Le canal de Gervanne

LE CANAL DE GERVANNE




Appelé à l’origine  » Canal des Moulins d’Aouste « , c’est le dernier canal alimenté par la Gervanne sur sa rive droite. Il mesure presque six kilomètres et s’étend sur le territoire des communes de Mirabel-et-Blacons et d’Aouste-sur-Sye. Sa prise d’eau s’effectue dans la Gervanne en amont du pont de Romane et restitue son eau à Aouste dans la Sye, une centaine de mètres avant de rejoindre la Drôme.

 



Ce canal aurait été construit vers le milieu du XVe siècle par les habitants d’Aouste (la commune d’Aouste possédait ces quartiers du territoire de l’actuelle commune voisine de Mirabel-et-Blacons, ce qui fait que la totalité du canal était sur son territoire).

 » Par acte du 14 juin 1530, François de Clermont, cardinal-évêque et seigneur de Die, représenté par Jean Girard, docteur en droit et chanoine de la cathédrale de Die et, François Moreton, écuyer et seigneur de Chabrillan, donna à Jean Mathieu chargé de la procuration des habitants d’Aouste le droit de prendre les eaux de la Gervanne et d’autres ruisseaux qui coulent dans le mandement d’Aouste, excepté celui de Scye … « 

Ce canal a alimenté jusqu’à récemment plusieurs usines, d’amont en aval : Gervatex, l’usine textile du quartier Romezon, anciennement Rey jusqu’en 1986, une scierie à Romezon, des foulons remplacés par l’usine à bille Barral en bord de Drôme fermée depuis 1983, l’usine Rey de la Sye proche du pont des Grands Chenaux également fermée depuis 1982 et tout au bout du canal, juste avant qu’il ne se jette dans la Sye, Smurfit-Lembacel-Mondi, une ancienne usine à papier.

Aujourd’hui seule Gervatex continue son activité mais la force motrice de l’eau a été abandonnée. L’utilisation de l’eau du canal par cette entreprise était relativement limitée, elle utilisait quelques litres par seconde pour humidifier l’atmosphère, neutraliser l’électricité statique due aux frottements du fil et – la climatisation ( ?)

Autrefois les usiniers étaient propriétaires du canal, ce qui les obligeait l’entretenir à leurs frais, étant les premiers bénéficiaires. Ceux-ci, leurs activités cessant, il n’est plus un apport d’énergie indispensable et l’intérêt du canal est devenu secondaire. Ils refusèrent d’assumer l’entretien et les réparations du canal. Mais le canal est encore précieux : il est aujourd’hui principalement utilisé pour l’irrigation et en particulier celle des jardins d’agrément des riverains qui sont plus de deux cents.

S’il est toujours fortement utile, c’est plus pour les irriguants, agriculteurs ou riverains que pour les industriels. On assiste alors à un renversement où ce qui était bénéfice économique secondaire dans la région – pour l’agriculture et les potagers – est devenu bénéfice premier, et où, ce qui était l’enjeu premier, la force hydraulique, n’est plus qu’accessoire.

Mais aussi du fait que ces utilisateurs très nombreux n’ont pas su ou n’ont pas pu s’organiser pour monter un syndicat, la seule solution pour le sauvegarder était le rachat par les communes car le canal est non seulement utile à une bonne partie des habitants (environ cent vingt jardins, le stade de Aouste, etc …).

Les riverains refusent de prendre en charge les coûts très élevés d’entretien et de réparation. Ce manque d’entretien directement lié à la fin de la dépendance de l’activité usinière des canaux a déclenché une très vive polémique. La volonté communale de rachat du canal bute sur la volonté des particulier propriétaires du canal.

Le rachat du canal de Gervanne par les communes d’Aouste sur Sye et de Mirabel et Blacons a résolu la situation en l’intégrant dans le domaine public.

L’ex-usine à bille Barral a été rachetée par la commune de Mirabel et Blacons qui la transformée en logements et ateliers et l’ex-usine Rey de la Sye est aujourd’hui devenue en partie une habitation et un atelier de rénovation de voitures anciennes.

De plus il participe au charme et à l’attractivité des communes, ce qui est surtout valable pour Mirabel-et-Blacons où le canal longe une bonne partie de la route principale, alimentant une succession de lavoirs particuliers.


