dans les sentiments de la mairie et de beaucoup de citoyens qui me les avaient précédemment témoignés. J’y ai applaudi je leur ai fait part des intentions de l’évêque et ils les ont respectées. Mais hier chacun s’est empressé de lui faire visite, les autorités en corps ainsi qu’un grand nombre de particuliers, y compris tous les ecclésiastiques ayant à leur tête le bon Mezard que je vous ai fait connaître (93).

A l’égard de cette visite, s’il se fût agi d’une observance rigoureuse de l’étiquette, j’aurais éprouvé quelque embarras. Il est dit dans l’instruction que j’ai reçue dans le temps du Ministre de l’Intérieur concernant l’exécution de la loi du 18 germinal, « à l’arrivée de l’evêque, les autorités locales lui feront visite « . Par autorités locales doit-on entendre seulement celles du lieu ? toutes celles du département y sont-elles comprises? comme les tribunaux, le commandant militaire, le préfet? Le préfet, nommément, qui, etant chargé en chef de l’administration générale, représentant du gouvernement dans son département, doit peut-être, en général, pour le bien du service, être toujours aperçu sur une ligne supérieure à tout autre fonctionnaire, et particulièrement dans ce cas-ci, indiquer et rappeler par son attitude que le temps n’est plus des abus qui avaient placé l’Etat dans l’Eglise et que depuis la très sage et très politique convention du 26 messidor an g, l’Etat a recouvré ses droits et qu’aujourd’hui tous les cultes sont sous l’empire de la loi. Ces réflexions, citoyen Conseiller d’Etat, dont vous apprécierez la valeur, m’avaient paru mériter au moins une explication des intentions précises du gouvernement. Je l’ai demandée au Ministre de l’Intérieur qui ne me l’a pas donnée. Je suis resté ainsi dans mes incertitudes rendues plus pénibles encore par quelques objections que j’entendais élever et que je ne pouvais résoudre. Jugeant en même temps que ce n’était pas le moment de laisser même établir une discussion sur cet objet, je me suis borné à écrire au maire, lui faisant part littéralement de l’instruction ci-dessus et prescrivant en conséquence à la mairie de s’assembler lorsqu’elle saurait l’évêque arrivé et de se rendre en corps chez lui, en laissant ainsi les autres autorités à leur impulsion spontanée, qui a été ce que je viens d’avoir l’honneur de vous le dire. Pour moi, je me trouvais à la campagne, à l’occasion du mariage d’un de mes enfants. J’en suis revenu hier matin, et en arrivant, à huit heures du matin, je me suis familièrement rendu chez l’évêque. Il a paru sensible à cette attention. Nous avions plus d’une chose intéressante à nous communiquer respectivement. Nous avons conféré pendant une heure à notre satisfaction commune, à ce que je crois. Tout ira bien, j’en suis persuadé.

Le jour de son installation solennelle est fixé à dimanche. J’ai pris sur-le-champ à cet effet l’arrêté que voici (94). Cette installation devant se faire dans l’église cathédrale, occupée, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous en rendre compte, par un prêtre d’un autre bord que les autres, bord qu’il soutient assez mal par sa valeur intrinsèque, menaçait l’évêque, dès ses premier pas, d’une assez grande difficulté à vaincre. Il n’est pas douteux que si cet homme voulait défendre son terrain et assister à la cérémonie, elle ne fût désertée par tous les autres. Je vais provisoirement me faire remettre les clefs, sous prétexte de préparatifs à faire et je tâcherai d’obtenir de ce vieux moine, un peu ivrogne, mais d’ailleurs assez bon homme, qu’il s’absente pour quelques jours.

Aussitôt après l’installation de l’ évêque, le préfet s’occupa d’établir avec lui, conformément à l’article 48 de la loi du 18 germinal, un règlement sur la sonnerie des cloches pour les exercices du culte catholique, afin de donner satisfaction aux désirs, maintes fois exprimés, de la population. L’arrêté est en date du 30 fructidor (17 septembre).

ARTICLE PREMIER. Dans toutes les communes du département, on sonnera l’Angélus aux heures accoutumées et avec une cloche seulement.

ART. 2. Dans chaque église les messes basses seront annoncées par la plus petite cloche, que l’on frappera de douze coups.

ART. 3. Les catéchismes seront également annoncés par la plus petite cloche que l’on sonnera en vol un quart d’heure.

ART. 4. Les dimanches et fêtes, les offices dans les villes seront annoncés trois quarts d’heure et dans les campagnes une heure avant qu’ils commencent par la plus grosse cloche, que l’on frappera de vingt coups de quart d’heure en quart d’heure; un quart d’heure avant qu’ils commencent, on les mettra toutes en vol, jusqu’à ce que l’heure de commencer l’office soit sonnée.

ART. 5. On sonne aussi le sermon dans les grandes solennités, pendant le Carême et l’Avent et pour appeler les fidèles aux exercices des missions qui pourraient avoir lieu il en sera de même aux saluts du Saint-Sacrement lorsqu’ils ne suivront pas immédiatement les vêpres.

Art. 6. Les offices des jours ouvrables seront annoncés par une cloche que l’on sonnera en vol un quart d’heure. ART. 7. On en excepte cependant les processions de Saint-Marc, des Rogations et autres particulières à quelques paroisses, auxquelles les fidèles sont dans l’usage d’assister le mercredi des Cendres, le jour des Morts, où l’office sera annonce par les cloches comme les fêtes et dimanches. Il en sera de même du son de toutes les cloches dans les paroisses où la loi permettra de faire des processions à l’extérieur lorsqu’une paroisse ira faire une station à une autre paroisse d ans ce cas, la paroisse visitée pourra faire sonner toutes ses cloches à l’arrivée de la procession et à la sortie.

ART. 8. II sera permis d’appeler par six coups de cloche le prêtre à l’église pour l’administration des sacrements, mais dans les seuls cas où réellement il ne s’y trouverait pas.

ART. 9. Dans les grandes solennités, comme les fêtes patronales, on pourra carillonner les cloches, la veille avant le son de l’Angélus du soir, après le son de l’Angélus du matin et du midi du jour, après le dernier son de la grand-messe et des vêpres, mais pendant un quart d’heure seulement.

ART. 10. Le décès des fidèles sera annoncé par une cloche seulement pour les hommes on frappera neuf coups, à trois intervalles de trois coups chaque pour les femmes six coups, à trois intervalles de deux coups chaque puis on mettra la cloche en vol, laquelle sonnera tout au plus un quart d’heure; le décès des enfants au-dessous de sept ans ne sera point annonce par la cloche, mais on sonnera à leurs enterrements de la manière qu’il est dit ci-après.

ART. 11. Lors de l’enterrement, le corps entrant dans l’église, on mettra en vol une cloche seulement; on en fera autant à sa sortie; chacune de ces sonneries durera tout au plus un demi-quart d’heure.

ART. 12. Ces sonneries n’auront point lieu aux services pour les morts, sous quelque prétexte que ce soit; on les annoncera seulement par le son d’une seule cloche, comme les offices marqués à l’art. 6.

ART. i3. II est rigoureusement défendu de sonner les cloches pour le service divin dans toutes autres circonstances que celles marquées dans le présent.

Signé Bécherel. Par M. l’évêque BISSON. Marie Descorches .

C’est ainsi que fut enfin réglée cette irritante question de la sonnerie des cloches.

Le 16 thermidor an IX (4 août 1801), Descorches écrivait au Ministre de la Police générale pour lui rendre compte de l’état d’esprit des prêtres de la Drôme et poursuivait en ces termes

J’ai eu soin de mettre à profit le chemin que j’avais fait pour atteindre un autre but que j’avais également en vue, celui de réintégrer les protestants dans le libre exercice de leur culte dont ils n’avaient joui que passagèrement durant les premières années de la Révolution et dont ils avaient cru depuis devoir faire le sacrifice à diverses considérations générales et locales, que leur amour de la paix et de la concorde avaient rendu puissantes sur leur très bon esprit. Depuis quelque temps, ceux de cette commune m’avaient donné le témoignage de confiance de me rendre dépositaire de leurs désirs, s’en rapportant à moi sur le choix du moment où je pourrais les satisfaire tous à la fois. Ce moment m’ayant paru arrivé, je leur ai permis l’usage d’une église vacante dans cette ville. Ils s’y sont rassemblés, tant de la ville que des environs, en nombre considérable, sans qu’il en soit résulté aucun inconvénient. Ils sont contents et ce sont autant de bénédictions de plus acquises au Gouvernement. Vous n’ignorez sans doute pas, citoyen Ministre, que ce culte est fort répandu dans le département et que là, à peu près comme partout, je crois, ses sectateurs se distinguent en général par leur moralité, leur esprit d’ordre et de paix, leur industrie et leur laboriosité.

Descorches était donc fort bien disposé à l’égard des protestants. Le 4 prairial an IX (24 mai 1801), il écrivait au maire de Loriol

Plusieurs habitants de votre commune m’ont présenté une pétition tendant à obtenir la permission d’exercer le culte protestant Je vous prie de vouloir bien me dire confidentiellement si, en faisant droit aux pétitionnaires, ainsi que la justice le demande, il n’y aurait pas à craindre que la paix fût compromise dans votre commune.

Observez que la demande des pétitionnaires est de partager avec les catholiques l’usage du temple mis à leur disposition. Ils m’assurent qu’il en était ainsi à Livron sans aucun inconvénient. Je suis persuadé que les citoyens de Loriol pensent assez bien pour édifier également tous les amis de la concorde et de la raison.

Deux mois plus tard, le maire de Comps demandant l’ouverture d’un édifice destiné aux cérémonies religieuses des catholiques et des protestants, le préfet écrivait, le 23 thermidor (1 août), au sous-préfet de Montélimar « Cette union de sentiments qui honore les habitants de cette commune, ne saurait trop être encouragée. « 

Le 14 germinal an X (4 avril 1802). le préfet prenait un arrêté sur un objet analogue.

Le Préfet du département de la Drôme,

Vu une pétition en date du 4 ventôse dernier, de citoyens attachés à la religion réformée dite protestante de la commune de Vinsobres, arrondissement de Nyons, tendante à être mis en possession concurremment avec les citoyens de la religion catholique romaine du lieu destiné aux cérémonies du culte

Vu l’avis du maire de Vinsobres portant que cette réclamation peut être accueillie

Vu à la suite de cette pétition un second avis du sous-préfet de l’arrondissement portant que, les lois accueillant les demandes de cette nature, il y a lieu d’accorder les fins de celle faite par les protestants de Vinsobres, en réglant les heures où les citoyens pourront se livrer chacun à l’exercice de leur culte

Vu les diverses lois sur cette matière, notamment celle du 11 prairial an III, qui dispose que l’autorité administrative, en admettant les citoyens des divers cultes dans le lieu destiné à l’exercice du culte, réglera l’heure de cet exercice de manière il éviter toute espèce de trouble

Considérant que cette réunion dans un même local de citoyens professant divers cultes doit nécessairement conduire au tolérantisme, si désirable entre des hommes dont le premier besoin est de vivre en société et de ne former sous un même gouvernement qu’une famille de frères; Considérant encore que le local est assez spacieux pour opérer une séparation qui est réclamée et qu’en faisant cette séparation, il ne pourra jamais résulter de cette réunion aucun trouble :

Arrête

Qu’il fait droit à la pétition des citoyens protestants de la commune de Vinsobres et les admet concurremment à l’exercice de leur culte avec les catholiques romains, dans le local destiné au culte en la commune de Vinsobres

Que préalablement les pétitionnaires feront faire à leurs frais la séparation du local, d’après un devis et détail estimatif de l’ouvrage approuvé par le sous-préfet

Charge le sous-préfet de l’arrondissement de Nyons de fixer, malgré la séparation dont est question, les heures pendant lesquelles les citoyens devront exercer les cérémonies de leurs divers cultes, eu égard aux convenances et localités; Le charge en outre de tenir la main à ce que le maire de Vinsobres apporte une surveillance active pour empêcher qu’il ne se commette aucune infraction aux lois et que les réunions se fassent avec ordre et décence.

Marie Desroches.

La loi du 18 germinal an X (8 avril 1802) contient, à la suite de la convention du 26 messidor an IX et des articles organiques de cette convention, les articles organiques des cultes protestants. Elle établissait que les églises réformées de France auraient des pasteurs, des consistoires locaux et des synodes qu’il y aurait une église consistoriale par six mille âmes de la même communion que cinq églises consistoriales formeraient l’arrondissement d’un synode.

Le préfet de la Drôme ordonna le recensement de la population protestante du département.

Le 3 messidor (22 juin), l’adjoint de la commune de La Motte-Chalancon, nommé Arnaud, lui proposa un plan pour l’organisation des églises consistoriales. Il évaluait la population protestante du département à 36 ou 40 000 âmes, qui constitueraient six églises consistoriales. On pourrait les placer à Valence, à Crest, à Die, à La Motte-Chalancon, à Nyons et à Dieulefit .

Le recensement officiel de la population donna des chiffres inférieurs à ceux indiqués par Arnaud. Le dénombrement de la population protestante de l’arrondissement de Valence, effectué en floréal et prairial, accusa un total de 5,689 individus. Le sous-préfet de Die transmit le 1 messidor le résultat du dénombrement de son arrondissement la population protestante s’y élevait à 19,901 âmes il proposait d’établir trois églises consistoriales, l’une à Die, la seconde à Crest, la troisième à La Motte-Chalancon. Le préfet lui répondit que ces trois divisions semblaient bien formées et qu’il devait, dans chacune de ces divisions, convoquer les vingt-cinq chefs de famille les plus imposés au rôle des contributions directes pour élire les membres du consistoire, conformément a l’article 24 de la loi du 18 germinal. L’état de la population protestante du quatrième arrondissement fut transmis par Gaud-Roussillac le 4 thermidor il s’élevait à 4497 individus .

C’est dans le troisième arrondissement que les opérations s’effectuèrent le plus lentement Le 22 thermidor (10 août), le sous-préfet de Montélimar, qui arrivait de Nyons où il avait vu son collègue Pons, écrivait au préfet :

Nous nous sommes occupés des moyens d’organiser une église consistoriale. Le recensement de la population du troisième arrondissement n’est pas au complet; mais en ajoutant le montant des états à fournir à ceux que le sous-préfet a reçus, il me paraît que la population protestante ne se portera pas à quatre mille individus, il vous faudra donc ne former qu’une seule église pour le troisième et le quatrième arrondissements et vous donnerez à vos administrés de cette communion un nouveau témoignage de vos soins paternels en ordonnant les mesures nécessaires pour organiser leur culte. Vous aurez besoin d’un tableau des 25 plus forts contribuables du troisième arrondissement dès qu’il vous sera parvenu, vous connaîtrez les citoyens des deux arrondissements qui sont à convoquer et vous aurez la complaisance de décider le lieu de la convocation. Cet amalgame ne sera peut-être ni agréable, ni commode pour les intéressés, mais la loi le veut ainsi.

Le 2 fructidor (20 août le préfet prenait, en effet, l’arrêté suivant:

Le préfet du département de la Drôme,

Vu la loi du t8 germinal, articles organiques des cultes protestants, section 2, titre 2;

Vu les recensements faits par les sous-préfets des troisième et quatrième arrondissements de la population protestante, chacun de leur arrondissement, ensemble une liste par eux certifiée des 25 chefs de famille les plus imposés aux rôles des contributions directes

Considérant qu’il est juste de faire jouir les communes de ce culte du droit que la loi leur garantit de l’exercer publiquement et librement, en organisant les églises consistoriales que leur population comporte

Considérant en même temps qu’il résulte du recensement précité que la population protestante de chacun de ces arrondissements est insuffisante, puisque celle du troisième ne s’élève qu’à 3286 et celle du quatrième à 4497, pour satisfaire à l’article 16, du titre 2 de la loi ainsi conçu « il y aura une église consistoriale par six mille âmes de la même communion « , et qu’il est par conséquent nécessaire de faire concourir les citoyens protestants de ces deux arrondissements pour la formation de leur église consistoriale, Arrête

Art. 1er . Les vingt-cinq chefs de familles protestantes les plus imposés aux rôles des contributions directes, dans l’un et l’autre de ces arrondissements, seront convoqués par les sous-préfets respectifs pour s’assembler en conformité de la loi ci-dessus dite à l’effet de procéder à l’organisation d’une église consistoriale selon les dispositions de cette loi.

…………………………………………

Art. 3. Cette assemblée aura lieu à Dieulefit, le 18 du courant, en présence du sous-préfet du quatrième arrondissement, qui reste chargé de nous en transmettre immédiatement le procès-verbal.

…………………………………………

La liste des 25 chefs de famille du culte protestant les plus imposés est jointe à l’arrêté. Ce sont Etienne Morin, de Dieulefit ; Cornud, négociant, de Montélimar ; Forquet Berton, de Montélimar; Jean-François Verdet, du Buis ; Autran père, de Montélimar ; Forquet père, de Montélimar ; Gourjon, de Salles ; Henry Morin, de Dieulefit; David Vigne, de Nyons; Bérard, de Savasse; Vigne, négociant, de Montélimar ;Rigot, de Montjoux ; Louis Brachet, de Séderon; Charles Orange, de Nyons; Soubeyran, de Dieulefit ;Autran fils, de Montélimar ; Barnoin, de Montélimar; Albert Beau, de Nyons ;Marie Lacondamine, de Nyons ; Jean Constantin, de Saint-Gervais ; Etienne Verdet, du Buis Pierre ;Vigne, de Nyons ;Pierre Reboul, de Dieulefit ; Charles Bouillane, de Poët-Laval François Vigne, de Nyons .

L’assemblée se tint à Dieulefit, au jour indiqué, en présence de Gaud-Roussillac, sous-préfet de l’arrondissement de Montélimar.

L’assemblée pénétrée de reconnaissance envers le Gouvernement a arrêté qu’il lui serait fait une adresse pour lui exprimer ses sentiments et les vœux ci-après :

1° Qu’il soit accordé six ministres du culte protestant pour desservir l’église consistoriale, attendu que la population excède de 2,000 âmes le nombre voulu par la loi, savoir deux à Dieulefit pour desservir la commune formant l’arrondissement de la justice de paix de Dieulefit, un à Montélimar pour desservir les arrondissements de Montélimar, Marsanne et Pierrelatte, deux à Nyons, pour desservir les communes du troisième arrondissement, excepté Vinsobres et Saint-Maurice, un à Vinsobres pour desservir ces deux communes et celles de l’arrondissement de la justice de paix de Grignan. 2° Qu’il soit établi des temples dans les communes de Dieulefit, Poët-Laval, Vesc, Montjoux, Montélimar, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Sauzet, Allan, Nyons, Vinsobres, Sainte-Euphémie et Taulignan.

3e Que l’église consistoriale soit fixée à Dieuletit comme la commune la plus centrale soit topographiquement, soit en raison de la population du culte protestant.

L’assemblée procédant au choix des membres du consistoire, qu’elle a fixé au nombre de douze, a nommé les citoyens Autran fils, de Montélimar; Cornud, de Montélimar; Gourjon, de Salles: La Condamine, de Nyons: Etienne Morin, de Dieulefit Jean-Henry Morin, de Dieulefit Charles Orange, de Nyons; Pierre Reboul, de Dieulefit; Soubeiran, de Dieulefit Verdet, du Buis David Vigne, de Nyons Pierre Vigne, de Nyons.

L’assemblée rédigea ensuite une adresse au premier Consul :

Citoyen Général Consul,

La Révolution française est finie votre courage et vos lumières l’ont terminée et la sagesse des lois en consolidant votre ouvrage, fixe la liberté et assure le bonheur des Français. Nos cœurs éprouvent le besoin pressant de vous témoigner leur juste reconnaissance sur la tolérante loi du 18 germinal dernier, qui sert la nature et rétablit l’humanité dans ses droits.

Nous n’oublierons jamais que nous sommes citoyens de la grande nation, que la paix des consciences retentit dans l’asile de tous et que le chef suprême de la nation en gouvernant les hommes dans le silence des préjugés, donne au peuple français le sublime exemple de toutes les vertus .

Le 28 vendémiaire an XI (20 octobre 1802), le Conseiller d’Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes écrivait au préfet de la Drôme :

Citoyen Préfet, d’après les renseignements que vous m’avez transmis sur les protestants de votre département, j’ai fait mon rapport au Gouvernement qui a arrêté qu’il y aurait quatre églises consistoriales l’une à Crest, dont le citoyen Lombard-Lachaux a été nommé pasteur; la seconde à Die la troisième à La Motte et la quatrième à Dieulefit. Les consistoires ne m’ayant proposé aucun pasteur pour ces trois dernières églises, je vous prie, citoyen Préfet, de les engager à procéder à leur nomination et à vous en faire l’envoi, que vous voudrez bien me transmettre avec votre avis, pour que je puisse les présenter à l’approbation du Gouvernement. J’ai l’honneur de vous saluer.

PORTALIS .

Peu de temps après, un nouveau dénombrement de la population protestante de l’arrondissement de Valence, donna comme résultat 6120 individus. Une cinquième église consistoriale fut alors établie à Bourg-lès-Valence. Pierre Génies, pasteur à Saint-Jean-du-Gard, élu pasteur de cette église le 19 messidor an XII (8 juillet 1804), fut confirmé dans ces fonctions par un décret impérial du 11 thermidor suivant (30 juillet) .

IXEtat du département à la fin de l’an X.

Par le célèbre décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793), sur le mode de gouvernement provisoire et révolutionnaire, la Convention nationale « centre unique de l’impulsion du Gouvernement » avait exigé de tous les corps constitués et fonctionnaires publics, ministres, généraux, administrateurs de département et de district, qu’ils rendissent compte de leurs actes, tous les dix jours, au Comité de Salut Public.

L’obligation de ces comptes décadaires n’avait jamais été abolie mais, peu à peu, on avait cessé de les rendre. Le Ministre de la Police générale adressa, à ce sujet, une circulaire aux préfets le 29 nivôse an X (19 janvier 1802) :

Les comptes décadaires que les Préfets doivent me rendre de la situation de leurs départements respectifs, sont depuis longtemps négligés, citoyen Préfet.

Ces comptes me sont néanmoins toujours nécessaires pour juger de la situation de la République et pour en présenter au Gouvernement un tableau fidèle.

Cette situation devenant chaque jour plus prospère et plus calme, je conçois qu’il est moins urgent pour vous et moins nécessaire pour moi de multiplier ces comptes, en continuant à m’en présenter un pour l’intervalle de chaque décade. Il me suffira d’en recevoir un chaque mois. Embrassant un plus long espace de temps, et par conséquent plus de faits et d’observations, ces tableaux présenteront plus d’intérêt, et seront encore assez fréquents pour me faire juger de la progression de la tranquillité et de la prospérité publiques. Vous sentirez facilement, citoyen Préfet, que ces comptes ne doivent pas être composes des détails des événements qui font la matière de la correspondance ordinaire ils doivent en être en quelque sorte l’aperçu général et raisonné. Ils doivent être divisés par titres, sous lesquels seront classes les principaux objets de police administrative, tels que la sûreté publique, le monopole ou l’exportation des grains, l’importation des marchandises prohibées, la mendicité, le vagabondage, le brigandage, la conduite des étrangers et des individus mis en surveillance, l’esprit public en général dans le département ou celui de quelques arrondissements et de quelques communes en particulier.