Historique :
 
La première mention du canal de la Gervanne est constituée par une pièce conservée aux Archives Départementales de la Drôme, datée du 17 juillet 1486, par laquelle le seigneur du lieu permettait à la communauté d’ Aouste-sur-Sye, de construire un moulin à drap ou foulon, actionné par l’eau du canal de la Gervanne.

Toutefois, on peut supposer que le seigneur d’ Aouste-sur-Sye fit établir le canal pour faire tourner le moulin banal de la commune à une époque antérieure au XVe siècle et que l’acte de 1486 constitue une autorisation pour une deuxième fabrique

L’évêque de Die autorise en effet les habitants d’Aouste à creuser ce canal le 14 juin 1530 pour leurs besoins d’irrigation selon un document.

Le 29 juillet 1582 la communauté d’ Aouste-sur-Sye vendit les moulins aux de La Motte avec les canaux et dépendances, sous réserve que les riverains pourront, comme par le passé, se servir du surplus des eaux pour l’arrosage de leurs prairies.
 
Le 10 juillet 1733, l’évêque Gabriel de Cosnac, par acte reçu de Me Lagier, notaire à Die, donne permission d’établir « une papeterie au sieur Achard. Madame Marguerite Henriette Buisson du Mesnil, femme de messire Domiliers, écuyer de La Motte, après contestation, transigea avec Achard, et lui accorda, moyennant une rente annuelle de 60 livres et 2 rames de papier couronne, l’autorisation de se servir de l’eau du canal depuis la prise en Gervanne jusqu’à la papeterie, à faire passer le canal aux endroits les plus convenables, à faire une deuxième papeterie et des foulons à drap, à prendre l’eau au-dessous et vis-à-vis le pont de Blacons, et, de se servir du droit qu’a la dite Dame de prendre des fonds voisins aux canaux et prise d’eau à estimation d’experts pour la dite prise et la conduite d’icelle » (A.C.1733).
 
En 1744, un arrêt du Parlement de Grenoble règle le différend intervenu malgré la transaction prescrite en 1733 entre les mêmes usagers du canal et oblige le sieur Achard à élargir et à récurer le canal de Gervanne.

En 1838, M. Athénor, représentant les sieurs Achard vendit, par acte reçu à l’étude de Me Gresse, le 14 octobre 1838 à Louis Élie Faure les terrains qu’il possédait entre la route de Blacons et le confluent de la Romane et de la Gervanne et les droits au canal passant sur ses terres.
 
M. L. élie Faure beau-père de M. Chalamet ne semble pas avoir utilisé ses droits au début de son acquisition car une expertise faite en 1857 ne mentionne aucun ouvrage établi sur la partie cédée.
 
Les riverains du canal usant habituellement de l’eau pour leurs arrosages sans règles déterminées, apportèrent une telle gêne aux usiniers que ces derniers durent se défendre contre ces abus successifs, d’où procès ; et enfin, le 12 novembre 1856, le tribunal de Die nomma des experts qui commencèrent leurs opérations le 15 avril 1857 et déposèrent leur rapport le 26 août 1858.
 
Enfin, par audience publique du 7 juin 1859, le tribunal de 1re instance de l’arrondissement de Die a rendu un jugement motivé, qui constitue la charte du canal et qui adoptait le rapport des experts, condamnait les « arrosants » aux dépens, fixait les époques et durée des arrosages à 48 h. par semaine du 1er mai au 30 septembre.
 
à la suite de ce jugement, les intéressés ont signé le 23 novembre 1859, une convention déposée aux minutes de Me Gresse, portant à 60 heures par semaine la durée des arrosages. En 1863, un jugement prescrit que les arrosages d’une durée de 60 heures par semaine commenceront en tête du canal et que chaque fond sera arrosé successivement de manière toutefois que les eaux en amont de l’usine Garnier ne puissent être détournées pendant plus de 30 heures à partir du samedi à 6 heures au dimanche à midi.
 