D’autres titres seront déterminés par des circonstances particulières, qu’il vous sera facile de classer, quand elles se présenteront.

Ces comptes que vous devez me rendre, exigent qu’il vous en soit rendu de semblables qui leur serviront d’éléments, par les sous-préfets des divers arrondissements de votre préfecture. Il est donc nécessaire que vous leur adressiez, sans délai, les ordres et les instructions par lesquels vous jugerez qu’ils vous aideront le plus efficacement à seconder mes vues. Je ne suppose pas qu’il soit nécessaire de vous faire sentir l’importance et l’utilité dont peut être un travail de ce genre ; il me suffira de vous dire qu’il doit servir de fondement et de motif au jugement du Gouvernement sur la situation générale de la République.

Aussi la rédaction de ces comptes doit-elle être votre propre ouvrage. Personne ne peut rendre mieux que vous ce que vous avez vu, ce que vous avez conçu, ce que vous avez fait. Plus vous aurez donne de soins à ce travail, plus j’en mettrai moi-même à le faire valoir.

Il convient que le premier de ces comptes présente un état sommaire de la situation de votre département pendant le premier trimestre de cette année, et il suffira que je le reçoive dans le courant du mois de pluviôse. Vous m’adresserez dans les quinze premiers jours de ventôse le compte des deux mois précédents; et pour les comptes subséquents vous suivrez l’ordre des mois que je vous ai prescrit au commencement de ma lettre. Je ne doute pas de votre exactitude à vous y conformer (83).

Le Ministre de l’Intérieur demandait aussi aux préfets des comptes mensuels. Il leur écrivait le 21 ventôse an X (12 mars 1802) :

Je vous invite à m’adresser chaque mois un compte analytique de toutes les décisions, mesures ou arrêtés que vous aurez pris dans toutes les parties d’administration qui vous sont confiées.

Ce compte devra embrasser non seulement tout ce que vous aurez fait, mais encore tout ce que le conseil de préfecture aura décidé.

Vous remarquerez que je ne demande que des indications sommaires. Attachez-vous surtout à les rendre précises, à y exprimer clairement et simplement le point de difficulté de chaque affaire et le motif qui a déterminé votre décision.

Je regrette qu’il soit difficile de faire remonter ces comptes jusqu’au moment où les préfectures se sont établies mais il est convenable que le premier que vous m’adresserez comprenne tout ce qui se sera fait dans votre administration depuis le 1er vendémiaire an 10. Vous voudrez bien me le faire parvenir dans le courant de germinal et à l’avenir, m’envoyer dans les dix premiers jours de chaque mois le compte du mois précédent.

Le 8 floréal (28 avril), le préfet adressa au Ministre de l’Intérieur le compte demandé, ainsi divisé comptabilité, police, instruction publique, ponts et chaussées, organisation administrative, état-civil, agriculture, contributions, domaines nationaux, partie militaire (84). Le 28 messidor (17 juillet, le Ministre de la Police générale demandait aux préfets un résumé de leurs comptes mensuels. Il les invitait à y observer l’ordre suivant :

Le premier article aura pour titre sûreté publique, et il comprendra, sous ce titre, tout ce qui a rapport à la mendicité, au vagabondage, au brigandage, à l’exécution de ma circulaire du 15 pluviôse dernier sur les maisons de jeux, à la police rurale et forestière.

Le second article aura pour titre subsistances, et il comprendra tout ce qui est relatif à la circulation des grains, aux préventions de monopole ou d’exportation, à la police des marchés, à l’état des récoltes à la fin de l’année.

Le troisième article sera intitulé commerce et comprendra tout ce qui a trait à l’importation, par les frontières, des marchandises prohibées, à leur vente dans l’intérieur, et à l’exécution de l’arrêté du 13 fructidor an 9, pour la marque et l’estampille des étoffes étrangères; il comprend également tout ce qui est relatif à l’agiotage et à la circulation des fausses monnaies.

Le quatrième article aura pour titre cultes, et pour objet de faire connaître, conformément à ma lettre du 18 prairial, si la loi du 18 germinal, pour l’approbation du concordat passé, le 26 messidor, entre le Gouvernement français et le Pape, reçoit son entière et unique exécution.

Le cinquième article aura pour titre Police personnelle, et fera connaître ce qui est relatif: 1°) à la conduite des étrangers; 2°) à celle des prévenus d’émigration ; 3°) à l’exécution du senatus-consulte du 6 floréal, sur les émigrés.

Le sixième article sera intitulé Esprit public, et il devra présenter un tableau de celui des départements en général, et des divers arrondissements qui les composent.

Vous pouvez, dans un septième et dernier article comprendre tout ce qui vous paraîtra mériter des observations particulières; mais il est indispensable que l’ordre que je viens d’indiquer soit d’ailleurs exactement suivi. Le résumé que je vous demande va exiger de vous et des autorités qui vous sont subordonnées, des travaux particuliers. Je vous dispense de me rendre des comptes pour les deux derniers mois de cette année ils se trouveront confondus dans le compte que vous m’adresserez exactement dans les premiers jours de vendémiaire an 11(85).

Descorches se trouva en retard pour l’envoi de ce compte rendu. C’est seulement le 29 nivôse an XI (19 janvier 1803) qu’il l’adressa au Grand Juge, Ministre de la Justice, le Ministre de la Police générale ayant été supprimé le 20 fructidor an X (15 septembre 1802), avec une lettre explicative de son retard. :

J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint les divers résumés de mes comptes mensuels de l’an 10, rédigés conformément à la lettre du Ministre de la Police générale du 28 messidor. Grâce, je vous en conjure, pour cet envoi trop tardif. Je vous en ai soumis la première cause par ma lettre du 9 frimaire. S’il s’est différé encore, c’est qu’à l’opération de la levée des conscrits qui n’a cessé de m’occuper, m’occupe encore et m’occupe beaucoup, est venue se joindre celle de l’organisation des succursales du diocèse de Valence que des directions survenues du Conseiller d’Etat charge des cultes, ne m’ont pas permis de différer ainsi que je l’avais cru, et aussi parce que les événements contre la sûreté publique qui nous ont inquiété m’ont fait penser qu’il valait encore mieux agir pour pourvoir au mal présent que raconter le bien passé. Ce compte rendu ne présente guère moins d’intérêt que le tableau du département présenté quelques mois auparavant au premier Consul (86).

Sûreté Publique

Brigandage. Le département de la Drôme, après avoir éprouvé longtemps toutes les horreurs du brigandage, respirait déjà depuis plusieurs mois par l’effet des mesures rigoureuses que le gouvernement avait ordonnées, lorsque l’an 10 a commencé. Cet état de tranquillité a toujours été en s’affermissant, d’une part parce que la colonne d’éclaireurs, bien commandés et servant bien, a continué de remplir ses devoirs avec zèle, avec activité et de faire des arrestations intéressantes, d’autre part et principalement, parce que les actes du gouvernement ralliaient journellement à lui toujours plus la confiance, et l’administration locale, attentive à se conformer à ses intentions d’exercer son action avec une imperturbable impartialité, pesant sur tous les semeurs de désordres, menaçant tous les excès et ne caressant aucune passion, aucun esprit de parti, l’irritation des esprits a cessé avec la principale cause qui l’avait entretenue jusque là. Les amis de l’ordre, et c’est toujours le plus grand nombre, se sont sentis soutenus ils se sont rassurés, ils sont peu à peu sortis de leur inertie. On n’a plus vu dans les brigands que des hommes dangereux pour tous. Ils ont perdu dès lors la principale de leurs forces. Ils ont eté dénoncés, livrés, ou obligés de se tenir étroitement cachés.

Ils n’ont osé se permettre aucune entreprise sur notre territoire dans tout le cours de l’an to. L’aller, le retour de la foire de Beaucaire se sont faits sans qu’aucun voyageur, la nuit comme le jour, ait été exposé même à la plus légère inquiétude.

On a même remarqué que les délits criminels ordinaires ont été moins nombreux dans la partie qui avait été précédemment la plus violemment agitée et couverte de forfaits, je veux dire le quatrième arrondissement, victime bien malheureuse de ses relations de voisinage plus habituelles que dans toutes les autres parties du département avec l’ancien Comtat, à population radicalement pourrie de vieille date, et spécialement les communes de Lapalud, Montdragon, Bollène, Sainte-Cécile, Richerenches, Grillon et Valréas, appartenant au département de Vaucluse.

Cependant il s’est commis quatre assassinats le premier à Charols, quatrième arrondissement, sur un homme marié, vivant mal avec sa femme qui, à son tour, vivait avec un autre. Il y a eu des charges suffisantes contre ces deux-ci pour que le substitut les ait fait saisir je n’ai pas été informé de la fin de cette affaire. Le deuxième à Séderon, troisième arrondissement, sur un propriétaire, à la chute du jour, dans une prairie lui appartenant, dont il gardait le foin. Une douzaine d’hommes déguisés l’assaillirent et le massacrèrent. L’enquête a été inutile on ne doute guère dans le pays que ce n’ait été un acte de vengeance particulière, beaucoup trop complaisamment secondé, mais provoqué par le caractère de cet homme qui le rendait véritablement et généralement odieux. Le troisième à Beausemblant, premier arrondissement, sur un propriétaire qui avait eu la veille une querelle avec un boucher de l’Ardèche, d’où il est résulté sur celui-ci des soupçons restés trop vagues pour que la justice ait pu s’en saisir. Le quatrième aux portes de Valence sur un marchand juif, revenant de Beaucaire avec une somme d’argent assez forte, à ce que les indices ont fait présumer. Il n’avait pas suivi la grande route et avait traversé l’Ardèche, d’où il sortait, après avoir passé le Rhône, sur le bord duquel il a été massacré. On n’a trouvé que son cadavre. On ne doute guère que le complot qui l’a fait périr n’ait été concerté et ne l’ait fait suivre depuis Beaucaire.

Je ne puis terminer ce résumé sous le rapport du brigandage, sans rendre au tribunal spécial la justice de répéter ici le temoignage que je lui ai rendu plusieurs fois, qu’il a beaucoup contribué à notre tranquillité, et particulièrement le commissaire du gouvernement auprès de lui, le citoyen Odouard, par l’activité qu’il a apportée à l’expédition des affaires, par l’attitude et la marche tout à la fois sage et nerveuse, impartiale et sévère de ce tribunal, d’autant plus remarquable qu’un temps fut où il en était tout autrement, mais c’était avant la refonte que le gouvernement avait jugé très à propos d’en faire.

Vagabondage. A peine sensible; a toujours été attentivement surveillé.

Mendicité. De même les mendiants habituels se réduisent à quelques vieillards, des femmes et des petits enfants. Un moment on s’est plaint dans le troisième et le quatrième arrondissement d’essaims fondant de l’Ardèche et de Vaucluse. Mes collègues et moi nous nous sommes entendus pour y mettre ordre.

Maisons de jeux. Je n’ai eu connaissance de rien de semblable à l’objet de la circulaire du ministre de la Police générale du 15 pluviôse. On est si peu riche dans la Drôme, et, ce qui vaut bien mieux que de l’être, assez généralement, soit par goût, soit par besoin, cultivateur ou fabricant. Il y a tout au plus quelques tarotiers bien clandestins, la défense des jeux publics de hasard y étant assez exactement surveillée et maintenue.

Police rurale et forestière. Voilà notre plaie actuelle et notre très grande plaie. Tous les échos de la Drôme n’ont cessé, depuis le premier jour de l’an to jusques au dernier, de retentir des cris qu’elle fait jeter. Cependant la dévastation des bois portée à son comble s’est un peu modérée depuis l’arrivée, vers le milieu de l’année, de l’inspecteur forestier Petit, fort intelligent dans cette partie, intègre et d’une activité qu’on ne saurait trop louer. Quoiqu’il ne soit pas secondé comme il mériterait de l’être et comme il en aurait besoin, et l’intérêt public aussi, les effets de sa présence sont déjà sensibles. Je me fais un devoir majeur de concourir à ses succès de tous mes.moyens.

Je les ai employés de même avec beaucoup de zèle et de persévérance à réprimer le pillage et le maraudage, mais il faudrait pour en venir à bout de bons agents d’exécution. Quel parti tirer pour cela de la plupart des maires et des adjoints? Il faudrait des gardes champêtres bien payés et c’est ce que la très grande majorité des communes est hors d’état de faire. Le conseil de cet arrondissement et le conseil général de ce département ont exprimé le voeu, à l’exécution duquel ils attachent beaucoup de prix, parce qu’ils sont convaincus, et je le suis comme eux, qu’il n’y a pas d’autre remède curatif pour ce mal qui ne s’étend pas moins qu’à rendre toute prospérité agricole impossible, de l’établissement d’une gendarmerie rurale à côte de Ja gendarmerie nationale et sous les ordres des mêmes officiers, laquelle, tenant lieu de gardes champêtres, serait également payée par les communes et valant beaucoup mieux serait payée avec plaisir. Somme toute, en l’an 10, le brigandage rural a été si excessif et si provocant pour les propriétaires qu’en plusieurs endroits ils se sont ligués entre eux pour se défendre, ce qui conduit au bien triste inconvénient qui s’en est suivi, que deux hommes ont été tués, l’un à Nyons, sur l’arbre, volant des olives, un autre dans un hameau aux environs de Valence sur un poirier, sans compter ceux dont je n’ai pas eu connaissance. Il y a eu deux rixes dans des fêtes de village, où la gendarmerie en fonctions et intervenue pour le maintien de l’ordre a été insultée. Pénétré de toute l’importance de consacrer dans l’esprit de la multitude la personne d’un gendarme de service comme étant le bras de la loi, j’ai donné beaucoup de gravité à ces délits. J’ai saisi cette occasion de proclamer les principes qui font ressortir des intérêts même de chacun la vérité que je viens de dire. J’envoyai sur le champ avec appareil dans un de ces villages une petite garnison militaire aux frais des habitants. Dans l’autre, situé dans les montagnes, au fond du troisième arrondissement, où la rareté des grains et leur cherté excitaient en ce moment de vives inquiétudes, l’ai cru devoir m’abstenir d’une correction semblable. Mais j’ai suspendu à l’instant le maire trop faible qui a été destitué depuis par le Ministre de l’Intérieur, et j’ai provoqué la sévérité du substitut envers les auteurs du trouble. Il a été lancé six mandats d’arrêt. Cette affaire est encore en instance devant le tribunal de police correctionnelle de Nyons.

Subsistances

Je n’ai malheureusement sur cet article que des détails bien tristes à présenter. Cependant :

1°) Sur la circulation des grains, rien ne la gêne; seulement la pénurie s’étant fait sentir dès avant la récolte, il se manifesta quelques mouvements dans les marchés sur deux ou trois points. Le maire de Valence prit même assez d’inquiétude pour me demander de l’autoriser à faire visiter les greniers. Je lui répondis bien vite « Point d’inquisition, et protection ferme et soutenue de la plus libre circulation voilà les seuls bons approvisionneurs. » J’ordonnai en même temps à la gendarmerie une surveillance attentive et sévère au moindre trouble à la police des marchés. Je répandis des instructions, la tranquillité ne fut pas troublée et la circulation n’a pas même été depuis menacée un seul instant

2°) Sur les préventions de monopole :aucune, au contraire les marchands de blé sont assez nombreux pour que la concurrence entre eux établisse le prix marchand au taux où il doit être, et se conduisent généralement assez bien pour être vus d’un bon œil d’exportation; impossible le prix des grains s’étant soutenu à quelques centimes près du maximum de celui de toute la république.

3°) Sur la police des marchés, il ne m’a été porté aucune plainte.

4°) Mais, l’état de la récolte à la fin de l’année a été tout ce qu’on imagine de plus affligeant.

La récolte de l’année précédente avait déjà été mauvaise. Ainsi que je viens de le dire, deux mois avant la récolte de l’an 10 des besoins se sont fait sentir. Le bas Rhône tirait alors. Les spéculateurs n’avaient osé se pourvoir et les propriétaires et métayers qui le savaient voulaient en profiter. Ils retenaient caché ce qui leur restait. Cet état fâcheux des choses me causa un moment d’assez vives inquiétudes. Je trouvai dans quelques-uns des commerçants des sentiments assez honnêtes pour aider mes instances à obtenir d’eux de hasarder des achats. Le Rhône nous apporta quelques bateaux de blé. Je fis retentir cet acte civique de la part des négociants qu’il honorait et le blé du pays reparut. On a estimé néanmoins le déficit de cette récolte à la consommation d’un mois.

Quant à la dernière, on s’accorde à dire que de mémoire d’homme il ne s’en était pas vu d’aussi calamiteuse par l’effet de toutes les intempéries que ce département a éprouvées successivement, inondations à la fin de l’an 9 et au commencement de l’an 10, qui ont empêché beaucoup de semailles et noyé une partie de celles faites, deux violents orages en germinal, une forte gelée tardive à la fin de floréal et une sécheresse prolongée et extrême dans le cours de l’été. On estime le déficit de cette récolte du tiers ou la moitié de la consommation. On a essayé d’y suppléer par force pommes de terre et légumes, la sécheresse a tout fait avorter.

Aussi la récolte était à peine terminée, qu’au lieu de l’abondance qui se fait sentir ordinairement en ce moment, on n’a entendu de toutes parts que des lamentations. Ma correspondance était pleine des détails les plus alarmants sur l’avenir, dont la frayeur et la consternation répandues dans tous les esprits grossissaient encore les embarras. Je ne manquai pas de revoir les spéculateurs. Ils étaient découragés par la perte que leurs opérations précédentes leur avaient fait éprouver. On leur avait persuadé, et c’était sans doute les propriétaires de grains qui cherchaient à accréditer ce bruit, que le gouvernement avait à cette époque donné des primes. Ils me déclarèrent formellement qu’ils n’entreprendraient rien qu’ils ne sussent bien à quoi s’en tenir sur ce que le gouvernement jugerait à propos de faire Le Ministre de l’Intérieur le sait. Sur-le-champ j’avais soin de le tenir exactement informé de notre situation. Il ne tarda pas à me mettre à même de publier des avis rassurants. Ils ont produit l’effet que je pouvais désirer, parce que la confiance est entière. Le peuple souffre, le blé est très cher, la misère grave et nombreuse mais il s’est fait des approvisionnements, il arrive des grains, tout se passe tranquillement.

Commerce

Importation des marchandises prohibées leur vente à l’intérieur. Il se fait si peu de consommation de luxe dans ce département, où il y a de l’aisance assez généralement, mais pas de richesse à superflu, qu’il n’y a pas d’appât pour les spéculations de cette espèce, capable d’en balancer les risques.

Exécution de l’arrêté du 13 fructidor an 9. – Aussi les commissaires que j’avais nommés en conséquence, après avoir fait des visites sans aucun produit dans les principales villes, ont-ils été bientôt supprimés comme inutiles par le Ministre de l’Intérieur, d’autant plus que nous n’avons aucune fabrication susceptible de la marque il ne se fabrique dans la Drôme en étoffes que des lainages communs.

Agiotage. II y a comme partout des marchands d’argent bien avides, à l’affût des besoins qu’ils peuvent mettre à contribution, mais le commerce ne comporte pas un mouvement d’espèces qui puisse prêter à l’agiotage proprement dit.

Circulation des fausses monnaies. II s’est répandu quelques fausses pièces de cuivre. Dès que j’en ai été informé, je me suis empressé de transmettre tous les renseignements qui m’étaient parvenus au Commissaire près le tribunal criminel, qui a porté l’activité et le zèle qui lui sont propres dans l’enquête qui s’en est suivie. Deux ou trois prévenus ont été saisis, puis acquittés par le tribunal à défaut de preuves suffisantes.

Culte

Exécution de la loi du 18 germinal approbation du Concordat. – L’évêque de Valence n’étant arrivé que sur la fin de fructidor, j’anticipe sur l’an onze pour dire qu’elle est tout ce qu’on pouvait la désirer, qu’elle surpasse même mes espérances. Un seul prêtre reste en ce moment, à ma connaissance, à se rallier il a même quitté le pays. On le dit à Lyon. Il se nomme Monicault, était grand vicaire de l’ancien évêque Messey.

Il en est plus d’un autre que je suis assez fondé à soupçonner de n’être pas sans humeur au fond du cœur et pour qui le pape n’est pas aussi catholique qu’ils le voudraient bien. A la publication du Concordat, ils ont tenté d’égarer l’opinion sur le jugement qu’on en devait porter. Mais elle a été plus puissante que l’âcreté de leur bile. Elle s’est hautement et fortement prononcée dans un sens tout contraire. Ils l’ont bientôt senti et aussitôt ils se sont repliés sur eux-mêmes. Je ne crois guère à la sincérité de leur conversion apparente. Mais je ne puis les accuser ils sont tranquilles ils suivent le torrent et font comme tout le monde.

Je n’ai jamais eu trop à me plaindre de la conduite d’aucun. Dès avant le Concordat, les opinions religieuses quoique fort dominantes dans ce pays, n’ont excité nulle part des désordres assez graves pour que je dusse m’en occuper beaucoup. J’avais soin de tenir exactement la main à l’exécution de la loi dans tout ce qui était public je fermais les yeux sur ce qui restait caché et ne causait pas de trouble. On m’en a su gré et le crédit que j’ai acquis sur bien des esprits m’a servi très utilement pour les rapprochements et la réunion, lorsqu’il s’est agi de l’opérer à l’arrivée de l’évêque. Elle s’est faite, je ne dirai pas cordialement, mais décemment et extérieurement, il n’en fallait pas davantage, ce me semble, pour l’ordre public. Le reste n’est qu’une affaire particulière. Le caractère de l’évêque est infiniment propre au maintien de la paix. Tout entier de cœur et d’esprit au Concordat, de même aux intentions du Gouvernement, il a pris au milieu des divers partis une attitude imperturbablement impartiale qu’il assaisonne de beaucoup d’onction et des formes d’une bonhomie contre laquelle toutes les mauvaises intentions viennent s’émousser. Le concert parfait dans lequel nous agissons achève de les retenir ou de les réduire au silence. Ce prélat était appelé par la très grande majorité des vœux

1°) comme évêque, on sentait le besoin d’un chef;

2°) à cause de la réputation qui l’avait précédé. Ce n’est pas qu’on n’eût essayé aussi de jeter de la défaveur sur lui, à raison de sa qualité d’évêque constitutionnel, mais cette tentative n’avait pas été plus heureuse que celle dont j’ai parlé. Dès qu’il a paru, tout le monde s’est empressé vers lui. Il est très heureusement devenu le centre unique et impulsif de tout ce qu’il y a de catholique dans ce diocèse, dont la population se compose en outre d’un sixième environ de protestants, qui se sont de leur côté très exactement et avec reconnaissance conformés aux dispositions les concernant de la loi du 18 germinal. Généralement laborieux, moraux et pacifiques, ils paraissent ne se rappeler les persécutions, pourtant encore assez récentes, que pour bénir les lois qui leur assurent l’exercice de leurs droits et donner l’exemple de la concorde et de la tolérance, qui sont le beau et le vrai caractère des sentiments sincèrement religieux. Il leur a été accordé quatre églises consistoriales ils en désirent et espèrent une cinquième, qu’ils croient que comporte leur population mal dénombrée dans la première opération.

Police personnelle

Etrangers. Point.