Aucune des pièces prescrites ne mentionne l’usine de Romezon, cette dernière a dû être installée par MM Faure et Chalamet en vertu des droits acquis en 1838 et postérieurement à l’expertise de 1857 qui n’en fait pas mention. Les propriétaires ont dû profiter de la déclivité naturelle du terrain pour installer une roue, mais en présence de la faible puissance ainsi obtenue, des travaux ont été entrepris par MM. Chalamet et Chorier pour accroître son importance. Ces usiniers sont parvenus à porter la chute à 3 mètres, en approfondissant le canal de décharge et en surélevant les berges du canal d’amenée.
 
En 1879 et 1880, la ville de Crest passa, avec les usiniers propriétaires du canal, MM Garnier, Filliat, Chorier, une convention réglant les conditions d’établissement de la nouvelle prise d’eau en Gervanne, déplacée suite à la construction de la digue établie pour l’alimentation en eau potable de la ville de Crest.
 
Un jugement rendu postérieurement, détermine les droits respectifs des canaux rive droite et rive gauche et les fixe pour chacun à moitié du débit de la Gervanne. Il s’ensuit que l’usine des Berthalais et le canal rive droite sont alimentés par la moitié du débit de la Gervanne supérieure et par les sources dites des Fontaigneux (près du terrain de sport de Beaufort-sur-Gervanne) qui, en été, constituent l’alimentation principale.

 

La prise d’eau du canal de Gervanne



Tracé – Prise :
 
Il n’y a aucune certitude en ce qui concerne le tracé du canal primitif et sa prise en Gervanne.
 
On ne peut en effet retenir la mention sur l’acte de 1733 « à prendre l’eau au-dessus et vis-à-vis du pont de Blacons comme indication de l’emplacement de la prise, mais plutôt comme une autorisation de détourner, à partir de ce point, le canal primitif ».
 
Lors de l’établissement du cadastre vers 1813, le tracé du canal est conforme à ce qu’il est à ce jour et la prise est indiquée à 60 mètres en amont du confluent de la Romane à la Gervanne ; plus tard en 1837, la prise fut déplacée à 300 mètres en amont. En vertu de l’accord du 22 mai 1880 le barrage établi par la ville de Crest, pour son adduction en eau potable, est utilisé comme tête de prise du canal.


Propriété du canal :

 
Les terrains sur lesquels passent le canal ont toujours appartenu en totalité aux usiniers qui n’ont pas cédé le canal et ses abords en vendant les terrains voisins ; de là s’ensuivirent de nombreux conflits.
 
Les plans cadastraux d’Aouste-sur-Sye et de Blacons, sur lesquels le canal est mentionné, indiquent une séparation bien marquée entre les parcelles rive droite et rive gauche qui ne portent jamais les mêmes numéros.
 
Enfin, la jurisprudence actuelle, conforme à l’ancien droit consacré que le propriétaire d’un moulin ou de toute autre usine est légalement présumé propriétaire du canal qui conduit les eaux lorsqu’il est fait de main d’homme. C’est ainsi que ce canal est la propriété des quatre usiniers : L’usine de Romezon, l’usine à billes, l’ex-moulinage de la Sye et l’ex-papeterie SACNA-LEMBACEL-MONDI.

Depuis 2018/2019 le canal de Gervanne est la propriété des communes d’Aouste sur Sye et de Mirabel et Blacons.

 
Droits d’arrosage :

 
Le droit d’arrosage très ancien est mentionné pour la première fois par l’acte de vente de 1582 où il est dit que l’acquéreur devra continuer les arrosages des prairies comme il se pratiquait auparavant au moyen de surplus de l’eau non nécessaire au moulin et ce moyennant une redevance d’un quartaut (environ 111 litres) de blé froment par sétérée (la valeur de la sétérée varie d’une commune à l’autre).
 
Tous les actes postérieurs témoignent de l’abus constant que les propriétaires ont fait de ce droit qui primitivement était une facilité donnée par le seigneur, propriétaire du canal du moulin, à ses tenanciers et que les propriétaires successifs ont revendiqué en exagérant sa portée et en se déchargeant de toutes redevances.
 
De nombreux jugements à ce sujet et par lesquels les « arrosants » ont toujours été condamnés à restreindre et à ordonner leurs arrosages, ainsi qu’à entretenir les ouvrages de prise d’eau au canal, ne semblent pas avoir donné de résultats positifs.
 
Pour l’étude des droits des « arrosants », on peut d’ailleurs négliger cette période ancienne et s’en rapporter au jugement du 7 juin 1859 qui règle clairement la question.
 