Prévenus d’émigration. Je n’en connais plus aucun actuellement dans le département qui n’ait été amnistié ou qui n’ait rempli les formalités requises pour l’être. Exécution du sénatus-consulte du 6 floréal (87). Complète, avec empressement et même au moins tous les dehors de la reconnaissance. Leur conduite y répond. Elle a été généralement bonne, en ce qu’elle est réservée. Il n’en est pas un seul dont il m’ait été porté des plaintes.

Esprit public du département

En général. – Beaucoup d’égoïsme et toute la sécheresse d’âme qu’il produit; peu d’instruction et, ce qui est plus fâcheux encore, une grande indifférence pour en acquérir; la tête vide par conséquent, se remplissant de vent dans les uns, et de là, la vanité et l’orgueil de préjugés et de petitesses dans les autres, et de là le goût des pratiques, des momeries religieuses sans sentiments véritablement religieux l’empire des habitudes routinières, de là des prétentions de toute espèce s’occupant infiniment plus des titres des autres que de se donner soi-même aucune cordialité des coteries partout formées, presque toutes par le désœuvrement et l’ennui, entretenues sans attrait et dont la malignité seule fait les frais et le lien, société nulle part. Tel est le fonds du caractère des habitants de ce pays-ci et le tableau qu’ils offrent, considérés en masse, aux yeux de l’observateur. Je n’ai sûrement pas besoin d’ajouter qu’il comporte sans doute beaucoup d’exceptions.

Cependant les Dromois ont naturellement de l’esprit et de l’intelligence qui les feraient réussir aisément dans ce qu’ils entreprendraient s’ils étaient bien diriges, mais ils entreprennent peu parce qu’ils sont méfiants, parce qu’ils sont ignorants, d’où il résulte que tout adonnés qu’ils sont au soin de leurs affaires qui paraissent les absorber et qu’ils font effectivement en général avec ordre et application, ils ne font guère que se traîner dans le cercle étroit qu’ils ont accoutumé de parcourir.

Il est aisé de juger ce que peut être l’esprit public dans un pareil pays. Il est, au reste, dans ce que sa très pâle physionomie permet d’en juger, tout ce qu’il peut offrir au gouvernement de gages des plus favorables sentiments. Il s’est même signalé au-delà de mes espérances lorsqu’il s’est agi de voter pour le Consulat à vie du Premier Consul. Il en est sorti, sans aucune provocation, que j’aurais regardée comme inconvenante et en quelque sorte injurieuse soit pour l’un, soit pour les autres, étant bien sûr de l’assentiment général sans l’être également de l’expression, plus de 32000 suffrages affirmatifs, un seul négatif.

Le même esprit s’est manifesté à la publication du sénatus-consulte organique du 16 thermidor, avec plus de dissidence dans les opinions, soit sur la forme, soit sur le fond, parce que les questions étaient ici tout autrement compliquées, et cette dissidence même n’a servi, par le peu d’effet qu’elle a produit, qu’à prouver combien la confiance était ferme et étendue.

Une autre preuve bien sensible, c’est la désapprobation donnée hautement à la démission à cette époque de l’ex tribun Duchesne (88), très chéri et estimé de tout le monde, ainsi que la conduite la plus morale et la plus honnête sous tous les rapports le lui ont effectivement bien mérité. C’est un vrai patriarche à voir à la tête de sa famille.

Les lois s’exécutent sans aucun effort, je puis même dire avec inclination. On aime en général le régime républicain, on partage avec toute la France l’admiration et la reconnaissance pour l’ordre actuel des choses dont on ressent déjà tant de bien, et l’on est fier de la gloire que la République en retire.

Des divers arrondissements en particulier. – A tous ces égards, je n’aurais qu’à me répéter, en parcourant successivement les quatre arrondissements. Il n’y a absolument de différence que dans les formes, à raison de la différence très sensible des caractères, spécialement entre les habitants de la partie méridionale, qui commencent à participer de la vivacité turbulente et incandescente des Provençaux, se ressentant un peu d’ailleurs du contact avec l’ancien Comtat qui, en fait de moralité, ressemblait beaucoup à un cloaque, et les habitants de la partie septentrionale qui ont tout le calme, mais aussi tout le retors du vieux Dauphinois. La rivière de la Drôme fait la ligne de démarcation, assez marquée pour qu’on pût croire, à cet égard, passer d’une rive à l’autre dans deux pays étrangers.

Observations particulières

Je n’en ai pas d’autres à ajouter à ce que j’ai présenté à sa place dans chacun des articles ci-dessus, si ce n’est que l’administration, quoique infiniment améliorée dans toutes ses parties dans le cours de l’an 9, est restée encore loin de ses effets désirables et le restera toujours faute de moyens d’exécution locale, avec les maires et adjoints auxquels nous sommes réduits dans l’organisation actuelle de ce département. Les communes y sont beaucoup trop multipliées. Il y en a plusieurs dont les maires savent à peine, c’est a la lettre, signer leur nom et très difficilement lire, d’autres où il n’est pas possible de former de conseil municipal. Tout ce qui s’ensuit s’indique de lui-même; il faut pourtant à l’action d’une bonne police, nommément que celui qui la dirige puisse avoir des yeux sur tous les points et des instruments capables d’exécuter ce qui leur est prescrit.

Cette plaie des petites communes, en faisant leur malheur, fait la désolation des sous-préfets comme la mienne. Il est des maires, et beaucoup plus d’un, dont on ne peut rien arracher que par des gendarmes qu’il faut leur envoyer à leurs frais.

Je vous prie, Citoyen Grand Juge, de vous taire une idée de mon embarras avec de pareils ouvriers pour toute espèce de travail général et qui demande de l’exactitude. J’écris des volumes, je pastoralise comme saint Augustin et je n’en suis pas beaucoup plus avancé. Je n’acquiers que la conviction de l’impossibilité de parvenir à rien compléter. Nous demandons des réunions. Soyez-nous en aide.

CLAUDE FAURE.

Notes :

(1) Né en 1750, commis de la Ferme générale, receveur des douanes à Dunkerque, régisseur des douanes nationales le 14 octobre 1792. Préfet de la Drôme et de Seine-et-Marne. Premier Directeur général des douanes (16 septembre 1801). Conseiller d’Etat. Membre de la Légion d’honneur (1803). Commandeur de l’Ordre (1804). Créé comte de l’Empire (24 avril 1808) et autorisé à ajouter à son nom patronymique celui de Sussy. Grand officier de la Légion d’honneur (1811). Ministre des manufactures et du commerce (1812). Pair de France et premier président de la Cour des Comptes (1815). Destitué par la seconde Restauration (1815). Appelé par le ministre Decazes (1819) à la Chambre des Pairs. Mort le 7 juillet 1826. (D’après une notice imprimée, probablement extraite d’un Annuaire des Douanes, obligeamment communiquée par M. A. Hugues, archiviste du département de Seine-et-Marne).

(2) Collin au ministre de l’Intérieur, 10 germinal. Arch. Nat F 1 b II, Drôme, 2.

(3) Toutes les nominations sont mentionnées dans le « Registre des fonctionnaires administratifs nommés par le premier Consul et ensuite par l’Empereur, depuis l’établissement de la Constitution de l’an 8 ». (Arch. de la Drôme, M. 1). Beaucoup se trouvent aussi aux Archives Nationales, dans le carton coté F 1 b II, Drôme, 2.

(4) Sur Curnier, voir Brun-Durand, Dictionnaire biographique de la Drôme, t. 1, p 329.

(5) Arch. Nat F b II, Drôme, 2. Cf. BRUN-DURAND, op. cit., t. II, p. 98.

(6) Arch. Nat., mème carton.

(7) Cf. BRUN-DURAND, op. Cit., t. II, p. 116.

(8) Brun-Durand, Op. Cit., t. I, p. 398.

(9) Athénor au Préfet, 1er floréal an VIII (21 avnl 1800). Lettre transmise au ministre de l’Intérieur le 3 floréal (Arch. nat., F b II, Drôme, 2).

(10) Arch. nat., carton cité.

(11) Arch. de la Drôme, M. II, dossiers personnels des sous-préfets Note autobiographique en date du 16 germinal an X (6 avril 1802).

(12) Sous la Restauration, Gaud-Roussillac fut en butte à plus d’une tracasserie. Le 29 octobre 1822, son successeur à la sous-préfecture de Montélimar dénonçait au préfet une réunion tenue chez lui. « Réduit en quelque sorte à la pension qu’il tient des bienfaits du Roi, il est forcé de s’industrier pour soutenir sa famille composée d’un fils et de trois filles. Après avoir essayé du séjour de Nyons et de Montélimar, il est venu s’établir à Saint-Marcel dans la maison abandonnée par M Sautayra. C’est là que Mesdemoiselles ses filles cherchent à former un pensionnat ou tout au moins une école pour les personnes de leur sexe. Le malaise de cette position et surtout les goûts et les besoins de M. Roussillac le portent à s’accrocher aux branches de toutes les révolutions présentes et futures. L’état de détresse où il se trouve et dont il devrait s’accuser au lieu du gouvernement, tut donne un air de victime qu’il fait valoir avec habileté. Il est en un mot le point de mire de tous ceux qui fomentent ou attisent des haines contre la dynastie des Bourbons ».

Cette lettre fut transmise au Ministre de l’intérieur et, le 18 novembre, le directeur de la police recommandait au préfet d’avoir les yeux ouverts sur les démarches de Gaud-Roussillac. « Quant au pensionnat que ses filles se proposent d’établir, vous devez leur refuser l’autorisation nécessaire, si, comme tl le paraît, leurs principes sont un motif de craintes fondées ». (Archives de la Drôme, M. 11; sous-préfets, dossier Gaud-Roussillac).

(13 Le Ministre de l’Intérieur, par une circulaire du 4 germinal an VIII (25 mars 1800), avait invité les préfets à désigner les membres du Conseil général de leur département et ceux des Conseils d’arrondissement. « Vous fixerez principalement votre attention, disait-il, sur ceux qui, par leur moralité comme par leur attachement aux principes républicains, et par des acquisitions de domaines nationaux, présentent au Gouvernement une garantie de leur dévouement et de leur fidélité à la Constitution de l’an VIII ». Le préfet de la Drôme adressa ses propositions au Ministre le 9 floréal (29 avril). (Arch. de la Drôme, M. 461).

(14) Arch. nat., F 1 II, Drôme, 2. Arch. de la Drôme, M. 1 Registre des Fonctionnaires.

(15) La proclamation des Consuls du 17 ventose (8 mars) annonçait que l’Angleterre refusait la paix. « Déchirer la France, détruire sa marine et ses ports l’effacer du tableau de l’Europe, ou l’abaisser au rang des puissances secondaires; tenir toutes les nations du continent divisées, pour s’emparer du commerce de toutes, et s’enrichir de leurs dépouilles; c’est pour obtenir ces affreux succès, que l’Angleterre répand l’or, prodigue les promesses, et multiplie les intrigues » etc. L’arrêté du même jour créait une armée de réserve, forte de 60,000 hommes, directement commandée par le premier Consul, qui devait se concentrer autour de Dijon.

(16) Arch. Nat, F 1ere III, Drôme, II, affiche imprimée. En marge « faible, accuser réception ».

(17) Arch. de la Drôme, L. 357.

(18) Arch. de la Drôme, L. 74, fol. 127.

(19) Arch. de la Drôme, L. 364. Tous les détails qui vont suivre sont empruntés à cette liasse.

(20) Ibid. Le commissaire du Directoire exécutif près l’administration municipale du canton de Pierrelatte, au citoyen Brosset, commissaire du Directoire exécutif près l’administration centrale du département de la Drôme, 27 vendémiaire, an VIII.

(21) Extrait de l’Arrêté de l’administration centrale du 16 brumaire an VIII (7 novembre 1799)

« Art. 27. L’agent ou l’adjoint municipal ainsi que la garde nationale de la commune de Montségur ont donné le 3 de ce mois une preuve éclatante de zèle et d’humanité; l’administration centrale s’empresse de leur en témoigner sa satisfaction au nom de tous les citoyens du département. L’adjoint municipal Stève en se mettant à la tête de 60 bons citoyens a montré qu’il était digne de remplir ses honorables fonctions Il mérite l’estime publique.

Art. 28. Il doit être versé des pleurs sur la tombe du brave Jean Joussain. Son dévouement civique doit être honoré par ses contemporains. L’administration municipale du canton de Grignan fera placer dans le temple décadaire une inscription en grosses lettres qui rappelle à la postérité le sujet et le genre de mort qu’a essuyé ce généreux républicain ».

Arch. de la Drôme, L. 78, fol. 186.

(22) Administration municipale du canton de Taulignan et commissaire du Gouvernement près l’administration du canton de Grignan à l’administration centrale, 6 et 7 ventôse an VIII.

(23) Le département de la Drôme faisait partie de la 7e division militaire, comprenant, en outre, l’Isère, les Hautes-Alpes, le Mont-, Blanc, le Léman.

(24) Arch. de la Drôme, M, 1322. J’indiquerai ici, une fois pour toutes, que tous les documents cités dans la suite de ce travail sans indication de source sont empruntés à ces archives, dossiers de la police générale, actuellement cotés M, 1122 (an VIII), M, 1323 (an IX), M, 1324 (an X). Ces cotes ne sont que provisoires, la série M devant être prochainement reclassée conformément aux prescriptions de la circulaire ministérielle du 25 mars 1909.

(25) Arch. de la Drôme. M, 1593. Commissaire du Gouvernement près le canton de Grignan au préfet, 12 germinal; Rapports de la gendarmerie et du juge de paix, 13 germinal an VIII.

(26) Arch de la Drôme, M, 1644. Administration municipale du canton de Taulignan au préfet, 20 germinal an VIII

(27) Sous-préfet de Montélimar au préfet, 19 et 20 floréal an VIII; juge de paix du canton de Marsanne au préfet, 30 floréal.

(28) Sous-préfet de Montélimar au préfet, 1erprairial.

(29) Sous-préfet de Montélimar au préfet, 1er, 2, 5 prairial an VIII (21, 22, 25 mai 1800).

(29 bis) Sous-préfet de Montélimar au préfet, 14 prairial; préfet au ministre de la Police générale, 10 messidor; sous-préfet de Montélimar au préfet, 12 thermidor.

(30) Arch. de la Drôme, M. 1625. Sous-préfet de Nyons au préfet, 21 prairial; maire et adjoints de la commune de Nyons au préfet, 24 prairial. – Préfet au ministre de la Police générale, 10 messidor (M. 1312). – Par jugement du 25 thermidor an VIII (13 août 1800), le tribunal civil de Nyons, appliquant à la commune de Mirabel la loi du 10 vendémiaire an IV, la condamna à payer 22300 francs d’indemnité, 10000 à Denis-Julien Moreau, 5000 au notaire Laget, 5000 à la veuve Richard; 2000 à Pierre Garnier neveu et 300 à Pierre Fauque. Le conseil municipal protesta contre ce jugement, affirmant que la municipalité avait fait son possible pour maintenir l’ordre.

(31) Sous-préfet de Montélimar au préfet, 29 messidor et 4 thermidor.

(32) Préfet au Ministre de l’Intérieur, 23 thermidor.

(33) Placard, imprimé à 6000 exemplaires. A Avignon, chez Alphonse Bérenguicr, imprimeur des autorités militaires, place du Change.

(34) Archives nationales, FI b II, Drôme, 2.

(35) Arch. nat., carton cité. En marge de la lettre on lit « Le Consul s’oppose à tout changement ».

(36) Ibid. Dans une lettre de Descorches à Collin, du 24 ventôse (15 mars 1801), on lit La Drôme, mon cher collègue, toute la Drôme à ce qu’il me semble, vous conserve un souvenir de reconnaissance et d’estime dont je me fais un grand plaisir de pouvoir, vous assurer. La renommée y parle souvent de vos sentiments, de vos vues, de vos ouvres. » (Arch. de la Drôme, Statistique, M. 2342 (n° provisoire).

(37) Ce procès-verbal est transcrit dans un gros volume, intitulé Registre général de la sous-préfecture du deuxième arrondissement de la Drôme séant à Dye, réintégré récemment des archives de la sous-préfecture de Die à celles de la préfecture.

(38) Observations sur le département de la Drôme, par le citoyen Collin, préfet, publiées par ordre du Ministre de l’Intérieur. A Paris, de 1’Imprimerie des Sourds-Muets, rue et faubourg Saint-Jacques, n° 115, an IX, in-8°, 48 pages.

(39) L’administration centrale du département de la Drôme, délibérant sur une circulaire du Ministre de l’Intérieur du 3 floréal an VI (22 avril 1708). avait pris un arrêté, le 9 prairial suivant (28 mai), établissant à Valence une société libre d’agriculture, composée de 42 membres. L’article IX fixait les conditions pour être éligible « 1er) être propriétaire d’une quantité de terrain suffisante pour l’exploitation d’une charrue; 2°) être âgé de vingt-cinq ans; 3°) avoir donné des preuves d’attachement à la République a (L. 76, fol. 124. 27) ».

(40) Arch. de la Drôme, Statistique, M. 2342 (n° provisoire).

(41) Arch. de la Drôme, Statistique, M. 2342. Copie envoyée par Collin à Descorches, le 12 germinal an IX (2 avril 1801).

(42) Arch. de la Drôme. Correspondance du secrétariat général du 8 brumaire au 14 germinal an IX, n° 82 (M. 34).

(43) Arch. de la Drôme, M.9. Cf. BRUN-DURAND, Dictionnaire biographique de la Drôme, t. I p. 245, et Notice biographique sur le marquis de Sainte-Croix (Marie-Louis-Henri Descorches) par H. de Lestrées (Extrait de la Revue générale biographique, politique et littéraire, publiée sous la direction de M. E. Pascallet). Paris. 1846, in-8°, 12 p.

(44) Préfet au Ministre de la Police générale, 6 ventôse (25 février).

(45) Sous-préfet de Montélimar au Préfet, 11 ventôse. La commission était composée de Nagle, chef de bataillon, président; Perrier, capitaine ; Lacroix, lieutenant, Rémy, lieutenant, Guilbert, lieutenant, Dufour, sous-lieutenant, Pelletier, capitaine, chargé du rapport de la procédure ; Rey, secrétaire-greffier.

(46) Sous-préfet de Montélimar au Préfet, 21 ventôse an IX.

(47) Un résumé de cette lettre a paru dans Le Moniteur, n° 204, 24 germinal an IX.

(48) Arch. de la Drôme, U.19

(49) « Je sais que son vœu particulier serait, comme père de famille et à raison de sa fortune qui a reçu de grands échecs des persécutions et des efforts que la dispendieuse sous-préfecture de Montélimar l’a forcé de faire jusqu’ici, pour le Corps législatif ou le Tribunal, dont une recommandation du gouvernement lui ouvrirait sûrement la porte. Pour moi, qui tout en m’intéressant beaucoup au citoyen Roussillac, m’intéresse encore plus à la chose publique, je verrais avec peine que l’administration le perdit, parce que dans ce moment surtout où il faut gouverner les hommes encore plus que les affaires, il y est infiniment propre par son esprit qui a du tact, son caractère de la mesure et de l’onction et son coeur de la sensibilité. » (Préfet au Ministre de l’Intérieur, messidor an IX; Arch. de la Drôme, M. 12, dossier Gaud-Rousstllac).

(50) Seuls Duval, Pelletier et Odeyer avaient été installés, le 9 floréal, comme membres du tribunal criminel spécial, après avoir prêté le serment de remplir fidèlement leurs fonctions de juge et celui de fidélité à la Constitution (Arch. de la Drôme, U. 19).

(51) Arch. de la Drôme, U.17. Lettre du commissaire du Gouvernement près le tribunal criminel au préfet (25 thermidor), lui transmettant arrêté du premier Consul du 12 du même mois

(52) La minute de ce tableau, tout entière de la main de Descorches, est aux Archives de la Drôme, M. 1295 (n° provisoire); l’expédition aux Archives nationales, F 1 III Drôme, 6. Aux archives de la Drôme existe aussiun abrège du tableau ; j’y ai fait, vers la fin, quelques emprunt., indiques entre crochets. J’ai éclairé ou complété le texte par quelques notes.

(53) « Il se peut que l’inconvenance de quelques-uns de ses procédés ne soit provenue que de la vanité blessée d’une femme intrigante et qui a subjugué notre adjudant. Je n’ai jamais aimé qu’Hercule filat aux pieds d’Omphale mais il n’est que trop de guerriers qui réalisent cette fable ingénieuse » (Sous-préfet de Montélimar au préfet, 9 messidor an IX (28 juin 1801).

(54) Deux à Valence ; trois à Romans : la Charité, Sainte-Foi, l’hôpital général; un dans chacune des localités suivantes : Die, Crest, Mirabel, Nyons, le Buis, Montélimar, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Pierrelatte, Grignan, Suze-la-Rousse (Etat de situation du département de la Drôme pendant le quatrième trimestre de l’An IX)

(55) Arrêté du 9 floréal an IX (1er mai 1801) relatif au paiement des dépenses des militaires malades admis dans les hospices civils. – Art. 1er Dans tous les hospices civils qui n’ont pas fait au ministre de la Guerre des soumissions acceptées, le prix de la journée des militaires malades sera de dix centimes en sus de ce qu’il était en 1788.

(56) Mémoire présenté par l’administration centrale du département de la Drôme aux représentants du peuple, Membres du Conseil des Cinq-Cents, en réduction du contingent qui lui a été assigné dans la contribution foncière par la répartition générale de 1791 – Valence, J -J. Viret, an V de la République, 60 pages. (Arch. nat Fle III, Drôme, 6).

(57) « La gelée du 23 au 24. germinal (13 au 14 avril) a desséché entièrement les premiers bourgeons des mûriers et des vignes et a détruit les espérances que présentaient l’éducation des vers-à-soie et les vendanges. Cet événement réduira à l’indigence la presque universalité des contribuables des communes méridionales de mon arrondissement. Les communes les plus méridionales, Rochegude, Suze, Bouchet, Baume, Tulette et vingt-cinq autres ont vu périr en entier leur récolte en vins et en cocons; les quatre premières vont être sans moyens de subsistance. A juger par les rapports, soit officiels, soit autres, qui me sont parvenus, une somme de 300000 francs couvrirait à peine les dommages ». (Sous-préfet de Montélimar au préfet, 14 floréal an IX)

(58) Sur ces trois personnages, voir BRUN-DURAND, Dict. Biogr. De la Drôme, t. I, p. 111 et 343, t. II, p. 310.

(59) «Il s’est forme, depuis peu, dans ces contrées, un établissement qui peut devenir très important; c’est la fabrique de poterie du citoyen Raymond à Saint-Uze. Cette poterie a le lustre de la plus belle fayence, sans qu’ entre, dans la composition de la couverte, aucune espèce de vernis ni de métal. Il s’y fait des vases très solides, propres à contenir et conserver toute espèce de liquides; il fait des creusets qui égalent en solidité ceux d’Allemagne et qui sont fort recherchés; il s’y fabrique aussi toute sorte d’ustensiles de chimie que la France a, jusqu’à présent, tirés de l’étranger » (Extrait d’un mémoire lu a la Société d’agriculture de la Drôme, le 4 brumaire an IX, par Daly, Archives de la Drôme, M. 2392).