Auparavant, en 1856, il avait été rendu un jugement par défaut et à la suite d’un opposition il a été ordonné une expertise portant sur les points suivants :
 

· Quantité d’eau nécessaire aux usines et au canal
· Quantité d’eau passant au canal
· Étendue des arrosages
· État du canal et des ouvrages de prise d’eau des « arrosants »

 
Le jugement par défaut du 12 février 1856 ainsi confirmé, accordait aux « arrosants » 48 heures d’arrosage par semaine du 25 mars au 8 septembre de chaque année du samedi 6 heures du matin au lundi même heure.
 
Il semblait donc que ce jugement mettait un terme aux différends, mais les abus ont continué et les usiniers ne paraissent pas avoir usé des droits qui leur étaient reconnus par ce jugement; d’où l’objet d’une transaction portant à 60 heures la durée des arrosages et d’un nouveau jugement de 1863, confirmant cette durée pour les « arrosants » en aval de l’usine Garnier (devenue usine Barral) et la réduisant à 30 heures pour les « arrosants » en amont.

 Les « arrosants » ne semblent pas avoir tenu compte de ces jugements et les usiniers les ont laissé agir à leur guise. En 1977, les utilisateurs aidés par les municipalités de Mirabel-et-Blacons et d’Aouste cherchent à créer un syndicat permettant de gérer l’entretien du canal et son coût. Depuis cette date ils en assurent l’entretien.

Tous ces riverains du canal qui se sont réunis et passionnés ont beaucoup fait pour la sauvegarde du canal, entre autres Michel Ravel et René Planchon. Ces deux hommes ont œuvrer pour qu’on n’accepte pas la fatalité de voir ce canal disparaître comme tant d’autres. Le premier en refusant jusqu’au bout les concessions et les solutions à court terme et le second en motivant la troupe des nettoyeurs bénévoles.

 



Les premiers moulins


Ce sont des moulins à farine. Il faut dire que cela constituait la base nourricière. Les meules pouvaient avoir plusieurs emplois moudre des céréales ou fabriquer l’huile de noix. D’ailleurs la fabrication de l’huile est presque toujours un complément d’activité dans les moulins à farine de la région. Cette fabrication ne gênait pas l’activité de mouture car elle se faisait pendant l’hiver. Or, en hiver l’activité de mouture est plus réduite mais surtout l’eau abonde et la force disponible permet de mener les deux activités de front.


Les premières industries

Les premières applications industrielles vont apparaître vers le XIV° siècle avec le mouvement de ruralisation de l’industrie qui se déplace des villes vers les campagnes. En effet la main d’œuvre rurale coûtait moins chère parce qu’elle trouvait dans ces industries un complément d’activité aux travaux agricoles, donc un plus, payé en liquide, ce qui était précieux à une époque où les paysans étaient sans argent et réduits au troc. C’est durant le long hiver d’une région montagneuse, alors que les travaux agricoles étaient suspendus, que l’activité industrielle battait son plein grâce au surplus de main d’œuvre et à la plus grande force hydraulique disponible. Outre que les fabriques employaient souvent des femmes et des enfants, il semble que la main-d’œuvre rurale était plus docile que celle des villes : ainsi les corporations étaient inexistantes et même à Crest, la ville la plus proche, on n’a retrouvé aucunes traces de corporations avant la Révolution (Liotard, 1986).
Entre le XIV° siècle et le XVII° siècle les seules industries utilisant la force hydraulique dans la vallée étaient les industries textiles et de cordage. Il s’agissait principalement de foulons à chanvre qui permettaient par le rouissage des tiges de chanvre (trempage dans un bain pour assouplir les fibres) et l’écrasement mécanique, de préparer les fibres au tissage ou au cordage. Le foulon à proprement parler est un système qui combine un ensemble de masses en bois actionnées par un arbre à cames, lui-même directement entraîné par la roue à aubes. Le foulon pouvait avoir d’autres applications que la transformation du chanvre, comme d’assouplir la laine ou le coton destinés à la draperie ou au tissage ou la tannerie.




Sources :

  • Extrait du livre : Aouste sur Sye … au fil du temps – article d’Alain Miroux – 2015
  • Diverses sources
     


Voir aussi :