« A Saint-Uze, j‘ai visité avec autant d’intérêt que d’attention l’établissement qu’y forme le citoyen Raymond d’une fabrique de poterie de grès, celle dont le jury départemental a jugé les échantillons, que j‘ai eu l’honneur de vous adresser, dignes de concourir pour obtenir l’honneur de l’exposition nationale. Le grand tour, les fours, les sécheries, enfin tous les bâtiments nécessaires à une fabrique de cette espèce sont près d’être achevés. Le citoyen Raymond s’est associé comme directeur un Allemand nommé Muller, dont on dit que les connaissances et l’intelligence en ce genre sont éprouvées » (Préfet au Ministre de l’Intérieur, 18 fructidor an IX (5 septembre 1801), Arch, nat Fle III), Drôme, t II).

(60) Cf. BRUN-DURAND, Dict. Biogr. de la Drôme, t. II, p. 1955.

(61) Cf Notice sur l’abbé Chamieu, savant dauphinois (1733-1808), par Charles BELLET. Valence, Céas, 1906 in-8°, 20 pages.

(62) Coeuret, professeur de mathématiques à l’Ecole d’Artillerie de Valence, fut nommé, en nivôse an VI, en la même qualité à l’Ecole centrale de la Drôme, à Montélimar, mais n’occupa jamais ce poste. Il fut chargé par l’administration centrale et par le préfet de procéder à la comparaison des anciennes mesures avec les nouvelles. II a publié sur ce sujet deux ouvrages : 1°) Instruction pour l’emploi des nouveaux poids comparés aux anciens dans le département de la Drôme, ordonnée par le préfet et rédigée par le citoyen Coeuret, professeur de mathématiques à l’Ecole centrale. Valence, Bénistant et Gallet, s. d., petit in- 15 p.

2° Instruction pour l’emploi des nouvelles mesures agraires, de superficie, de capacité et de solidité dans le département de la Dr6me, ordonnée par le Préfet et rédigée par le cit. Coeuret, professeur de mathématiques. Valence, Marc Aurel et Bonnet, vendémiaire an X, in-4°, 30 p.

(63) Odouard (Mathieu-Barthélémy) né à Montélimar en 1758, était en l’an IX substitut du commissaire du gouvernement près le tribunal criminel du département de la Drôme pour l’arrondissement de Montélimar. Voici en quels termes le préfet le Jugeait dans une lettre au ministre de la Police générale du 16 thermidor an IX (4 août 1801) « Ce substitut nommé Odouard est déjà connu depuis longtemps pour être un des sujets les plus distingués de nos corps judiciaires.Il a toujours été employé depuis la Révolution et a servi avec succès dans cette caractère à laquelle il tenait déjà auparavant comme homme de loi ». Cf. Brun-Durand, Dict. Biogr. de la Drôme, t. Il, page 203.

(64). Voici ]e texte de cet arrêté :

« Le Préfet du département de la Drôme, convaincu qu’un administrateur n’a pas rempli tous ses devoirs partout où il existe un homme malheureux qu’il n’a pas secouru ou soulagé lorsqu’il l’aurai pu ; Instrument, dans ce département, des intentions d’un gouvernement qui voudrait parvenir à faire disparaître tout ce qui est mal, à le remplacer par tout ce qui est bien, qui tend sensiblement, dans tous ses actes, à faire ou à accroître le bonheur et la prospérité publique Considérant que l’accomplissement de ces intentions sera d’autant plus assuré et prompt qu’il sera secondé de plus d’efforts, éclairé de plus de lumières

Arrête

ARTICLE PREMIER. – Il y aura près de la préfecture deux Conseils consultatifs, auxquels le Préfet appellera pour les former des citoyens, habitant le département, recommandables par leurs connaissances et par leurs vertus.

ART. Il. L’un de ces Conseils, dit d’humanité considérera dans l’homme l’être sensible, le verra souffrant, le suivra dans ses peines et s’occupera de tous les moyens de les soulager, d’adoucir ou d’améliorer son sort. L’autre, dit d’agriculture et d’industrie, considérera dans l’homme l’être intelligent, actif, et s’occupera de tous les moyens de développer son intelligence et de diriger son action de la manière la plus utile à la société et à lui-même.

ART. III – Chacun de ces Conseils sera composé de dix membres.

ART. IV. – Ils s’assembleront au moins une fois dans le cours de chaque trimestre.

ART. V. – Ils se nommeront un président, pour tenir le Conseil, lorsque le Préfet ne pourra y assister; un secrétaire pour tenir la plume, soit en séance dont il sera dressé procès-verbal sur un registre ouvert à cet effet, soit dehors pour les correspondances, s’il y a lieu, ainsi qu’il est à présumer.

ART. VI. Ils donneront au Préfet tous les avis qu’il leur demandera, et ils soumettront en outre toutes les idées d’amélioration et d’utilité, chacun dans le cercle de sa compétence, tant celles de ses membres que celles qui leur auraient été communiquées, et auraient mérite le suffrage du Conseil, acquis par la sanction de la majorité.

ART.VII. – Indépendamment de ces dispositions générales, et autant qu’il n’y serait pas dérogé, chaque Conseil pourra, avec l’approbation du Préfet, arrêter telles autres dispositions réglementaires qu’il estimera convenables.

ART. VIII. – Le présent arrêté sera imprimé, publié et affiché dans les lieux accoutumés.

ART. IX. – Le Préfet dépose les sentiments qui le lui ont dicté dans l’âme de tous les hommes de bien, pour qu’elle s’y associe; pour que, se réchauffant réciproquement, tous les germes capables de produire de bons fruits en soient fécondés, et particulièrement pour qu’en favorisant de leur intérêt, et en fournissant le contingent de leurs observations, de leurs méditations ou de leurs vues de bien public aux Consens ci-dessus, ces Conseils deviennent tout ce que le Préfet les désire.

ART. X. – Sont nommés pour former le Conseil d’humanité, les citoyens Raphaél CORDOUE de Tain, Denis-Nicolas FAYARD de Saint-Vallier, BRESSAC de Valence, CHAIX-DELOCHE de Valence, ANTHELME de Romans, CHIEZE de Valence, MOTTET-D’AUBENAS père de Crest, BARBIER-VILLECROZE du Buis, Pierre-Reymond ROUVIERE de Pierrelatte, ODOUARD de Montélimar.

Pour le Conseil d’agriculture et d’industrie, les citoyens SIBEUB de Valence, BAYLE aîné de Mirmande, BLANCARD de Loriol, ANDREVON de Romans, LOMBARD-LATUNE aîné de Crest, PEY père de Montoison, ARCHINARD de Crest, VERDET du Buis, PRADELLE fils, adjoint de Donzère, GROSSET, maire de Taulignan.

XI. – La première séance du Conseil d’humanité se tiendra à la préfecture le 15 prairial prochain.

La première séance du Conseil d’agriculture et d’industrie, le 25 du même mois.

Fait à la préfecture du département de la Drôme, le premier floréal an IX (21 avril 1801). »

Marie DESCORCHES,

Le citoyen Chièze démissionnaire fut remplacé au conseil d’ humanité par le citoyen Olivier, juge suppléant au tribunal criminel (arrêté du 17 prairial an IX), le citoyen Andrevon, du conseil d’agriculture, par Delolle, propriétaire, cultivateur et négociant de Romans (arrêté du 9 messidor).

(65) Nommé receveur général des impositions directes par arrêté du Directoire exécutif du 22 p)uviûse an IV(11 février 1796).

(66) « Quant au sous-préfet de Die, il est nécessaire de savoir, pour n’en être pas induit en erreur, et il me devient indispensable de dire que cet homme estimable sous tous les rapports qui constituent l’homme d’honneur, telle est sa réputation qui ne me paraît pas contestée même par ceux qui lui sont le plus opposés, recommandable aussi par des connaissances administratives et générales plus que communes et qu’il pourrait rendre très utiles sans les défauts qui s’y trouvent joints, est dominé par un esprit systématique, une opinion de lui-même et une suffisance qui ne lui permettent guère de trouver rien de bien ni de bon au-delà du cercle de ses idées. D’où Il résulte que souvent expose par là à des contrariétés, Il prend contre les autres une humeur qu’il leur communique. Cette humeur est sensible dans son rapport et exercera toujours quelque influence dans tout ce qui viendra de lui, tant que tout ce qui n’est pas lui sera autre chose que des automates et que ses paroles ne seront pas des sentences, ce n’est pas assez dire, des lois. Les habitants de cet arrondissement tout entier de montagnes sont au reste si bons, si calmes, tout au travail de leurs champs ou de leurs laines, ils ont un sens trop droit pour s’offenser de ces ridicules. Ils en rient et ce qui aurait beaucoup inconvénients partout ailleurs n’en a que très peu. Voilà le deuxième arrondissement dans sa véritable situation. La moitié de la population environ, c’est-à-dire environ 25000 habitants, sont protestants, vivant partout paisiblement avec les catholiques romains, zélateurs néanmoins fort attachés à leurs prêtres et se montrant fort impatients de l’exécution du Concordat. Je n’ai pas besoin d’ajouter que l’opinion publique dans un pareil pays ne peut guère être que celle de quelques individus » (Préfet au Ministre de la Police générale, 13 ventôse an X).

(67) Pons (Clément), né à Verdun, le 23 août 1763, substitut du procureur de la commune de Verdun, administrateur, commissaire central du département de la Meuse, sous-préfet de Verdun, fut nommé sous-préfet de Nyons par arrêté du 23 vendémiaire an X (15 octobre 1801). JI obtint un congé pour raisons de santé et ne prit possession de son poste que le 5 prairial an X (25 mai 1802). Il y resta jusqu’en 1813 une ordonnance royale du 2 août 1815 le remplaça par le chevalier Bonfils, avocat Pons fut arrêté au mois de décembre suivant, « comme prévenu d’avoir pris part à des complots formés pour troubler la tranquillité publique et d’avoir coopéré activement à l’entrée de l’usurpateur en France ». 11 fut mis en liberté, le 9 avril 1816, par ordonnance de la cour royale de Grenoble (Arch. de la Drôme, M. 12, dossiers des sous-préfets).

(68) Le préfet écrivait au ministre de l’Intérieur, le 13 pluviose (2 février)

« Le Premier Consul m’ayant paru avoir décidé sur ma demande et selon le désir du secrétaire général qu’il soit promu à une sous-préfecture, nommément a celle de Nyons, s’il n’y a pas moyen de satisfaire ses vœux qui lui feraient attacher beaucoup de prix a être rapproché de sa famille, veuillez ne pas perdre cette résolution de vue, non plus que celle que la justice réclame en faveur du citoyen Richaud qui sera, j’en suis convaincu, fort bien pour le service et pour lui à la place vacante dans notre tribunal criminel par la mort du citoyen Savoye.

Ces nominations faites, Il vous eu restera une à faire celle d’un nouveau secrétaire général de la préfecture. Je ne sais si je me suis trompé, citoyen Ministre, mais j’ai cru apercevoir que vous ne désapprouviez pas mon opinion à l’égard de ces places pour qu’elles deviennent utiles, au lieu d’être un inconvénient, ainsi qu’elles l’ont été le plus communément jusqu’ici par la manière dont elles ont été remplies d’hommes à prétentions, qui n’y apportent guère que de l’amour-propre et qui n’y voient qu’un marchepied que le gouvernement doit en faire un motif d’émulation et un moyen de récompense pour les chefs de bureau méritants, et qu’indépendamment de cet effet qui se ferait infailliblement et très avantageusement sentir en peu de temps dans tout le matériel de l’administration, un bort secrétaire général, considéré en lui-même. doit être, tel que je le conçois, en quelque sorte l’homme de la manœuvre, doué pitr conséquent de l’aplomb, de l’assiduité et des connaissances pratiques et locales requises à cet effet. Dans ce cas, et si cette idée vous paraissait assez juste pour vous y arrêter, j’aurais à vous proposer ce qui conviendrait dans le citoyen Regnard, chef du bureau de cette préfecture chargé des cantons, travailleur, assidu, rompu aux formes administratives, étant depuis longtemps employé dans les administrations, souvent en chef, ci-devant commissaire près le district de Valence, et ayant déjà été jugé par mon prédécesseur mériter assez d’être distingué pour être porté par lui au conseil du premier arrondissement dont il est membre. C’est une tête farcie de dates, de lois, d’arrêtés; il rédige assez bien; c’est en un mot, à mon avis, parfaitement ce qu’il faut, et cet exemple, encore une fois, ferait, le le crois, merveille comme stimulant bien nécessaire pour l’espèce d’hommes dont les bureaux de nos administrations sont encore composés. ».

Vallenet resta secrétaire général de la Drôme jusqu’en 1811, époque a laquelle il fut appelé aux mêmes fonctions dans l’Ardèche

(69) Descorches semblait ne devoir rester que peu de temps dans l’administration. Le 26 nivôse an IX (16 janvier 1801), le ministre des Relations extérieures avait annoncé à celui de l’Intérieur que Descorches aurait sur son département le traitement de 6000 francs, affecté au grade de ministre plénipotentiaire, jusqu’au moment où il serait remis en activité de service dans la carrière diplomatique (Arch. nat., F1b II, Drôme, 2). Le 11pluviôse an X (31 janvier 1802), le sous-préfet de Montélimar écrivait au préfet « On dit hautement que vous allez nous quitter. Les uns vous envoient à Constantinople, les autres à Madrid. Encore une fois tant pis pour la Drôme, et notamment pour moi ». De son côté, Pelet, préfet de Vaucluse, écrivait à Descorches, le 28 floréal (18 mai) «  Quand quittez-vous votre forteresse de Valence ? J’aimerais vous voir prendre la route de celle des Sept Tours, quoique cela vous éloignât de moi. Le commerce du midi a un pressant besoin de voir renouer ces relations lointaines nos fabriques de laine, de chapeaux, de papier», etc. sont en stagnation ». Cependant Descorches resta préfet de la Drôme pendant toute la durée de l’Empire et pendant la première Restauration. Nommé préfet de l’Aude le 6 avril 1815, il abandonna l’administration et se retira à Sainte-Croix où tl mourut le 2 septembre 1830 .

(70) Jean-André Coulon fut pris quinze mois plus tard. Le 6 brumaire an XII (29 octobre 1803), le préfet adressait une proclamation aux communes de la partie méridionale du département, pour annoncer que le Gouvernement accorderait une récompense à ceux qui livreraient Coulon, mort ou vif. Le brigand fut arrêté à Grignan le brumaire (16 novembre). Cet événement fut jugé d’une telle importance que le préfet fit imprimer une nouvelle proclamation, pour annoncer cette arrestation et signaler qu’elle était due aux mesures habilement concertées par la dame Rolland, de Grignan, et son mari, avec le lieutenant de gendarmerie Lamotte, assisté du brigadier Hénart et des gendarmes Crozat et Mercier, qui avaient montré beaucoup de présence d’esprit, de bravoure et de dévouement. Traduit dans les prisons de Valence, condamné à mort par le tribunal spécial, Coulon fut exécuté le 30 pluviôse (20 février 1804). (Arch. de la Drôme, police individuelle, M. 1775).

(71) Arch. de la Drôme; Tribunal spécial), personnel, U. 19

(72) Fayolle, successeur de Chamoux à la présidence du tribunal spécial, ne fut installé dans ses fonctions que le 22 thermidor an X (10 août 1802). Sur ce personnage, voir ROCHAS, Biographie du Dauphiné, t. I, p. 381 ; BRUN-DURAND, Dict. Biogr. de la Drôme, t. I, p. 322.

(73) Cet important rapport, dont la minute autographe et une copie existent aux archives de la Drôme (série N), a été imprimé. Préfecture de la Drôme. – Lettre du préfet du département de la Drôme au Conseil général (session de l’an X), sur la situation administrative du département. Prix 75 centimes (ou 15sous). A Valence, chez Marc Aurel, Impr.-Libraire, Grand’rue. Prairial an X. Pet. in-8° 44 pages.

(74) Plan de Sieyès avait été nommé membre du Censeil général, en remplacement de d’Allard, par un arrêté du premier Consul du 9 fructidor an IX (27 août 1801).

(75) Arch de la Drôme, N°1 :Procès-verbal de la session du Conseil général de Préfecture du département de la Drôme en l’an X; manuscrit de 22 feuillets, grand format.

(76) Arrêté du 16 thermidor (et non messidor) an VIII (4 août 1800) contenant règlement sur le recouvrement des contributions directes et l’exercice des contraintes. Dispositions générales. Art. 1er . Les contributions directes sont payables à raison d’un douzième par mois. – 2. Il y aura pour leur recouvrement un percepteur par chaque ville, bourg et village ayant son rôle particulier. – 3 -. L’adjudication de la levée des contributions directes sera faite par les maires, ou, à leur défaut, par les adjoints, avant le 1er fructidor de chaque année. – 4. L’adjudication sera faite au rabais, et ne pourra excéder cinq cent. par franc. – 5. L’adjudicataire fournira un cautionnement en immeubles, dont la valeur libre sera du quart, au moins, du montant du rôle de la contribution foncière. – 6 . A défaut d’adjudicataire, le conseil municipal, convoqué extraordinairement par le maire ou son adjoint, nommera d’office, dans la première décade de fructidor, un percepteur dont la solvabilité soit connue, etc…

(77) Loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) sur l’instruction publique, établissant qu’elle serait donnée: 1°) dans des écoles primaires établies par les communes 2°) dans des écoles secondaires établies par les communes ou tenues par des maîtres particuliers; 3°) dans des lycées et des écoles spéciales entretenus aux frais du Trésor public.

(78) Arrondissement de Valence 101112 ; de Die 57111 ; de Nyons 30246 ;de Montélimar 46888 en tout 235.357 (M. 36. Correspondance du secrétariat général du 2 thermidor an IX au 1er pluviôse an X, no 363).

(79) « La tenue des registres de l’état civil s’est améliorée l’année dernière, quoique loin encore d’être aussi régulière que bon importance le comporte J’y donne et continuerai d’y donner tous mes soins. Mais il est une mesure centrale qui se lie naturellement à cette régularité, et contribuerait beaucoup à remettre en ordre tous les registres antérieurs à l’année courante, qu’il me parait instant de prendre, c’est de faire sortir des archives départementales du magasin de papiers qui en porte très improprement le nom, où tout se trouve encombré faute de local, pêle-mêle à défaut d’arrangement impossible sans emplacement et sans fonds; deux obstacles actuels dont je vous engage, citoyens, à vous occuper sérieusement dans cette session. Cela presse; je vous invite avant tout à vous en convaincre de vos propres yeux. »

(Lettre du Préfet du département de la Drôme au Conseil général, p. 38).

(80) Loi relative aux fêtes nationales (3 nivôse an VII), 24 décembre 1799).

La Commission du Conseil des Cinq-Cents.

Considérant qu’il importe à la liberté et à la prospérité publique de conserver les seules fêtes nationales qui ont été accueillies par tous les Français, sans laisser aucun souvenir qui tende à faire naître des divisions parmi les amis de la République. prend la résolution suivante

L’anniversaire du 14 Juillet 1789, jour de la conquête de la liberté sur le despotisme, sera célébré chaque année dans toute la République. Le vendémiaire, jour anniversaire de la fondation de la République, conquise le 10 août 1792, sera également célébré dans toute la République. Toutes les autres fêtes nationales seront supprimées. (Bulletin des lois de la République, 340, n° 3496).

(81) (manquant)

(82) Circulaire imprimée. M. 1295 (n° provisoire).

(83) Placard imprimé. A Valence, de l’imprimerie de Marc Aurel, Imp.-Lib.

(84) Placard. « A Valence, de l’imprimerie de Jean-Jacques Viret. »

(85) Correspondance du secrétariat général du 1er pluviôse au 28 messidor an X, n° 435 (M. 37). Le compte du mois de floréal, expédié le 8 prairial, et celui du mois de prairial, envoyé le 9 messidor, se trouvent dans le mème registre, sous les n° 588 et 737.

(86) M. 1295 (n° provisoire). Minute de la main de Descorches.

(87) Ce sénatus-consulte accordait amnistie pour fait d’émigration, à tout individu qui en était prévenu et qui n’était pas rayé définitivement.

(88) Duchesne, membre du Conseil des Cinq-Cents, puis du Tribunat, donna sa démission le 2 fructidor an X (20 août 1802). «  Sur la démission de Duchesne, je ne peux que dire il n’est pas d’excellent homme qui ne bronche. Empruntant ici vos expressions, je dis encore que, tribun, ou non tribun, il me sera toujours cher. Mais je crois qu’il a mal jugé la scène politique et que le dépit de s’être trompé lui a fait faire une sottise. Il demeurera donc inutile, avec ses talents, ses vertus et ses bonnes intentions. » (Sous-préfet de Montélimar au préfet, 11 fructidor an X) . Sur ce personnage, voir Rochas, Biographie du Dauphiné, tome I, page 333.

(89) Charles-François d’Aviau, né au château du Bois-de-Sanzay, le 7 août 1756. Archevêque de Vienne en 1789, il se réfugia, en 1792, en Savoie, puis en Suisse, puis à Rome. Il rentra secrètement en France en 1797. Au Concordat, il devint archevêque de Bordeaux. Voir Abbé L. Favot, Autour du Concordat (1800-1808). – Lettres inédites de Mgr d’Aviau du Bots de Sançay, successivement archevêque de Vienne et de Bordeaux à M. Jacques Arnaud, cure de Monteux, puis d’Aouste (Drômej Grenoble, Vallier, 1901, in-8″. (Extrait des Annales Dauphinoises). – Voir surtout, p. 36 et 37, les lettres du 10 juin et du 12 juillet 1801.

(90) ART. 6. Les évêques, avant d’entrer en fonctions, prêteront directement, entre les mains du premier Consul, le serment de fidélité qui était en usage avant le changement de Gouvernement, exprimé dans les termes suivants :

« Je jure et promets à Dieu, sur les saints Évangiles, de garder obéissance et fidélité au Gouvernement établi par la Constitution de la République française. Je promets aussi de n’avoir aucune intelligence, de n’assister à aucun conseil, de n’entretenir aucune-ligue, soit au dedans, soit au dehors, qui soit contraire à la tranquillité publique; et si, dans mon diocèse ou ailleurs, j’apprends qu’il se trame quelque chose au préjudice de l’Etat, je le ferai savoir au Gouvernement. « 

ART. 7. Les ecclésiastiques du second ordre prêteront le même serment entre les mains des autorités civiles désignées par le Gouvernement.

(91) Sur Bécherel, son passé, son caractère, sa correspondance avec le préfet avant son arrivée à Valence, son installation, voir l’excellent travail de Jules Chevalier, Souvenirs du Consulat et dé l’Empire dans le département de la Drôme, pp. 22-35.

(92) Contrairement à l’article 12 des articles organiques de la loi du 18 germinal an X: « II sera libre aux archevêques et évêques d’ajouter à leur nom le titre de Citoyen ou celui de Monsieur. Toutes autres qualifications sont interdites « .

(93) Mezard, devenu vicaire général, mourut l’année suivante en accompagnant l’évêque dans sa tournée pastorale. Le maire de Moras arrêta qu’il serait placé sur sa tombe une pierre avec cette inscription « Ci-gît Jean-Joseph Mezard, très digne prêtre, vicaire général du diocèse de Valence, décédé à Manthes le 20 fructidor an XI (7 septembre 1803), en accompagnant M. l’évêque dans sa course apostolique, recommandable par ses lumières, la pureté de ses mœurs et ses vertus sociales « ,

(94) Voir le texte de cet arrêté dans Jules Chevalier, Souvenirs du Consulat et de l’Empire. p. 31